Œuvrer pour un nouvel ordre mondial, quoi de plus normal lorsqu’on est deuxième puissance économique mondiale et qu’on aspire sans l’air de rien, à se hisser à la première marche du podium. L’initiative « une route, une ceinture…de la soie » en est l’illustre manifestation. Enchaînant sommets, forums et séminaires faisant intervenir politiques, experts, décideurs et société civile, la Chine ne cesse de dérouler sa force tranquille, son soft power dont elle a fait sa marque de fabrique. Aux grands objectifs les grands moyens pour donner de l’envergure à son projet.
Le diable est dans les détails, dirait-on, la Chine n’en a négligé aucun. C’est à Dunhuang, ville désertique au nord-ouest de l’Empire du Milieu, dans la région du Gansu s’étalant sur une surface de 400.000 km² que les organisateurs ont convié 270 personnes de l’univers des médias et des think tanks venus de 126 pays. Gansu a, de tout temps, été un berceau de la civilisation chinoise et de la culture du fleuve jaune qui a fait d’elle un carrefour entre l’Orient et l’Occident de l’ancienne route de la soie.
L’objet est d’impliquer les médias dans ce projet en renforçant la coopération. Le projet est né lorsque son géniteur le président Xi Jinping avait annoncé en automne 2013 la construction d’une ceinture économique, d’une route de la soie dans le but de mettre en place une coopération gagnant-gagnant entre l’Est et l’Ouest. Visant à renforcer la position de la Chine au niveau mondial, cette liaison entre la Chine et l’Europe passant par l’Afrique emprunte à la fois une route maritime et une ceinture terrestre. Les responsables chinois s’y sont investis pour mettre en place les jalons d’une interconnectivité et d’un rapprochement des peuples favorisant l’inclusion et la prospérité, dans le cadre d’une communauté d’intérêt.
Lors d’une rencontre, parmi tant d’autres le vice-Premier ministre Zhang Gao Li a insisté sur toute la place qu’occupe l’innovation et l’investissement en matière de recherche & développement en Chine.Comme il a insisté sur la préservation de l’environnement, la création d‘emploi et le respect des cultures des pays d’accueil. Zheng Bijian président de l’Institut chinois pour l’innovation et le développement stratégique va droit au but « Il ne s’agit pas de nationalisation protectionniste, c’est une alternative qui associe les capitaux et les forces productives, qui optimise les réformes structurelles et met en place les canaux grâce auxquels on peut construire une communauté d’intérêt commun pour porter la globalisation vers une autre étape ».
Comme l’a bien souligné Christophe Ayad, rédacteur en chef, chargé des affaires étrangères au journal le Monde, «Aujourd’hui, la Chine est une puissance qui a décidé d’assumer son leadership mondial, de prendre en charge le développement mondial pour son propre bien-être, et pour que sa croissance ne soit pas une charge pour le reste du monde ». Un leadership qui n’est point fortuit !
C’est dire qu’en l’espace de quatre ans le projet est passé d’une utopie à la pratique, de la planification à l’exécution. Deux ans plus tôt, lorsqu’on a couvert dans ces colonnes le sommet sino-arabe autour de la route de la soie, aucun projet n’était encore entamé. La Chine avance à forte allure, C’est visible à l’œil nu. D’ailleurs, si à l’époque on parlait de route de la soie, aujourd’hui le vocable a évolué au rythme des projets, c’est de nouvelle globalisation qu’il s’agit, celle bâtie sur une co-construction pour un partenariat gagnant-gagnant avec les nouvelles forces motrices de l’économie mondiale, notamment les pays émergents.
Alfred Schipke, représentant résident du Fonds monétaire international en Chine et Sylvie Matelly, directrice adjointe du think tank « Institut des relations internationales stratégiques (IRIS) et nommée lors du Forum au board du centre de recherches pour les affaires étrangères nouvellement créé, ont tous les deux salué cette initiative qui agit en faveur du libre-échange.
