L’un des points en commun de toutes les économies développées est la forte implication des assureurs dans le financement de l’investissement. C’est en particulier le rôle des compagnies d’assurance Vie qui accumulent des trésors de guerre à rentabiliser sur des décennies. D’où leurs investissements dans les infrastructures lourdes, les projets immobiliers sociaux, les universités et les projets de développement durable. Elles constituent également un outil puissant pour changer, au vrai sens du terme, le modèle de développement dans leurs pays. Les assureurs mènent la révolution technologique, en mettant de l’argent dans les startups disruptives.
Selon les derniers chiffres du CGA, les placements que gèrent nos assureurs fin 2019 se sont établis à 6 196 MTND (5 584 MTND en 2018), outre les 399 MTND de Tunis Ré. C’est un montant important par rapport à la taille de l’économie tunisienne. Mais trois principales raisons empêchent ces compagnies d’être plus actives côté investissement.
Le premier est la nature de leurs business, largement dominé par la branche Automobile qui représente 44,2% du chiffre d’affaires du secteur. Ce segment ne permet pas d’investir sur du moyen et long terme car il y a un nombre élevé de sinistres (738 MTND en 2019) et les indemnisations sont le pain quotidien des assureurs. Le bon sens serait donc de placer l’argent dans des produits liquides.
L’activité Vie pèse 23,2% des primes du secteur, mais la composante épargne reste encore faible face à la police temporaire décès. L’épargne retraite reste l’exclusivité des Caisses Sociales de l’État, privant ainsi les assureurs de la vraie source d’accumulation de richesse. Les gestionnaires de fonds ont donc réellement peu de ressources, insuffisants pour se lancer dans des actifs illiquides, rentables à terme.
Le second est la nature des placements. Les compagnies d’assurance n’ont pas la main libre car elles doivent respecter le catalogue de placements. Ce dernier les oblige à mettre l’essentiel de l’argent qu’elles détiennent dans les titres de l’État et les produits à revenus fixes. D’ailleurs, l’intervention des assureurs dans le marché actions reste encore faible par rapport à leur force de frappe. Certes, cela permet de protéger la mise des assurés, mais prive également les compagnies d’avoir une vraie activité de gestion d’actifs.
Il y a enfin la responsabilité des assureurs. Aujourd’hui, on reste dans un business model simple et l’innovation est limitée à la digitalisation des parcours clients. Pour l’activité elle-même, il n’y a pas de vrais changements. Ailleurs, les assureurs gèrent des pôles santé, maîtrisant toute la chaîne de la branche maladie. Ils prennent le contrôle des opérateurs télécom et développent derrière une expérience unique de la clientèle tout en exploitant un trésor de data sur eux. Nous avons besoin de telles opérations choc pour réveiller l’ensemble du secteur.
Mais le vrai handicap est la taille du marché, trop petite pour ce genre de manœuvre. Le bon début serait une consolidation locale pour créer des poids lourds nationaux capables de passer le cap de l’internationalisation.