Continuité et renforcement des relations bilatérales, développement de la coopération post-Brexit et attractivité du site Tunisie pour les investisseurs britanniques… autant de sujets d’actualité sur lesquels l’ambassadeur du Royaume-Uni Edward Oakden nous a fait part de son point de vue.
Avec l’entrée en vigueur de l’accord d’échanges entre la Tunisie et le Royaume-Uni, qu’est-ce qui va changer par rapport à l’ancien accord avec l’Union européenne ?
Tout au long de son histoire, le commerce a toujours joué un rôle important dans l’économie du Royaume-Uni. En vérité, nous sommes une île qui dépend du commerce. Il était ainsi important qu’une fois que nous quittons l’Union européenne, nous serions capable d’établir des liens d’échange commerciaux encore plus libres. Il était aussi important que la nature des liens qui nous lient avec les autres pays sous l’UE soit la base sur laquelle nous allons construire des accords commerciaux encore plus libres par la suite.
C’est dans ce cadre que l’accord entre la Tunisie et le Royaume-Uni a été conçu. Nous avons assuré une certaine continuité le 1er janvier 2021 pour ne pas compliquer les liens qui relient les entreprises britanniques et tunisiennes. Grâce à cet accord, les anciens arrangements entre le Royaume-Uni et la Tunisie dans le cadre de l’UE sont automatiquement devenus des arrangements de commerce bilatéral entre les deux pays. Cela dit, nous avons commencé, depuis que nous avons quitté l’UE, à négocier des accords bilatéraux plus libres avec les pays à travers le monde. Nous avons ainsi réussi à élaborer un accord de libre-échange avec le Japon qui est plus extensif que celui que nous avions lorsque nous faisions partie de l’UE. Cet accord est un modèle que nous souhaitons pouvoir répliquer avec d’autres pays dans les années à venir.
De la même manière, je pense que dans les 5 à 10 ans à venir, nous allons pouvoir négocier des accords d’échanges plus libres entre le Royaume-Uni et la Tunisie. Déjà, le quota de l’huile d’olive tunisienne sur le marché britannique est passé à plus de 7000 tonnes — soit plus de ce qu’il était sous l’UE.
Pourtant, les producteurs d’huile d’olive espèrent plus de flexibilité…
Je ne pourrai répondre sur ce point car je n’ai pas tous les détails. Je pense que c’est tout à fait normal que les entreprises, peu importe le secteur auquel elles appartiennent, veulent avoir moins de contraintes. Le Royaume-Uni avait plus de 170 accords à signer en l’espace de deux ans et que nous n’avions pas la possibilité de finaliser ces accords sans savoir les termes du Brexit. L’accord actuel n’est qu’une base sur laquelle nous souhaitons pouvoir développer des accords d’échanges encore plus libres.
Toutefois, vu les emplois de temps parlementaires chargés, aussi bien au Royaume-Uni qu’en Tunisie, il est impossible de mettre en place un nouvel accord. Le temps certainement viendra pour modifier l’accord commercial entre le Royaume-Uni et la Tunisie dans les années à venir, permettant des arrangements plus avantageux et une flexibilité, par exemple, pour les producteurs d’huile d’olive tunisiens.
La Tunisie attire-t-elle particulièrement les investisseurs anglais ?
Nous sommes en train d’essayer de rapprocher les acteurs économiques britanniques avec leurs homologues tunisiens. Ayant pratiqué ceci pendant plusieurs années de ma carrière, je sais que la mission est loin d’être facile. La tâche est d’autant plus difficile avec la pandémie. Le contexte difficile ne nous a pas empêché par contre de multiplier les initiatives. Nous avons ainsi organisé un séminaire en ligne regroupant, d’un côté, les fabricants britanniques des vêtements de protection et les fabricants de textile tunisiens dans lequel ont participé plus d’une centaine d’entreprises anglaises, ainsi que les représentants des associations professionnelles du secteur.
Personnellement, je pense que l’ambassade doit jouer le rôle de connecteur qui met en relation politiciens, hommes d’affaires, artistes, sportifs des deux pays. Si on réunit les acteurs économiques autour d’une table, ils trouveront la meilleure façon pour faire leurs deals, encore faut-il les entourer de conditions favorables. C’est la philosophie même de ce cadre : faciliter autant que possible, sur le point légal, la tenue du business ensemble.
Quels sont les facteurs auxquels les investisseurs britanniques sont les plus sensibles ?
