Voilà une histoire, commencée il y a maintenant 75 années, trois quarts de siècle, qui a connu diverses péripéties. Il s’agit du parcours du CFA, jalonné de faits historiques, touchant directement les pays cherchant à s’émanciper de cette monnaie, allant de l’introduction de fausses monnaies, visant à déstabiliser les économies (Guinée 1959) à l’élimination politique (Togo 1963) voire coup d’État (Mali 1968) et autres pressions politiques.
C’est au moment des indépendances que les choses ont commencé à se compliquer pour la monnaie “franc”. En 1954, l’Indochine disparaît et avec elle le franc CFP (comptoirs français du Pacifique). Le Vietnam, le Laos et le Cambodge vont créer leurs devises respectives, le đông, le kip et le riel. Le Maroc et la Tunisie, indépendants en 1955 et 1956, se sont affranchis de la zone financière coloniale en remplaçant les francs «tunisien » et «marocain», l’un en frappant sa propre monnaie, le dinar, en 1958 (loi n° 58-109 du 18 octobre 1958), l’autre en restaurant le dirham en 1959. L’Algérie, alors colonie française de peuplement où le franc français se trouvait en circulation, a instauré, deux années après son indépendance en 1962, le dinar en 1964. De même ont suivi la Mauritanie (ouguiya en 1973) et Madagascar (ariary en 1973).
Créé officiellement le 26 décembre 1945, le franc CFA était la dernière monnaie coloniale ayant cours. À la veille de sa disparition, quinze pays africains l’utilisaient toujours et étaient tenus de verser 50% de leurs recettes d’exportation à la Banque de France. Ce système monétaire, considéré comme humiliant, 60 années après les indépendances, était régulièrement critiqué par les hommes politiques, les économistes et les nouvelles générations qui estiment qu’il freinait le développement du continent, sans compter son rejet étant perçu un vestige de ce qu’était la Françafrique ! À l’origine, le Franc CFA était la contraction de “Franc des Colonies Françaises d’Afrique” avant son appellation “Franc de la Communauté financière en Afrique” pour l’Ouest et “Franc de la Coopération Financière en Afrique pour le Centre”.
Ainsi et afin de compliquer la donne, “les deux francs CFA” concernent quatorze pays. La Communauté financière en Afrique, ceux de la zone Ouest (huit pays qui constituent l’UEMOA), Union économique et monétaire de l’Ouest africain, (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) et ceux de la zone centrale la CEMAC, Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (six pays : Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad).
Chaque franc CFA n’est utilisable que dans sa propre zone et le transfert ne peut se faire que par voie bancaire, et donc sous contrôle.
Pour l’instant, le projet qui était dans les tuyaux depuis au moins trois ans ne concerne que les huit premiers cités. Il n’a pu aboutir qu’après de longues et âpres négociations entre la France et les pays concernés lors du dernier semestre 2019.
Finalement, le projet de loi entérinant la fin du franc CFA vient d’être adopté fin mai 2020 par le gouvernement français. À sa place, voici donc venu l’« éco », la nouvelle monnaie unique retenue par les chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), en juin 2019.
Mais ce n’est pas fini pour autant, il s’agit d’une décision d’étape. D’autres restent à franchir afin d’exprimer pleinement la volonté politique, le respect des conditions de convergence, l’intégration économique et commerciale, une gouvernance économique et politique adaptée. Un système monétaire ne se décrète pas. Il se doit être structuré. Les étapes et les questions restent encore nombreuses. Il faudra attendre encore plus longtemps pour que l’ancienne zone franc rallie à elle les autres pays de la Cédéao, pour construire une monnaie unique. Dans la zone Cédéao, certains ne voient d’ailleurs pas cette réforme d’un bon œil notamment le géant nigérian !
Pour l’instant, la nouvelle monnaie va demeurer rattachée à l’euro avec une parité fixe ce qui garantit la même valeur de la monnaie pour les consommateurs. Paris passe en somme d’un rôle de co-gestionnaire à un rôle de garant, mais en pratique, cela ne va rien changer dans le quotidien des consommateurs. Ne perdons pas de vue que le franc CFA n’a pas réussi à arrimer ses pays membres à la prospérité. La pauvreté reste endémique et de plus, les résultats économiques atteints sont décevants : 10 sur les 15 pays qui composent la communauté CFA faisaient partie des 25 pays les plus mal classés dans l’Indice du développement humain du PNUD 2016 ; 4 fermant le banc dudit classement. À cela s’ajoute que sur les 25 pays les plus pauvres du monde classés selon le PIB par tête d’habitants par le FMI en 2016, la zone franc en comptait 6. Ces derniers sont dépassés par des États africains anglophones et arabophones, gestionnaires de leurs propres monnaies. De plus, les pays francophones ne pèsent que moins de 20% du produit intérieur brut moyen de l’Afrique subsaharienne, quand les anglophones, eux, en accaparent près de la moitié (hors Afrique du Sud). Dès lors, peut-on sérieusement envisager le lancement d’une monnaie unique pour la Cédéao sans le Nigeria et le Ghana, qui représentent plus de 75% du PIB de cette communauté ? En faisant un parallèle avec la zone euro, pouvait-on avoir l’euro sans l’Allemagne et la France ?
Enfin, l’intégration monétaire est, en principe, l’aboutissement d’une intégration économique et commerciale ancrée. C’est ici que le bât blesse le plus. Car l’intégration commerciale intra-africaine demeure faible, très en retrait de celle constatée dans l’UE. Dans le cas de la zone franc, elle n’a guère progressé malgré l’homogénéité et la stabilité créées par le franc CFA. Les raisons de cette faible intégration tiennent en particulier à la spécialisation des pays membres, polarisée autour de la production et de l’exportation de produits primaires. Cela ne changera pas du jour au lendemain, même si l’arrivée de l’Eco est susceptible, à terme, de doper les échanges intra-Cédéao. Aujourd’hui, ce n’est donc que le commencement de la fin du FCFA. Alors il ne faudra pas rêver d’une monnaie, d’un billet Eco immédiatement palpable.
Du franc CFA à l’Eco, le chemin est encore long et pas toujours pavé de bonnes intentions !