Comment voyez-vous la période post-COVID en Tunisie ?
Il n’y a pas que du mauvais dans les prochaines années. Une étude menée par la Banque Mondiale, il y a quelques années, a révélé que 80 millions d’emplois vont être délocalisés de la Chine dans différents secteurs. Les entreprises sont manifestement insatisfaites par rapport à un offshoring à outrance vers la Chine et ceci s’est encore accentué à la suite de la crise Covid-19. Ainsi, les opportunités offertes à la Tunisie et à l’espace Afrique du Nord, destinations-cibles de ces relocalisations, seraient multiples.
Comment doit agir la Tunisie pour profiter au maximum de ces opportunités ?
La Tunisie doit revoir, en premier lieu, son attractivité-pays pour capter ces investissements. C’est une responsabilité d’autant plus importante qu’elle doit être partagée entre l’Instance Tunisienne de l’Investissement (TIA), l’Agence de Promotion de l’Investissement Extérieur (FIPA) et le Centre de Promotion des Exportations (CEPEX). En deuxième lieu, les entreprises tunisiennes doivent saisir les changements des priorités de leurs donneurs d’ordre. Désormais, ceux-ci accordent davantage d’importance à la digitalisation de l’entreprise.
En effet, ils ont besoin de s’assurer que leur fournisseur implanté en Tunisie ait des processus parfaitement digitalisés et des plateformes de collaboration à distance qui lui permettent d’opérer de façon continue en période post-COVID. En troisième lieu, les entreprises tunisiennes doivent répondre, en matière de gestion de ressources humaines, aux demandes des donneurs d’ordre. Ceux-ci doivent s’assurer que la destination Tunisie est capable de répondre à leurs besoins en termes de sourcing. Heureusement que sur ce volet, nous sommes tout à fait crédibles et les chiffres le montrent : le secteur automobile œuvre en Tunisie avec un middle management et top management 100% tunisien et Leoni Tunisie, l’une des multiples multinationales dans le secteur présente en Tunisie, exerce avec près de 15 000 employés.
Y a-t-il un problème de gouvernance entre les trois instances d’investissement et de promotion que vous venez d’évoquer qui entraverait une efficacité et une agilité ?
Effectivement, la tendance mondiale va dans le sens d’une fusion des activités de promotion et de développement des investissements et des exportations, en une seule agence. L’équipe devient le porte-drapeau du pays à l’instar de plusieurs pays tels que le Maroc, la France, l’Angleterre, l’Allemagne…
En Tunisie, il y a eu une réflexion sur ce sujet qui a été menée par des gouvernements successifs mais malheureusement, il n’y a pas eu de prise de décision claire et tranchée. Ainsi, la TIA, la FIPA et le CEPEX sont appelés à mettre en place une stratégie claire pour cette période de post-COVID.
Comment faut-il s’y prendre ?
La démarche est louable mais à vrai dire demeure insuffisante notamment avec les opportunités offertes par cette nouvelle délocalisation qui nécessite un réel ciblage. Je pense qu’il est possible d’identifier ces entreprises qui sont en Chine et qui vont relocaliser et de déterminer leurs besoins et leurs preneurs de décision. C’est un travail de « lead generation » qui nécessite un « go to market » mais en mode « one to one ». C’est-à-dire que nous devons aller vers ces entreprises et leur proposer de regarder l’écosystème de l’automobile en Tunisie et leur montrer à quel point il s’est développé. Avec près de 500 acteurs sur toute la chaîne de valeur de l’automobile en Tunisie, il est possible de trouver des fournisseurs et d’obtenir des résultats concrets.
Avec une vision plus globale, quels sont, d’après vous, les secteurs qui nécessitent une aide pour une restructuration en urgence ?