Le plus important c’est qu’elle se focalise sur l’infrastructure, ce qui est généralement le maillon faible de la croissance des pays en développement vu qu’il s’agit généralement d’investissements colossaux, hors de la portée de ces pays. Alfred Schipke mit en avant trois éléments qui lui semblent primordiaux pour mener à bien le projet « une route, une ceinture ». En premier lieu, installer un cadre d’investissement qui garantit un développement durable et inclusif, ensuite mettre en place un cadre financier régulateur pour réduire le risque et permettre une fluidité des flux transfrontaliers.
Finalement, renforcer les capacités en termes de ressources humaines au sein des pays participants. En effet, garantir la bonne exécution des projets en PPP et bien gérer les risques inhérents requièrent des compétences particulières.
Impact en termes de projets
Les IDE de la Chine en direction des pays du Sud ont doublé depuis 2014 pour atteindre 14,6 milliards dollars principalement dans l’infrastructure et la coopération financière. Le volume global des échanges dans le cadre de la route de la soie a atteint les 3600 milliards $ répartis dans 73 zones de libre- échange pleinement assumées. Ces échanges ont généré aux pays d’accueil 1,4 milliards$ en recettes fiscales selon le vice-Premier ministre Zhang Gao Li. Des zones franches aux abords des aéroports internationaux ont été édifiées, des bureaux de représentations ont été créés dans onze pays a déclaré José Antonio Vera de l’agence de presse espagnole l’EFE.
Zhou Wei ingénieur en chef du ministère du Transport chinois a affirmé que les routes, les ports et les aéroports qui ont été construits dans les pays situés sur la route de la soie ont facilité l’interconnectivité de ces pays. Et de préciser « Sur les six corridors prévus, nous en avons déjà construit trois. Nous avons également signé trente conventions avec quinze pays et nous avons créé 356 lignes aériennes (internationales) de fret avec 43 pays. C’est fondamentalement un nouveau palier de l’interconnectivité qui vise à intégrer ce réseau à l’international en facilitant le dédouanement ».
Des projets d’une telle envergure nécessitent à n’en pas douter l’implication et la contribution de les toutes forces de l’économie. José Antonio Véra déclare que 33 entreprises publiques participent à la réalisation de la grande initiative de la route de la soie. Elles ont développé leur site internet en plusieurs langues permettant de se faire connaître par les autres pays en portant à la connaissance de tous les différents projets, tel a été le cas pour l’infrastructure, l’investissement dans un parc industriel, dans l’énergie et pour faire valoir la coopération en matière d’exploitation technologique.
A travers leurs filiales, elles essaient également de se mettre à l’écoute de l’opinion des pays d’accueil. Dans le cadre d’une co-construction, 1600 projets ont été réalisés avec une quarantaine d’entreprises des pays d’accueil dans l’infrastructure et l’énergie. Exemple parfait d’une stratégie qui se dessine au sommet de l’Etat et qui se déploie en actions par les acteurs économiques. C’est dire comment l’économique se met au service du politique ou vice versa.
Sonder le pouls de la communauté internationale
Au bout de quatre ans, une centaine de pays se sont dits favorables pour rejoindre cette initiative. Il en est de même des pays développés, a déclaré Zheng Bijian président de l’Institut chinois pour l’innovation et le développement stratégique.
A dire vrai, au vu de ces réalisations visant un développement commun dans un nouveau contexte mondial, la communauté internationale ne peut que se réjouir et s’en féliciter. L’ONU de son côté a donné son onction à cette immense initiative qui est en train de changer le monde.
En tout état de cause, quoi de plus naturel à ce que La Russie déclare son soutien à ce processus. Pavel Negoitsa, directeur général Rossiyskaya en Russie a affirmé qu’en mai, le président Poutine a souligné le développement d’alliances économiques d’organisations régionales pour travailler en commun pour la mise en place de relations d’un genre nouveau, de nouveaux partenariats afin de s’inventer et de construire l’avenir.
Quels sont les challenges
De son côté Sylvie Matelly tire la sonnette d’alarme en citant les manquements de la première expérience de mondialisation. Elle explique que l’une des erreurs qui ont été commises était l’exclusion d’un certain nombre de pays qui ont d’ailleurs vite rattrapé leur retard provoquant ce qu’il faut appeler le choc des nouveaux pays industrialisés. Et d’insister «Il faut véritablement penser cette initiative dans une perspective inclusive et durable ».
