Alors que le débat sur le travail à distance semble en quelque sorte résolu, la question de l’enseignement à distance reste, quant à elle, sans réponse.
Grâce à la pandémie, l’enseignement à distance n’est plus un tabou. En Tunisie, par exemple, plus de 110 mille étudiants se sont inscrits à la plateforme de l’université virtuelle de Tunis en l’espace de quelques jours. Et ce chiffre ne tient même pas compte de ceux dont les instituts ont opté pour d’autres solutions telles que Google Classroom et Microsoft Teams ! Les responsables, aussi bien au niveau du ministère qu’au niveau des universités, se sont mobilisés pour réussir cette transition dans les meilleures des conditions. Une transition à saluer compte tenu de la réticence à laquelle faisait face l’enseignement à distance seulement quelques semaines auparavant.
À distance = meilleure qualité de formation ?
La question de la qualité de la formation est primordiale pour l’enseignement à distance: pourrait-il aider à fournir aux étudiants Tunisiens une meilleure formation ? Bien évidemment, la réponse est bien complexe. Pensons-y autrement : le distanciel peut-il améliorer le positionnement des universités tunisiennes dans les classements mondiaux ? Pour répondre à cette question, il faut savoir que tous les classements ne se ressemblent pas. Nous allons ici focaliser sur les critères les plus communs lors de l’établissement de ces classements. L’un des critères les plus utilisés est le ratio étudiants/corps enseignant. Plus ce ratio est important, mieux c’est. Ici, l’enseignement à distance ne peut certainement pas aider à améliorer le score des universités tunisiennes … mais !
Avec de plus en plus d’universités adoptant le distanciel, et au fur et à mesure que les cours sont adoptés à cette nouvelle manière d’enseignement, on pourrait espérer à ce que les barèmes utilisés par les différents classements soient allégés. Le ratio doctorants/étudiants est aussi utilisé par certains classements comme l’un des facteurs pour mesurer la qualité de l’enseignement. Dans ce cas, en revanche, on ne voit pas comment l’enseignement à distance peut aider à améliorer le score des universités tunisiennes. Le mouvement remote peut rendre encore plus facile aux doctorants Tunisiens de s’inscrire dans des universités étrangères, ce qui risque de compliquer la tâche aux universités tunisiennes.
Ceci nous ramène à parler d’un autre critère: le ratio étudiants étrangers/étudiants locaux. Prévoir l’impact sur ce critère est encore plus difficile. Car, oui, ceci pourrait permettre aux universités tunisiennes d’améliorer leur attractivité aux étudiants étrangers, notamment ceux de l’Afrique subsaharienne. D’un autre côté, les universités tunisiennes seront en concurrence directe avec les plus prestigieuses institutions mondiales. Le coût de la formation peut certes jouer un rôle, mais compter sur les prix bas comme facteur de compétitivité peut avoir des effets dévastateurs sur la réputation du secteur. La recherche scientifique est un volet important dans la majorité des classements. Certains en ont même fait leur point focal. Ici trois mesures clés sont utilisées : le nombre des articles de recherche, celui publié dans les revues à impact et le nombre de citations des articles.
Il est clair que, du moins avec les technologies de nos jours, il est encore tôt de parler d’impact sur la recherche, notamment dans les secteurs nécessitant l’usage de matériels et d’équipements. Cela pourrait, en revanche, changer dans l’avenir : des technologies comme la réalité virtuelle, la 5G et la robotisation pourraient changer la donne. Revenons donc à notre première question : l’enseignement à distance contribuerait-il à améliorer la position des universités tunisiennes dans les classements mondiaux ? Peut-être.
