Comme Obélix, il est tombé dans le chaudron de potion magique ; avec un père centralien dirigeant d’entreprise et une mère issue d’une famille d’entrepreneurs. Et, encore comme Obélix, les effets de la potion sont permanents chez lui après avoir reçu une éducation bourgeoise, entre leçons de piano, d’équitation et de tennis puis un diplôme de l’École polytechnique en 1971. Comme Obélix, il montre une force surhumaine ; disons plutôt une audace exceptionnelle quand, ayant à peine rejoint l’entreprise familiale de travaux publics, il convainc son père de vendre les activités BTP de l’entreprise pour 40 millions de francs pour créer Férinel promotion immobilière avant d’en devenir le patron juste 7 ans plus tard. Vendre, acheter, monter, diversifier; nous voilà déjà devant ce qui va devenir le style de Bernard Jean Étienne Arnault… ou, plutôt, pas encore, car ces débuts si prometteurs sont bridés par un fâcheux contretemps: il s’expatrie aux États-Unis en 1981 quand François Mitterrand entre à l’Elysée de crainte de dérives socialistes !
L’audace et l’intelligence des remodelages
Seulement, l’expérience US vire à la déception en 3 ans et le voici de retour en France. Il a été manifestement mûri par tous ces contretemps, et c’est alors que la saga commence vraiment. Audacieusement, il engage l’essentiel de sa fortune familiale (90 millions de francs) dans le rachat de la Financière Agache avec l’appui de la Banque Lazard et prend ainsi les rênes du groupe Boussac qui possède aussi Christian Dior (sauf les parfums), Le Bon Marché, Conforama, Peaudouce… C’est là qu’il applique ce qui deviendra sa « recette » : un remodelage intelligent, complexe, en profondeur et une série de cessions-acquisitions. Le groupe Boussac était dans une impasse économique compliquée par des enjeux sociaux et Bernard Arnault se lance immédiatement dans la restructuration de ses activités, notamment le textile revendu au groupe Prouvost et Conforama à son rival PPR. Résultat : Boussac vaut en 1987 huit milliards en Bourse, et Bernard Arnault entre dans la cohorte des richards de France et prend le contrôle du groupe de luxe LVMH où il réunit enfin les parfums et la couture au sein de la holding Christian Dior SA.
Décentraliser et engloutir les concurrents
Plus rien ne semble l’arrêter. Sa recette galope, plus que jamais, à bride abattue et il en fait lui-même l’énoncé. Pour parvenir aux résultats en cascade que tout le monde observe en écarquillant les yeux, Bernard Arnault dit s’appuyer sur deux règles de gouvernance : favoriser la décentralisation des prises de décision au sein des marques du groupe, et acquérir les marques challengers ou émergentes. Concrètement, nous sommes carrément devant une cavalcade épique. À la suite du krach d’octobre 1987, il fait l’acquisition d’actions LVMH, le tout nouveau groupe de luxe issu de la fusion de Moët Hennessy (Champagne Moët & Chandon, Champagne Ruinart, Champagne Mercier, Champagne Canard-Duchêne, cognac Hennessy) et Louis Vuitton (Louis Vuitton Malletier, Givenchy, Champagne Veuve Clicquot Ponsardin). En 1988, il devient un des actionnaires principaux du groupe avec plus de 25% des actions. Puis, il profite des dissensions entre Henry Racamier pour Vuitton et Alain Chevalier pour les vins et spiritueux pour devenir l’actionnaire pivot, passant des alliances successives avec l’un et l’autre. Il finit par être élu président du directoire de LVMH à l’unanimité en qualité de Manager-actionnaire. Il conduit alors un plan de développement qui propulse LVMH premier groupe de luxe au monde et la valeur du groupe est multipliée par 15, et les bénéfices explosent de 500%. Même recette, même brio époustouflant. À partir de 1993, LVMH rachète Berluti et Kenzo, acquiert le quotidien économique La Tribune puis le revend pour acheter Les Échos, rachète Guerlain, Loewe, Marc Jacobs, Sephora, Thomas Pink, Make Up For Ever, Emilio Pucci, Fendi, DKNY, La Samaritaine. En 2001, il vend les 20% de titres Gucci détenus par LVMH pour 2,13 milliards d’euros. En 2007, avec Colony Capital, il entre dans le capital de Carrefour. En 2008, il s’offre le constructeur britannique Princess Yachts, Royal van Lent. En 2012, le Groupe acquiert Bulgari puis Loro Piana en 2013. Toute une vie qui semble vouée à une valse ininterrompue d’engagements, désengagements, pirouettes, retours, non seulement dans les industries, les services, les loisirs, le luxe… mais aussi dans l’art, les grands crus, la Nouvelle économie… D’aucuns pourraient y déceler un certain ordre ou un certain chaos maîtrisé mais personne ne pourrait manquer d’y voir ce que Danton ; le flamboyant trublion de la Révolution française, pourrait avoir inspiré à Arnault : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! »