Le développement durable était le thème de la présentation de Zouhaier Ksibi, prix présidentiel en Chimie et président du laboratoire de chimie des matériaux et catalyse à la Faculté des Sciences de Tunis, à l’occasion de la conférence organisée par l’Université Sésame sous le thème :“Le management face aux enjeux du digital”. L’occasion de prouver qu’on peut concilier développement durable et pérennité économique. Écoutons-le.
Les humains auraient usé le stock de ressources naturelles renouvelables d’une année selon l’organisation Global Footprint Network … en moins de huit mois. Le Jour du Dépassement où les homo sapiens sapiens commencent à puiser de manière irréversible dans les réserves de la Terre, a été “célébré”, cette année, le 2 août dernier — une semaine plus tôt que l’année dernière (8 août). Depuis 1986, date de la première célébration de cette journée, le Jour du Dépassement n’a cessé d’avancer, au fur et à mesure que la consommation humaine augmente.
Le développement durable pour sauver la Terre …
En guise de solution, le développement durable, celui qui “s’efforce de répondre aux besoins présents sans compromettre les capacités des générations futures à satisfaire les leurs”, devient d’après Zouhaier Ksibi, une nécessité et non plus un choix.
Un projet de développement durable, doit répondre à trois piliers essentiels, explique-t-il. Il s’agit des piliers économique, pour assurer la pérennité du projet ; social, pour qu’il profite à la communauté et non pas à une minorité, et environnemental. Le chemin du développement durable n’est pas des plus faciles. Plusieurs escales ont cependant été atteintes. Une production bio, par exemple, est une production qui tient compte de l’aspect économique et environnemental.
Un tel procédé est dit viable, mais pas durable : le côté social est absent. On parle également des processus équitables : c’est lorsqu’on assure le respect des volets économique et social. Encore une fois, ceci n’est pas un projet durable à défaut du respect de l’aspect environnemental.
… et créer de la richesse
Paradoxalement, c’est l’Afrique, et non pas les pays industriels, qui est en retard sur ce volet. Et pourtant, les opportunités d’affaires dans le développement durable sont nombreuses, affirme Zouhaier Ksibi.
La chimie verte, à titre d’exemple, est une nouvelle chimie dont la mission est de concevoir les procédés et les produits chimiques permettant de réduire ou de limiter l’utilisation et la synthèse de substances dangereuses — respectant ainsi le principe du développement durable.
La chimie verte, explique le chimiste, utilise la catalyse qui permet de gagner de l’énergie et du temps. Et puisqu’avec le catalyseur on réduit la consommation énergétique, la sélectivité est améliorée et la production de déchets est minimisée. La catalyse permet aussi d’améliorer le rendement des processus industriels.
Ainsi, aux USA, 90% des produits industriels utilisent la catalyse. On parle aussi de la chimie végétale, qui repose sur l’utilisation de la biomasse (les déchets agricoles). Notre interlocuteur a déclaré que la production de la biomasse mondiale est de l’ordre de 120 milliards de tonnes chaque année, desquelles on n’exploite que 5%. De ces 5% seulement une petite partie est destinée à la chimie végétale afin de produire des solutions chimiques ou des médicaments.
Plusieurs sociétés s’activent actuellement dans ce domaine. Leur but est d’atteindre les 20 à 30% de la biomasse destinée à l’industrie chimique. Quant aux énergies fossiles — qui couvrent 80% des besoins énergétiques actuels — ils s’épuiseront, d’après Zouhaier Ksibi, d’ici la fin du siècle. Malgré cela, la demande ne cesse d’augmenter d’année en année, notamment à cause de la croissance démographique.
Le biocarburant, le bioéthanol en l’occurrence, celui qu’on fabrique à partir du sucre, peut être l’une des solutions à envisager. D’ailleurs, 80% des voitures au Brésil tournent déjà avec le bioéthanol. Il va sans dire que les énergies renouvelables (ER), éolienne, solaire ou encore géothermique, satisferont une grande partie de nos besoins futurs en énergie, si ce n’est la majorité de ces besoins.
Dans le monde, les ER contribuent déjà à hauteur de 24.5% à la production électrique. Ce taux devrait atteindre les 33% en 2025. En Tunisie, seuls 3% de l’électricité est produite à partir des énergies renouvelables ! L’objectif annoncé est de porter ce taux à 30% d’ici 2030.
Le stress hydrique en Tunisie a atteint les 40%, nous annonce M. Ksibi. En d’autres termes, nous ne disposons aujourd’hui que des ressources en eau qui satisfont 60% des besoins. De surcroît, en Tunisie, les trois quarts de l’eau est utilisée pour l’agriculture, un secteur qui n’a toujours pas réussi à optimiser la gestion de cette ressource, d’après le conférencier. Outre la rationalisation de la consommation, il est aussi question de recycler les eaux usées, une pratique déjà adoptée par nombre de pays européens tels que la Belgique, où le taux de recyclage est de 70%, ou encore la Suisse qui a atteint les 80%. Et de conclure : “Il faut investir dans ce domaine”.
À bon entendeur …