Cette digitalisation forcée est supposée s’accentuer après la pandémie. Plusieurs raisons pourraient expliquer cette tendance. D’abord, les solutions digitales sont plus efficientes et plus efficaces que les humains. Des statistiques publiées par le magazine WIRED montrent qu’en moyenne, un algorithme remplacerait 2000 employés de bureau. Ensuite, les entreprises seraient enclines à justifier les investissements réalisés durant la crise pandémique en essayant de les rentabiliser. Enfin, des approches de digitalisation moins contraignantes techniquement, simples à adopter et pas chères incitent les entreprises à passer à une automatisation totale et rapide.
Ce glissement, non-contrôlé, vers l’automatisation fait resurgir à la surface des vieilles craintes : l’éventuel remplacement des humains par des machines.
Le Robotariat, un néologisme proposé par Laurent Teboul, signifiait la substitution des technologies aux employés. Ce phénomène n’est pas nouveau. Nous l’avons connu avec la robotisation de l’industrie. La crainte, aujourd’hui, est que nous sommes en train de robotiser des processus qui sont habituellement assurés par des humains. Et en particulier, le travail de bureau et les processus de prise de décision.
La question qui se pose est de savoir quel secteur serait en mesure d’absorber cette manne ouvrière fraîchement mise à la porte ? Si l’on croit les adeptes de la Théorie du Déversement (Alfred Sauvy) ou encore ceux de la Théorie Autrichienne “Des Cycles” quand on perd de l’emploi dans un secteur donné ou quand on arrive à la fin d’un cycle économique, un nouveau secteur émergerait pour accueillir cette main d’œuvre.
Dans les années 70, il y a eu le déversement des emplois du secteur industriel dans le secteur tertiaire. Plus tard, et à partir des années 90, on a connu le même phénomène lors du passage du tertiaire au secteur de la technologie. Ou encore lors de la crise des « subprimes » en 2008 qui a favorisé l’émergence d’une nouvelle économie. Notamment autour des plateformes digitales et des réseaux sociaux.
La face cachée du progrès
Toutefois, tous ces transferts et déversements se sont effectués essentiellement grâce au “progrès technique”. Les ouvriers de l’agriculture ont quitté les champs pour travailler dans l’industrie grâce au développement de la mécanisation.
Puis, il y a eu l’innovation qui a pris la relève pour assurer les transferts que nous connaissons aujourd’hui.
Le problème est que ce même secteur (l’innovation) est en train de devenir destructeur d’emplois. Des études ont montré que pendant la crise pandémique, le recours notamment aux outils de digitalisation du travail de bureau comme les « robotic process automation (RPA)” s’est amplifié. Les entreprises se précipitent dans l’automatisation des processus habituellement assurés par des humains. Y compris ceux liés à la prise de décision. Une telle automatisation généralisée aboutira à la suppression de milliers d’emplois avec des conséquences catastrophiques sur les économies.
Nous sommes face à une situation qui exige une profonde réflexion sur les modèles économiques et sociaux actuels.
Un retour vers des modèles plus humanisés est plus que jamais indispensable. Des modèles construits sur et autour des valeurs de la solidarité et du respect de l’humain, de la nature et de l’environnement.
Des développements dans ce sens sont heureusement en train de prendre forme. Aux Pays-Bas par exemple, certaines villes ont décidé de profiter de la crise pandémique pour repenser leurs modèles de développement en s’inspirant des principes de la « Théorie du Donut ». Initié par l’économiste Kate Raworth, ce modèle économique promeut notamment un développement durable où justice sociale rime avec préservation de l’environnement. L’économie collaborative, l’économie circulaire et régénérative, l’emploi vert, l’économie solidaire et l’économie environnementale s’inscrivent dans cette pensée.