Hayet Nasra, lauréate du secteur artisanat, prix CDC
Quand nous évoquons le nom de Gafsa, nous nous replongeons obligatoirement dans plus de huit mille ans d’histoire. Nous écoutons l’écho des civilisations qui s’y sont succédé; des Capsiens aux Romains, des Byzantins aux Berbères, tous ont contribué à forger cette identité propre à la ville. Une identité qui se transmet désormais de génération en génération, attisant la curiosité et l’intérêt du monde entier.
Et c’est en prenant à cœur de promouvoir l’héritage que lui ont légué ses ancêtres, que madame Hayet Nasra, a débuté son aventure, une succes-story made in Tunisia !
Encore enfant, l’amour du tissage est apparu chez cette femme comme une évidence. Regardant sa mère tisser, elle a appris ces faits et gestes ancestraux et en a vite fait sa vocation : « le tissage faisait partie intégrante de notre vie, c’était notre source de revenu, notre présent et notre avenir »
Après trois ans d’études à l’Institut supérieur des beaux-arts de Bizerte, madame Nasra fraîchement diplômée a enchaîné les formations et a appris auprès du maître tisserand Hmida Wahada, l’essence même du tissage gafsien, ses couleurs et ses formes : « je me sentais apte à reprendre le flambeau et à faire revivre notre artisanat en lui impulsant une jeunesse nouvelle ». Ses ambitions grandissantes, madame Nasra a quitté son emploi au sein de l’office national de l’artisanat afin de fonder sa propre entreprise.
Elle a débuté seule dans la peau d’un auto-entrepreneur, elle est désormais à la tête de plus de 40 jeunes femmes auxquelles elle inculque le métier et un savoir-faire qui vaut de l’or. Soutenu dès 2012 par Souk At-tanmia, le projet de madame Hayat a pu se développer et s’offrir un allié de taille. Enchainant les formations avec la GIZ et l’ONUDI, la self-made tunisienne s’est surtout montrée à la hauteur de cet art qu’elle promeut. Travailleuse acharnée et assoiffée de modernisme, elle s’est hissée au rang des plus grands artisans tunisiens et a fait de sa détermination son principal cheval de bataille.
« Si mon entreprise est aujourd’hui prospère, c’est en raison de l’amour que ces jeunes tisseuses et moi-même portons à notre métier, la clé de la réussite réside dans le respect du travail de ces filles et dans le fait de le valoriser. Grâce au tissage, elles parviennent à vivre dignement et à se bâtir un avenir. Nombre de personnes ne voient en ce travail qu’un métier archaïque, moi j’ai su valoriser leur savoir-faire et leur redonner espoir à un moment où l’artisanat tunisien s’effondrait littéralement »
Et si les tapis de madame Hayet sont tant prisés aujourd’hui, c’est en raison de la modernité que leur a insufflée cette dernière. En perpétuelle recherche d’innovation, notre artisane est calée aussi bien sur le plan technique qu’esthétique. Privilégiant des couleurs sobres et harmonieuses, choisissant des motifs épurés mais toujours traditionnels, madame Hayet s’est vu ouvrir les portes des plus grandes expositions internationales.
De Frankfurt à Amsterdam, en passant par Strasbourg, cette femme a propulsé l’artisanat tunisien au rang d’art. « En me promenant parmi les expositions du monde entier, j’ai pris conscience que notre artisanat était l’un des plus ancrés dans son histoire, celui qui, à l’image des hiéroglyphes, retrace l’histoire d’un peuple ».
Les motifs utilisés rappellent évidemment les traditions du sud tunisien telles que la « jahfa », ou la procession de la mariée sur dos de dromadaire de la maison de son père, à celle de son époux. Cette culture hélas perdue au fil des années retrouve toute sa splendeur dans le tissage de madame Hayet, elle embellit aussi bien nos sols que nos murs avec des tapisseries uniques en leur genre.
La qualité totale, sinon rien
Mais cette réussite ne s’est pas faite en un jour, des années de dur labeur ont été nécessaires pour faire de cette entreprise ce qu’elle est aujourd’hui. Le plus grand problème avoue madame Hayet Nasra a été la promotion de son produit : « nous avons en Tunisie des personnes, hautement qualifiées, qui sont capables de faire des merveilles de leurs mains, mais nous manquons cruellement de formation sur le volet marketing, c’est sur ce point que je me suis donc concentrée ».
Et c’est peu de le dire puisque notre tisseuse s’est convertie en véritable femme d’affaires, en affichant ses produits dans les plus grandes foires internationales et en fidélisant ses clientèles étrangères telles que « Habitat » en France. Elle signe et marque également sa présence sur les réseaux sociaux, où elle expose fièrement ses créations.
Ses projets à venir sont tout aussi ambitieux, puisqu’elle envisage de mettre en place une unité de teinture végétale, pour pallier la pénurie et la mauvaise qualité de la matière première en Tunisie. La qualité totale, sinon rien. Pour donner tout son lustre à la chaîne de valeur.
Madame Hayet Nasra s’est pour ainsi dire forgée cette réputation ; elle a su faire preuve d’originalité en transformant cet art vieux de plus d’un millénaire en une façon tendance de décorer son intérieur.
Pour madame Hayat la réussite, c’est avant tout de croire en ses capacités et d’aimer ce qu’on fait. Elle encourage tous les jeunes Tunisiens à reprendre le flambeau et à faire du savoir-faire et de la culture tunisienne le levier d’une économie prospère. « Rien n’est plus beau que de voir son travail et ses créations recueillir le succès qui leur est dû, c’est une satisfaction personnelle mais également une manière de redorer l’image de notre pays ». Qu’elle porte au plus profond d’elle-même. Décidément, elle a le patriotisme autant que l’art qui lui collent à la peau.