
La dégradation par Moody’s de la note souveraine de la Tunisie au niveau plus bas dans la classe B n’est qu’un nouveau signe d’une situation économique difficile pour la Tunisie.
Cette notation n’est certainement pas sans conséquences puisqu’il s’agit, par définition, d’un jugement professionnel sur la probabilité qu’un État remplisse ses obligations souveraines à l’échéance. Et, comme l’a rappelé l’IACE dans un rapport publié à l’occasion, “elle sert principalement à évaluer la capacité des émetteurs de titres à racheter leurs titres aux dates d’échéance”.
Les notations souveraines influencent principalement les montants, la maturité et les taux d’intérêt lors de l’émission de nouveaux titres par un pays. “Cette conséquence est la plus importante pour le cas de la Tunisie”, lit-on dans le rapport. En cas de sortie sur les marchés internationaux, le taux d’intérêt appliqué serait de 11%, avec une durée de 7 ans “ce qui mettrait en péril la soutenabilité de la dette publique à long terme”, d’après les auteurs de l’étude.
Mais les effets d’une telle dégradation pourraient toucher bien plus que les termes d’une sortie sur les marchés internationaux. Voici, d’après les analystes de l’IACE, l’impact de la note B3 sur la Tunisie.
Baisse des investissements directs étrangers
Si le pays d’accueil est négativement évalué, tel est le cas de la Tunisie, “les investisseurs étrangers sont exposés au risque de dépréciation de leurs actifs et ce, suite à celui de la monnaie locale”, lit-on dans le document.
L’investissement de portefeuille (25,3% de la capitalisation) est exclusivement stratégique (détenu par des investisseurs ayant des participations stratégiques dans leurs filiales ou partenaires commerciaux). La participation étrangère spéculative sur la BVMT ne représente malheureusement que 0,5% des capitaux investis. La fuite des investisseurs étrangers a été amorcée dès le début de la dégradation de la note souveraine. Et actuellement, les décisions des investisseurs encore présents sur le marché ne peuvent pas influencer sensiblement les tendances.
Les investissements physiques peuvent être exposés au risque souverain lié aux investissements directs étrangers. Et ceci est expliqué par le fait qu’une dépréciation de monnaie locale sera enregistrée, accompagnée par un accroissement du taux d’inflation causant ainsi une dévalorisation des immobilisations lors de la consolidation de leurs états financiers.
Pour améliorer le taux d’investissement, attirer et rassurer les futurs investisseurs, la Tunisie devrait encourager l’immobilier professionnel (industriel ou services) public et privé à offrir en location aux investisseurs étrangers.
La nécessité de renouveler la garantie américaine
La loi de finances 2021 prévoit 10,29 milliards de dinars sous forme d’émission d’obligations et de sukuk. L’importance de ce montant conjuguée à une note B3 a eu pour effet d’augmenter le taux de sortie de la Tunisie sur les marchés financiers internationaux estimé à 11%.
L’analyse des récentes sorties des différents pays sur les marchés ainsi que l’appréciation des principaux investisseurs étrangers quant à la dette tunisienne concordent avec les simulations effectuées.
À défaut de la conclusion d’un accord avec le FMI, et l’obtention du renouvellement total de la garantie américaine (qui nécessite du temps et des pourparlers politiques à haut niveau au niveau de l’administration américaine) ou de garantie supplémentaire, la Tunisie ne pourra dans les conditions actuelles mobiliser que la moitié de son besoin de financement extérieur et à une maturité courte.
Même dans le cas du renouvellement de la garantie américaine, le gap serait de 2.6 milliards de dinars. Il est à noter que l’obtention de ce renouvellement n’apaisera pas la pression sur les réserves de change lors du remboursement qui précédera impérativement l’émission de nouveaux titres sous garantie.
Fortes répercussions sur la disponibilité du financement pour les banques
Le secteur bancaire est parmi les secteurs les plus sensibles à la dégradation de la notation souveraine. En effet, pendant la crise de 2007, 64% des banques situées dans les pays en situation de crise ont vu leur note se dégrader dans les six mois qui ont suivi la baisse de la note souveraine.
Par ailleurs, une baisse des notations souveraines entraîne généralement une baisse des notations des banques nationales. En outre, la notation souveraine représente généralement la limite supérieure de la notation attribuée aux emprunteurs privés. Les répercussions peuvent donc être potentiellement importantes sur le coût ainsi que la disponibilité du financement pour les banques.
De ce fait, la dégradation de la notation souveraine va augmenter le risque pays des banques tunisiennes lors de leurs prochaines évaluations par les agences de notation. Cette future probable dégradation de la notation des banques tunisiennes pourra renchérir le coût de financement en cas de recours à des sources de financement étrangères, bancaires ou autres (très limitées en Tunisie).
Les opérations de commerce international quel que soit leur mode de règlement, sont perturbées par la dégradation de la note souveraine et consécutivement celle des banques. Le recours à des banques tierces pour des confirmations et garanties à envisager engendre des coûts supplémentaires qui sont au final supportés par les entreprises. Les banques locales affiliées à des banques étrangères peuvent bénéficier de l’avantage que leur offre leurs affiliations aux dépens des banques détenues exclusivement ou majoritairement par des investisseurs tunisiens publics ou privés.
Les entreprises, entre l’enclume et le marteau
L’impact sur des entreprises dans un pays classé B3 et aggravé par les répercussions de la crise sanitaire est essentiellement financier. Le manque de liquidité limite forcément la marge de manœuvre et aggrave leur situation si des mesures préventives ne sont pas prises. Le surenchérissement des coûts de financement extérieur soit en termes de garantie ou de crédit documentaire sera aussi probablement observé.
Une attention particulière devra être accordée, selon les auteurs de l’étude, aux entreprises publiques importatrices de produits stratégiques dont usuellement le financement des opérations de commerce international est assuré essentiellement par des banques publiques. Les fournisseurs de ces entreprises peuvent ainsi juger leurs risques élevés et imposeront de nouvelles conditions, plus contraignantes. La rupture de stock de produits stratégiques suite à des soucis d’approvisionnement, constitue un risque élevé et probable actuel et est indiscutablement à éviter.
Si la dégradation de la notation souveraine de la Tunisie n’était pas suffisamment alarmante, la lecture qu’ont offert les analystes de l’IACE l’est certainement. Ceci ne laisse donc aucun choix à ceux qui gouvernement que de tout arrêter et de se focaliser sur un seul objectif: trouver une issue.