La crise COVID va impacter plusieurs secteurs mais d’une manière différente: à long terme, à moyen terme et à effet immédiat. Les secteurs du tourisme et de l’aviation seront impactés sur le long terme. L’industrie automobile et l’industrie aéronautique seront un peu moins impactées à long terme. Pour les secteurs qui seront lésés à court terme, comme l’industrie pharmaceutique et le textile, ils reviendront à la situation normale dans une année ou deux. Face à cette situation de faible manœuvre budgétaire, il est important d’avoir le courage de dire que les entreprises à sauver sont celles qui ont la capacité de développer de nouveaux modèles économiques pour le monde post-COVID. Ceci entend de reconnaître qu’il y aura d’autres entreprises qui vont disparaître, vu les marges de manœuvres budgétaires assez limitées qu’a la Tunisie.
Comment voyez-vous le salut des secteurs automobile et aéronautique en Tunisie ?
Comme le secteur de l’industrie aéronautique, l’industrie automobile est au cœur de l’industrie manufacturière en Tunisie qui connaît déjà un mouvement de désindustrialisation. Représentant près de 18% du PIB, il est important de venir en aide à ces secteurs et les mesures lancées par l’État, pour le secteur de l’automobile en Tunisie par exemple, restent insuffisantes vu les conditions aberrantes qui y sont associées : assurer une aide de 200 dinars par employé à condition de s’engager à ne faire aucun licenciement alors que ces entreprises vont connaître entre 25 et 50% de baisse de carnets de commande en 2020. L’aide la plus efficace serait, à mon avis, de les soutenir en matière de charges fixes telle que la masse salariale, les aider à protéger leur cash-flow et qu’elle ne soit pas également conditionnée par zéro licenciement.
Par rapport au secteur de l’automobile et de l’aéronautique, il y a de multiples opportunités à saisir notamment avec des PME plus fragiles, qui seront en difficulté en Europe pour la période post-crise. Il est vrai que notre modèle tunisien d’export a ses limites mais, en s’internationalisant, les acteurs tunisiens peuvent réaliser un rayonnement mondial et se positionner comme étant un joueur crédible dans l’industrie automobile et l’industrie aéronautique. C’est en créant des implantations opérationnelles sur leurs marchés cibles et en ce parfait timing, que nos fleurons en Tunisie peuvent marquer leur présence à l’étranger, encore faut-il qu’ils bénéficient davantage de flexibilité en matière de procédures administratives et financières.
Bien qu’elle ait été classée 4ème fournisseur d’Europe dans le secteur du textile, la Tunisie aujourd’hui peine à fabriquer 2 millions de bavettes. Comment vous voyez le devenir de ce secteur ?
L’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a créé des difficultés dans ce secteur en Tunisie et aussi dans beaucoup d’autres pays. Bien qu’elle ait pris beaucoup de temps pour s’adapter à cette nouvelle donne, la Tunisie a réussi à sortir de cette situation d’où on remarque des frémissements de retour sur la scène. Une réussite d’assainissement et de repositionnement sur la chaîne de valeur qui a été réalisée dans un contexte difficile en Tunisie, post-14 janvier. Ce repositionnement a l’air de bien fonctionner mais il doit être renforcé davantage. Sortir du modèle de l’outsourcing, créer son propre brand, sa propre marque et modèle, serait l’étape à venir dans le secteur en Tunisie qui permettra aux acteurs de capturer un peu plus de valeur dans la chaîne de valeur du textile.
Plusieurs tentatives en Tunisie ont vu le jour, des marques qui sont apparues en opérant dans la sous-traitance, l’assemblage, le façonnage… mais en termes de stratégie d’investissement, il reste beaucoup à faire d’où la nécessité de travailler davantage sur l’investissement sur le marché-cible en créant des présences dans différents pays et en faisant en sorte que des marques tunisiennes émergent et deviennent des marques régionales.
Quel est votre mot pour la fin ?
Il est vrai qu’on a pris le tsunami du COVID d’une manière un peu violente mais compte tenu que la situation sanitaire en Tunisie est satisfaisante par rapport à d’autres pays, il faut avoir confiance en notre capacité de bien gérer la situation économique en post-COVID. Une situation assez délicate qui nécessite à la fois une réflexion sur les risques et sur les opportunités de la période COVID et notamment un changement du modèle économique qui permettra d’être plus présent sur les sites des clients internationaux.