Alors que la Covid-19 continue à semer le trouble dans les économies, la course à la mobilisation des ressources est plus que jamais intense. Les opérateurs, qu’ils soient publics ou privés, tentent d’exploiter toutes les pistes et la finance verte peut en être une. Non seulement il y a de l’offre, mais la crise a mis à nu une vérité : les enjeux sociaux ont été oubliés durant les dernières années face à une logique de réduction de coûts et de rentabilité économique. Si le financement vert offre aujourd’hui la possibilité de réconcilier les deux objectifs, le combat est de longue haleine.
Les sous-processus invisibles
Le grand axe d’intervention concerne les chaînes d’approvisionnement des entreprises, soit l’achat des matières premières, la sous-traitance de produits semi-finis ou finis et la logistique. Pour modifier certains processus, il faut de longues années et des investissements colossaux. La globalisation de l’économie a doté les chaînes d’approvisionnement d’une grande complexité vu le nombre d’intervenants, leur fonctionnement en cascade, leur dispersion sectorielle et géographique ainsi que leur interdépendance. Le résultat est une dilution de la responsabilité.
Personne ne prendra donc l’initiative d’aller s’endetter afin de modifier une partie cachée d’une longue chaîne et qui peut lui coûter des clients. Si, à titre d’exemple, un sous-traitant en textile va tenter d’optimiser les conditions de travail dans ses usines, il fonctionnera à perte. Dans tous les secteurs d’activités, il y a des acteurs qui dictent leurs lois, en particulier les enseignes de la grande distribution et les spécialistes de l’industrie agroalimentaire. Une approche pragmatique s’impose, en acceptant qu’un risque ESG (environnemental, social ou de gouvernance) va être toujours présent dans un processus. Il faut plutôt œuvrer pour transformer ce risque brut en un risque net atténué.
Le rôle des institutionnels
On observe une mobilisation croissante de la part des investisseurs institutionnels autour du thème de la chaîne d’approvisionnement. Ils peuvent mettre de la pression en conditionnant l’accès aux fonds et le vote lors des Assemblées Générales par le respect de certaines normes ESG. C’est le moment ou jamais car la crise sanitaire a montré certaines défaillances dans les chaînes d’approvisionnement actuelles. Les entreprises qui dépendent des fabricants asiatiques veulent aujourd’hui entrevoir de nouvelles pistes. Une deuxième vague est en train de se dessiner et mettre de nouveau en pause la production est à éviter. Le financement vert, pour passer à des produits qui respectent le droit de l’Homme, est une solution pour gagner en indépendance opérationnelle et responsabiliser les chaînes de valeur d’une façon générale.
Les obligations sociales
Lorsque le terme ESG est évoqué, l’environnement et la gouvernance prennent le dessus sur les aspects sociaux, plus difficiles à intégrer. Post-pandémie, nous commençons à voir des obligations sociales émises pour financer des projets promouvant les droits de l’Homme, tels que l’accès à l’éducation ou à la santé. Si la pauvreté, exacerbée par la crise, l’exploitation des enfants dans les usines et les inégalités entre les sexes sont réduites, les chaînes d’approvisionnement seront automatiquement plus humaines.
Plus les européens investissent localement dans ces questions, plus la pression montera sur les asiatiques pour s’aligner avec ces principes. En mars 2020, la Nordic Investment Bank a émis la Covid-19 Response Bond d’une valeur d’un milliard d’euros. Il s’agit de la première obligation sociale visant à financer les systèmes de santé et à atténuer les impacts sociaux et économiques de la pandémie sur le marché européen. De même, la Banque Européenne d’Investissement a émis un Sustainability awareness Bond, pour la même somme, pour soutenir les entreprises européennes opérant dans le domaine de la santé dans leur lutte contre la Covid-19.
Au mois d’octobre, la Commission Européenne a annoncé l’émission d’obligations EU SURE à effet social pour un montant pouvant atteindre 100 milliards d’euros. Il y a même un cadre relatif à ce type d’obligations qui permet aux souscripteurs d’être assurés que les fonds mobilisés serviront un véritable objectif social.
Où en est la Tunisie dans tout cela ?
Pour nous, il y a donc de nouvelles pistes à exploiter. En septembre dernier, l’Égypte a émis les premières obligations vertes de la région MENA d’une valeur de 750 millions de dollars et à un taux de 5,25%. La Tunisie peut prendre cela comme exemple et innover dans sa procédure de levée de fonds. Même les taux sont moins onéreux car les projets entrepris sont à but non lucratif. La Covid-19 nous a ouvert une nouvelle fenêtre de tir pour relancer la croissance inclusive. Il ne faut surtout pas la rater à un moment où les ressources externes se font rares.