Ils ont besoin de transparence, de prévisibilité et de stabilité de la législation. Bien évidemment, le niveau de taxation est important, mais les entreprises valorisent encore plus la stabilité fiscale qui leur permet de bien planifier leurs actions. La bureaucratie peut s’avérer aussi problématique ici. Aussi, il est crucial que les règles du jeu soient équitables pour que tout le monde puisse concourir sur les mêmes bases. En Angleterre, nous travaillons vraiment dur pour assurer cette équité aux entreprises étrangères.
Et nous souhaitons voir que les entreprises britanniques qui s’installent en Tunisie soient traitées de la sorte. Autre point important: il faut que l’entreprise britannique soit capable de ramener ses profits en Angleterre à ses investisseurs. Force est de constater plusieurs améliorations dans ce sens, mais nous avons encore du chemin à faire. Il faut ici rappeler que l’une des recommandations du FMI et de la Banque mondiale à la Tunisie est de s’ouvrir encore plus aux investisseurs étrangers.
Et si on voit le budget prévu par le gouvernement pour l’année prochaine, il est difficile de voir comment le gouvernement va assurer ce financement sans faire appel à la dette étrangère. Même si le FMI y contribuera fortement, une partie de ce financement sera collectée auprès des banques étrangères. Ces dernières seront plus susceptibles de le faire quand elles voient un secteur privé prospère en Tunisie.
Comment se positionne la Tunisie dans la stratégie africaine du Royaume-Uni ?
Nous avons organisé le Africa Investment Summit à l’occasion du premier anniversaire du UK-Africa Investment Summit que Londres a hébergé en 2020 sous le haut patronage du Premier ministre britannique. Cette conférence avait pour rôle d’étendre la portée des liens qui relient le Royaume-Uni avec tout le continent africain. L’Afrique du Nord fait certainement partie de cette dynamique.
La Tunisie peut représenter un lien entre le sud de l’Afrique et le sud de l’Europe. La conférence de 2021 avait comme objectif d’assurer le suivi de l’événement politique de l’année dernière et de voir comment les entreprises sont en train d’exploiter ces liens. Bien évidemment, il est encore tôt pour parler de résultats, mais la conférence a vu la participation de plus de 1200 investisseurs anglais et de plus d’une cinquantaine d’entreprises tunisiennes. La plupart de ces entreprises tunisiennes étaient aussi à la recherche de partenaires africains.
Vu la taille du marché local, je pense que la Tunisie aura besoin de se transformer en une plateforme régionale orientée vers les services à haute valeur ajoutée. Elle peut ainsi exporter vers l’Europe, tirant profit des coûts réduits, mais aussi vers l’Afrique subsaharienne, en capitalisant sur la qualité supérieure de ses produits. La Tunisie peut ainsi se distinguer dans des secteurs tels que l’éducation, les énergies renouvelables et la technologie de l’information — secteurs dans lesquels le pays a toujours excellé. Il est évidemment impossible de prédire quel marché sera le plus bénéfique pour la Tunisie, mais il est important d’essayer les deux alternatives.
L’énergie renouvelable connaît un boom aussi bien au Royaume-Uni qu’en Tunisie. Le marché tunisien intéresse-t-il les investisseurs britanniques ?
La Tunisie est riche en énergies solaire et éolienne et je pense que l’énergie renouvelable est un golden ticket pour la Tunisie qui a dû ces dernières années importer une bonne partie de ses besoins en énergie. Durant les 20 dernières années, le Maroc a su se transformer en un centre d’énergies renouvelables. Il a pu de ce fait à la fois baisser considérablement sa dépendance des ressources fossiles polluantes, réduire le coût de l’énergie pour sa population et créer d’importantes opportunités d’investissements étrangers.
Je suis convaincu que la Tunisie est capable de faire la même chose. Nous avons investi dernièrement 10 millions de pounds dans le projet NAMA de production d’énergie solaire qui va permettre de fournir une énergie propre et à bas coûts aux habitations de standing moyen. Ce projet va toucher plus de 60 mille familles pauvres qui vont ainsi voir leur facture énergétique baisser. Il va créer plus d’un millier d’emplois. Sans parler des économies en matière de subvention de l’énergie. Le Royaume-Uni est l’un des plus grands pays producteurs d’énergie éolienne offshore dans le monde.
