Philippe Gauguier, associé In Extenso Tourisme Culture & Hôtellerie du groupe Deloitte
En 2017, la part du tourisme dans le PIB mondial est de 10%. Selon le dernier rapport de l’Organisation mondiale du Tourisme, 1,2 milliard de touristes ont voyagé à travers le monde en 2016. Ce chiffre devrait atteindre 1.8 milliard d’ici 2030. Le tourisme a représenté 7% des exportations mondiales, soit 1400 milliards de dollars. Dans de nombreuses économies en développement et en transition, le tourisme est devenu l’outil dominant de la croissance économique. Le tourisme d’affaires représenterait 13% du total des motifs de voyages en 2016. Il serait responsable de plus d’un emploi sur dix dans le monde. En France, le secteur représente à lui seul 29 milliards d’euros selon l’EPSA. Aux Etats-Unis, selon US Association Travel, il totalise 2,6 millions d’emplois ! Pour mettre en lumière les enjeux et les perspectives du secteur de tourisme d’affaires, nous nous sommes entretenus avec Philippe Gauguier, associé In Extenso Tourisme Culture & Hôtellerie du Groupe Deloitte. Focus.
Sur le podium du classement annuel de la performance du tourisme MICE de l’Association internationale des congrès et des conventions (ICCA), la Tunisie est classée 92ème dans la hiérarchie mondiale des destinations congrès pour l’année 2016. Le chemin est long! Selon Philippe Gauguier, bien qu’en période de crise, les dépenses MICE soient les premières à être sacrifiées, le secteur est en croissance. On constate un appétit grandissant des entreprises pour cette activité et une vraie concurrence continue à se développer.
Un secteur qui booste le tourisme de loisir
Professionnalisme. Les congrès sont un levier important pour développer l’image de la Tunisie à l’international et pour le redéploiement de l’activité loisir dans laquelle la Tunisie a une position de force majeure au niveau du bassin méditerranéen. Philippe Gauguier souligne un point important: les touristes d’affaires sont moins sensibles aux coûts que les touristes de loisirs, dépensant en moyenne deux fois plus par jour. “Avec le tourisme d’affaires, on n’a pas droit à l’erreur car les coûts engagés sont importants pour une entreprise. Le moindre grain de sable peut remettre en cause le succès de l’événement. C’est là où la Tunisie a le plus de progrès à faire” souligne l’expert. Le professionnalisme doit être le mot d’ordre et doit s’engager sur toute la chaîne de valeur : du transport, à la restauration en passant par les chambres d’hôtel et le service de conciergerie. “Toute la chaîne de valeur doit être cohérente car la clientèle est extrêmement exigeante”. Et plus le client est important, plus l’image de la Tunisie sera véhiculée auprès d’un plus grand nombre.
Le client individuel vs. le groupe. Pour Philippe Gauguier, il faut distinguer ces deux clientèles d’affaires. Le chef d’entreprise qui vient visiter sa société ou des clients en individuel a recours à une catégorie d’hôtels qui peut aller de l’économique jusqu’au grand luxe en fonction de son statut. Il va rechercher tous les espaces et équipements nécessaires au métier (ordinateurs, wifi, co-working, imprimantes, etc.). Mais quand on parle de tourisme d’affaires de groupe (séminaire d’entreprises, congrès, expositions), c’est une clientèle différente qui va utiliser des surfaces de réunions, et qui va diffuser plus largement l’image du pays. Ces deux types de clientèle nécessitent deux approches de commercialisation différentes.