Matelly a également insisté pour que la gouvernance de cette globalisation passe par un système de coopération, et par un système monétaire renouvelé avec de nouveaux équilibres. Elle a rappelé que la guerre des monnaies a mené à la crise financière qui s’est transformée en crise économique.
La directrice adjointe du Think tank Iris a néanmoins lancé cette mise en garde « La seule limite du multilatéralisme est qu’on se bat pour des règles et on s’applique individuellement ou nationalement à trouver les moyens de les contourner. Il y a nécessité à réfléchir sur la question de la méthode ». Enfin, elle a soulevé la question des dépendances et interdépendances. « Les initiatives, dans le cadre de la route de la soie, visent à développer les échanges en diversifiant les économies.
Or on ne développe pas les économies sans diversification des secteurs économiques. Si le commerce porte, par exemple, sur les matières premières sans spécialisation, il serait déséquilibré et créerait de facto des inégalités. Pour que le commerce soit équilibré, il faut qu’il soit diversifié. » a –telle stipulé. Quand bien même la question du financement a été prise en compte, à travers la création de la Banque internationale asiatique constituée de 65 membres et la mise en place d’un fonds dédié à la route de la soie avec des taux réduits, des interrogations subsistent. En effet, les donneurs d’ordre sont dans certains cas des pays aux ressources limitées, notamment en Afrique, qui pourrait alors intervenir en cas de défaut.
La Chine ne faisant pas partie du Club des 5, elle ne pourra compter sur l’appui du FMI. De son côté, Ottis Bilodeau Bloomberg affirme que cette initiative représente une opportunité pour les investissements dans l’infrastructure et dans la finance. Toutefois, certains risques afférents ne peuvent être occultés. C’est pour cette raison que certains investisseurs restent prudents. Il se fait encore plus précis suite à l’ouverture du compte capital en Chine et la convertibilité, il y aura plus de disponibilité pour la construction . Il se fait encore plus précis que Bloomberg s’engage à promouvoir cette question.
Quel rôle pour les médias ?
Indéniablement, le but ultime du forum était de renforcer le rôle des médias dans ce processus. Yang Zhenweu, président du Quotidien du peuple et hôte de l’événement a plaidé pour une meilleure coopération dans le sens de la responsabilisation. Il a attesté que la Chine a créé un environnement favorable à une dynamique permettant de franchir les frontières. Et de claironner « Nous avons fait la jonction du continent et de la mer, ces success stories méritent d’être publiées ».
Il propose un partage des news et du contenu technologique, la réalisation de reportages ainsi que l’organisation et la diffusion d’interviews en commun. Il affirme d’ailleurs que le défi à relever pour le métier exige une meilleure coopération, l’application de nouvelles technologies et la multiplication des canaux de transmission de messages nécessitant la formation des talents de qualité pour un travail de qualité. Il annonce à ce titre la création d’un centre culturel de la route de la soie et la signature d’un protocole d’entente avec 33 médias provenant de 30 pays.
Temps fort et moment de vérité : lors de la visite effectuée à leur siège à la marge du Forum, force est de constater des équipements et des process à la pointe de la technologie laissant admiratifs des patrons de médias des pays les plus développés. Ils ont déclaré que la multitude de réseaux sociaux connectent tous les jours 600 millions de visiteurs. Eux qui disent s’intéresser aux big data, ils sont l’incarnation du super big data. Reste à en connaître les motivations et les desseins peu ou prou déclarés. Certaines voix ont soulevé la question de la liberté d’accès à l’information en Chine.
L’envoyé du Financial Times a énuméré la liste des sites internet auxquels on ne peut accéder, limitant ainsi le partage d’information et l’accès de l’information en dehors des médias chinois, quand bien même le site du quotidien Financial Times est d’accès libre. De son côté, Christophe Ayad n’a pas manqué de sortir ses griffes en déclarant que même si la route de la soie a été conçue sur un dialogue mutuel, les citoyens chinois ne peuvent lire le journal le Monde en Chine. Les Chinois apprécieront !