Et pourtant, nous avons annoncé un important plan d’investissement de 12 milliards de livres sterling — soit environ 45 milliards de dinars — dans l’énergie renouvelable. Durant ces derniers mois, plusieurs autres pays ont annoncé des projets similaires. Certes, certaines de ces annonces se situent dans le cadre des préparations de la COP 26 qui se tiendra cette année à Glasgow. En réalité, nous sommes suffisamment réalistes pour comprendre qu’avec un taux de chômage de 16% — et le double parmi les jeunes — la question environnementale peut ne pas être une priorité pour le gouvernement.
Mais l’énergie renouvelable peut aussi servir comme moyen pour créer plus d’emplois, booster la croissance et améliorer les conditions de vie pour les citoyens. Les japonais affirment que les projets d’énergie renouvelable ont été un axe important pour la création de croissance domestique. Et si l’énergie renouvelable peut être un moteur de croissance économique au Royaume-Uni et au Japon, je ne vois pas pourquoi elle ne le serait pas en Tunisie.
Vous avez évoqué l’éducation, pouvons-nous voir des universités britanniques ouvrir en Tunisie prochainement ?
L’enseignement est un autre secteur où le Royaume-Uni excelle, à l’université, certes, mais aussi au niveau de l’école primaire et des jardins d’enfants. Les écoles professionnelles sont aussi une composante importante de ce tissu. Et parfois, comme vous le savez certainement, un plombier peut gagner trois fois mieux qu’un professeur à l’université. Malgré le rôle important que jouent ces écoles, nous avions auparavant au Royaume-Uni des préjugés à l’égard de ces institutions. Après avoir dû faire face à un fort chômage des diplômés, nous avons appris, à la dure, qu’il faut planifier le système éducatif “à l’inverse”.
Il faut en effet commencer par sonder les organisations patronales et les organismes sectoriels pour déterminer les qualifications que les entreprises cherchent chez les candidats. Ces données sont cruciales pour la mise en place de profils standards pour les différents secteurs et adapter en conséquence l’enseignement universitaire et celui du lycée. Cela dit, et pour répondre à votre question, allons-nous voir des universités anglaises en Tunisie ? Je ne pense pas. De nos jours, les universités préfèrent opérer en réseau plutôt qu’en ouvrant des campus dans d’autres pays. L’université de Nottingham l’a fait récemment à Kuala Lumpur, c’est l’exception et non pas la règle.
Les universités britanniques tissent des partenariats avec celles des pays pour développer des programmes d’échanges de professeurs et d’étudiants. Je pense que c’est le modèle qui marche le mieux. J’ai passé 5 ans et demi en Jordanie où nous avons pu mettre en place un programme de partenariat entre quelques-unes des meilleures écoles de business anglaises et des universités en Jordanie. En Tunisie, quand je m’adresse aux jeunes en français, ils me demandent de parler en Anglais. Non pas uniquement parce que je massacre le français, mais parce qu’ils veulent parler anglais. Ils trouvent que c’est important de pratiquer la langue de l’économie mondiale. C’est pour cela que nous avons un intérêt particulier pour l’enseignement en Tunisie.
Comment voyez-vous le rôle du Royaume-Uni en Tunisie ?
De notre côté, nous sommes en train de booster des liens commerciaux entre nos deux pays et de soutenir le développement durable de la Tunisie, notamment en se basant sur les piliers sécuritaire, économique et politique. Nous voulons nous assurer que la Tunisie reste un pays sûr, y compris pour les touristes britanniques, économiquement stable permettant de créer les emplois nécessaires, et qu’il dispose d’un système éducatif qui assure que les compétences locales soient compétitives dans l’économie mondiale.
Nous soutenons également la transition politique pour assurer la réussite de la révolution et de la démocratie. Il va sans dire qu’il ne peut pas y avoir une transition économique réussie sans une économie stable. Et on ne peut avoir une économie stable sans sécurité. En somme, l’engagement britannique serait un temple carthaginois qui repose sur trois piliers: la sécurité, la stabilité économique et le soutien de la transition démocratique. Le toit de ce temple n’est autre que le développement durable. Nous pensons que le pays peut regagner sa position de pays à revenu moyen supérieur.
Pour nous, il est important politiquement que la Tunisie soit une success story pour démontrer comment un pays musulman moderne peut réussir sa transition démocratique. Nous avons investi lourdement dans la réussite de ce pays. J’ai visité l’ARP ce matin et j’ai découvert que le bâtiment qui l’accueille a été utilisé dans l’administration du gouvernement depuis 1470. Ceci fait de lui le deuxième plus ancien bâtiment à être utilisé dans ce cadre après Westminster à Londres. Ceci est un excellent lien qui montre la continuité de la présence des institutions au cœur de nos politiques.