Se frayer une place au soleil : quelques pistes
Changer de culture. La Tunisie regorge de ressources liées à son climat, à sa géographie, à sa richesse culturelle. Une installation telle que le Palais des Congrès pourrait exister dans plusieurs régions pour enrichir l’expérience client, recommande Philippe Gauguier: “Même quand on organise des séminaires extrêmement sérieux, le plaisir qu’on va avoir de se déplacer est une vraie clé de succès. Donc l’image touristique dont dispose le pays est un déterminant”, témoigne-t-il. Ensuite, les deux ingrédients nécessaires sont la capacité litière et les installations d’espaces d’auditorium adaptés en fonction de la taille des congrès. Il est à noter qu’en termes quantitatifs, la capacité de logement en Tunisie s’est considérablement développée, passant de 100 000 lits en 1987 à 226 000 lits en 2004 et atteindra 300 000 lits d’ici 2025. L’accès prolongé aux chambres d’hôtel peut encourager les voyageurs d’affaires à prolonger leur séjour avant ou après leurs réunions d’affaires. La pratique courante en matière de check-in et de check-out les décourage. Certaines chaînes hôtelières aux États-Unis proposent désormais des horaires d’enregistrement dès 7h00 et des départs tardifs à 18h00. Les pays recherchent de plus en plus de moyens pour renforcer leur attractivité en tant que destination de congrès. Par exemple, la Baie de Subic, aux Philippines, a converti une ancienne base navale des États-Unis en une zone de libre-échange, accueillant un aéroport et des places de congrès. 280 sociétés américaines ont ouvert des établissements sur le site, y compris 802 chambres et des salles de réunion pouvant recevoir jusqu’à 1000 personnes. La Baie de Subic propose des écuries, une piste de karting et plus de 20 000 acres de forêt vierge. Le complexe propose également un camp d’entraînement à la survie dans l’environnement de la jungle, qui organise des visites guidées par des membres de la tribu Aeta locale qui ont entraîné des soldats américains à acquérir des compétences de survie dans la jungle. Par ailleurs les voyageurs d’affaires sont les plus susceptibles de profiter des activités touristiques auxiliaires. Une étude récente menée par la National Golf Foundation aux États-Unis a révélé que les golfeurs voyageaient plus fréquemment et restaient plus longtemps que les non-golfeurs.
Un coordinateur unique. La croissance du tourisme d’affaires nécessite la coopération de divers acteurs nationaux, notamment les aéroports, les compagnies aériennes, les transports terrestres, les hôtels, les centres de congrès et les services de soutien au tourisme. Le succès d’une destination congrès, explique Philippe Gauguier, est souvent d’avoir un coordinateur qui va pouvoir organiser de A à Z l’ensemble de la démarche, une sorte de bureau des congrès avec un guichet unique, tout en s’assurant que le coût final est compétitif.
Le tourisme d’affaires domestique. La clientèle nationale est fondamentale dans ce secteur, préconise Philippe Gauguier. “Pour développer cette activité, il faut déjà être sûr que pratiquement la moitié de la clientèle peut venir du tissu local et national” indique l’expert.
La technologie et l’internet. Comme dans d’autres secteurs d’activité, internet joue un rôle de plus en plus important dans la promotion du tourisme d’affaires. “L’une des premières préoccupations d’un client chef d’entreprise est de s’assurer que le Wifi va marcher à toute vitesse” indique Philippe Gauguier. Par ailleurs; la billetterie électronique fait partie des fondamentaux. Les voyageurs d’affaires s’habituent à un environnement «sans billet» pour voyager. Dans le même sens, les systèmes informatisés de réservation d’hôtels permettent d’enregistrer les détails de préférence du client sur la base de demandes faites pendant un séjour, et ainsi, de reproduire cette expérience lors de la prochaine visite. Aussi, il est à noter que les voyageurs d’affaires seront les plus susceptibles de profiter des activités touristiques auxiliaires s’il existe des options faciles et rapides leur permettant de prolonger leur séjour en termes de politiques d’enregistrement, de check-out ou d’extension de visa. Le timing est également primordial : s’assurer que les activités hors site fonctionnent à temps, de sorte que les voyageurs puissent respecter leurs engagements professionnels.
Les dernières tendances du secteur
Les co-working space. Pour Philippe Gauguier, cette tendance importante est de plus en plus observable. L’hôtelier commence à se diversifier, et on voit de plus en plus des surfaces de rez-de-chaussée aménagées de façon plus informelle, dédiées à de multiples activités et ouvertes 24h/24. Ces espaces permettent de renflouer les caisses puisqu’elles engendrent un chiffre d’affaires supplémentaire. “Maintenant, la tendance est d’avoir des chambres plus petites pour gagner et élargir les surfaces de co-working. Vous gagnez aussi en notoriété en dégageant une image de professionnalisme”, explique Philippe Gauguier.