Une disruption, ça se prépare
Le changement brusque vers l’enseignement à distance n’est bien évidemment pas une spécificité tunisienne. Ce phénomène a été témoigné partout dans le monde. D’après l’Unesco, plus de 1,58 milliard d’apprenants n’ont pas pu suivre leur formation lors de la crise, ce qui représente 91,3% du total des apprenants inscrits dans le monde. Et si certains établissements – comme Cambridge University en Angleterre ou California State University, la plus grande université publique des États-Unis – ont pris des décisions drastiques annonçant un enseignement entièrement à distance jusqu’à l’été 2021, il ne s’agit là que d’une minorité. À ce jour, 67% des universités américaines envisagent une année en présentiel, 16% hésitent ou n’ont pas encore pris de décision, tandis que 17% ont opté pour l’hybride. Pourquoi une telle hâte pour reprendre les cours en présentiel ?
À vrai dire, l’enseignement à distance n’est certes pas une nouveauté en soi. Depuis les années 1960, et bien avant l’engouement récent pour les MOOC, les modalités de formation se sont adaptées aux apprenants qui, pour des raisons géographiques, professionnelles ou familiales étaient incapables de venir en classe. L’Open University en est un exemple. Mais c’est ce basculement brusque qui pose problème. Certes, dans certains cas, l’enseignement à distance présente des avantages par rapport à l’enseignement présentiel : il permet aux étudiant∙es de travailler en fonction de leur propre emploi du temps, ils peuvent revoir les interventions enregistrées, les utiliser pour apprendre puis réviser, poser leurs questions au milieu de la nuit ou en plein dimanche avec l’espoir de recevoir une réponse, rarement immédiate mais dans un délai raisonnable.
Ensuite, même si dans certains cas l’enseignement à distance peut être utile et efficace, il suppose des outils qui ne peuvent être improvisés en quelques jours ou en quelques semaines ! La construction d’un cours en ligne est un travail conséquent, que l’universitaire ne peut, en général, mener seul, sauf à réduire son enseignement à quelques vidéos. La conversion en quelques jours et dans l’urgence de centaines d’enseignements en cours en ligne est une mission difficile malgré l’enthousiasme de certains. La crise a en effet montré que la qualité de l’enseignement et la satisfaction des étudiants tient en grande partie à la conception du cours et à sa structuration, peut-être plus qu’à la liste des publications scientifiques de l’enseignant. Ce n’est pas un hasard si le métier d’ingénieur pédagogique a fait son apparition pour devenir, en l’espace de quelques semaines, un personnage-clé dans la vie des universités. En l’absence de cette réflexion sur la nature des cours dispensés à distance, l’expérience peut en revanche tourner au flop.
Ceci est le cas même dans les pays où les universités disposent des moyens et des outils nécessaires pour mener à bien, en temps normal, cette expérience. C’est par exemple le cas aux États-Unis, où les étudiants ont même demandé le remboursement des frais de scolarité à cause, selon eux, de la dégradation de la qualité des cours. Certains ont justement attribué cet échec au manque d’accompagnement du corps professoral de la part de leurs institutions. Et même dans les cas où les universités ont tenté d’intervenir, leurs équipes étaient rapidement débordées vu l’important volume de travail à accomplir en temps limité. Ce problème a également impacté plusieurs autres pays tels que la Finlande, l’Allemagne, ou encore la Hongrie, pour ne citer qu’eux. En Allemagne et en Grèce, l’absence de réglementation régissant l’enseignement à distance s’est fait sentir lors de cette crise. En Grèce, certains ont même évoqué l’absence de système de reconnaissance des enseignements acquis à distance.
Un challenge technologique
Le défi technologique est encore plus important dans les pays les plus pauvres. À l’Open University of Tanzania, par exemple, le faible niveau de connectivité Internet et le nombre insuffisant d’ordinateurs étaient des facteurs clés ralentissant l’adoption de l’enseignement à distance. En Afrique, ce problème touche aussi bien les élèves que les enseignants. Outre les problématiques d’accessibilité, la disponibilité de solutions adaptées n’est toujours pas garantie. Car, même si les logiciels de téléconférence peuvent être un bon début, ils ne disposent généralement pas des fonctionnalités clés nécessaires pour la gestion de cours. La bonne nouvelle est que les développeurs de solutions sont en train de puiser dans l’énorme quantité de feedbacks reçus lors de cette crise pour adapter leurs applications.