Extension des services de l’hôtel à une clientèle locale. “Si on va plus loin on peut observer un service de conciergerie utilisé par une clientèle locale”, témoigne Philippe Gauguier. C’est d’ailleurs l’idée du Groupe Accor qui a débuté par les services de pressing.
Les nouveaux métiers. La croissance du secteur va de pair avec l’émergence et le renouveau du métier de concierge. Avec des attentes de plus en plus complexes et diversifiées voir inattendues, les grandes sociétés de conciergerie prendront de plus en plus de place dans l’organisation d’événements et dans la bonne marche d’un hôtel, explique Philippe Gauguier.
Les créneaux porteurs
Questionné sur les créneaux où l’organisation de congrès est la plus fréquente, Philippe Gauguier n’hésite pas : ce sont ceux de la chimie, de la pharmacie, de la santé, et des laboratoires. Et ensuite, viennent les professions libérales : notaires, experts-comptables, avocats, … C’est là que se trouve la base importante de la clientèle et les marchés porteurs. “Il faut savoir que beaucoup de congrès sont tournants, ils vont changer de destination presque tous les ans, pour aller sur des destinations où l’activité, l’entreprise, et les associés sont présents. Il y a donc cette double cible sur laquelle il faut travailler : celle de la clientèle de masse qui tourne autour du médical mais il faut également creuser vers les secteurs où les entreprises sont implantées en Tunisie et qui seront vos ambassadeurs pour faire venir leurs entreprises et partenaires”, témoigne Philippe Gauguier.
Ils vont révolutionner le secteur…
Dans son étude “Travelling with millennials”, The Boston Consulting Group révèle que la génération Y représentera près de 50% des voyageurs en 2020, apportant avec eux de nouvelles habitudes de voyage et des attentes très différentes de celles des générations précédentes. Constat significatif : leur présence ne cesse de croître ! Les opérateurs du secteur se démènent pour capturer cette nouvelle gent de voyageurs. Dopée aux technologies, les appareils connectés sont omniprésents chez la génération Y, plus que tout autre groupe. Avide de nouvelles expériences et de contacts avec les populations locales, cette génération privilégie l’expérience au confort. Ce qui la caractérise le plus est qu’elle s’adonne aux pratiques du blurring et bleisure, un monde où vie professionnelle et vie privée s’entremêlent pour joindre l’utile à l’agréable. Les voyageurs de la génération Y sont plus susceptibles de prolonger un voyage d’affaires en vacances de loisirs que les employés plus âgés. Selon une étude effectuée par Expedia en 2013, 62% des 18–30 ans l’ont fait, contre 51% des 31–45 ans et 37% des 46–65 ans. Les millennials sont également plus susceptibles d’exprimer leur mécontentement en ligne, et ceux âgés de 18 à 30 ans sont les plus nombreux à le faire. La majorité des employés (67%) ont tendance à enregistrer certains types d’informations personnelles en ligne pour rationaliser le processus de réservation. Et les employés de la génération Y ont plus de facilité à le faire que leurs homologues plus âgés. Pour Philippe Gauguier, il s’agit d’une génération moins protocolaire mais plus exigeante sur certains détails. Tout ce qui est esthétique et peut faire l’image d’un palais des congrès ou d’un hôtel va être secondaire. Toutefois, ce sont les équipements techniques, tels que le Wifi, la sono, etc. sur lesquels elle porte son attention. “A ce niveau, c’est une génération sans concessions. La génération Y sait jusqu’où on peut aller d’un point de vue qualité, et elle est très sensible à ces détails”. Il va sans dire que le poids de la Génération Y dans le chiffre d’affaires des hôteliers est colossal. C’est pourquoi la chaîne d’hôtels Radisson a lancé des établissements pensés et conçus pour cette génération. Elle propose une application « concierge 2.0 » où tous les services sont connectés (check in, commande, restauration, …). L’aménagement des espaces a été entièrement repensé : salles de réunion high tech, salles de jeux, studio photo et galeries. Les chambres deviennent plus fonctionnelles, aménagées d’une table, d’un bureau et d’un sofa. C’est à proprement parler l’hôtellerie qui se réinvente. Tout comme les baby-boomers ont marqué les ruptures sociales d’après-guerre, la génération Y reconfigure les habitudes et refaçonne à sa manière le futur.