Par Bassem Neifer, analyste à AlphaValue
Le poids du tourisme dans l’économie tunisienne n’est pas à démontrer. Les derniers chiffres de l’INS montrent que hors agriculture, il s’agit de l’un des secteurs qui ont apporté le plus de valeur ajoutée durant le premier trimestre 2018.
Mais le tourisme est aussi le malheur de certains établissements de crédit. Lors de la dernière communication financière de la STB, le management de la banque a affiché un chiffre effrayant : 1,250 milliard de dinars de dettes carbonisées, pour une capitalisation boursière qui ne dépasse pas les 650 millions de dinars !
Le secteur financier ne ressent pas encore l’impact réel de cette catastrophe, pour le moment, grâce aux réglementations en vigueur. En effet, en vertu des dispositions de la circulaire de la BCT N° 2015–12, les établissements de crédit peuvent reporter le paiement des tombées en principal et en intérêts échus ou à échoir en 2015 et 2016 au titre des crédits accordés aux entreprises opérant dans le secteur touristique.
Les dispositions de cette circulaire ont continué à être applicables aux créances échues en 2017. Pour la STB, cette circulaire lui a permis d’éviter la constitution de provisions additionnelles de l’ordre de 40,674 millions de dinars au titre des créances classées 4. Les engagements des entreprises ayant bénéficié des mesures exceptionnelles s’élèvent à 534 millions de dinars (provisionnés à hauteur de 49 millions de dinars).La première banque publique n’est pas la seule à subir les conséquences de la crise du secteur.
La liste est longue et il suffit de consulter les rapports des commissaires aux comptes. Par exemple, l’Amen Bank a constitué dans ses comptes des agios réservés en liaison avec ses relations opérant dans le secteur touristique de l’ordre de 40,831 millions de dinars.
Une loi de dernière chance
Au vu de cette situation, le projet de loi qui a été remis à l’ARP depuis plus d’un mois par le Gouvernement a du sens. Le texte offre une échappatoire aux banques publiques, clairement les plus exposées à ce fléau de créances classées. Aujourd’hui, un établissement de crédit privé peut trouver un accord à l’amiable avec un emprunteur en faillite et accepter de solder les comptes même avec un montant inférieur à la dette initiale.
Ainsi, les montants provisionnés auparavant peuvent faire l’objet d’une reprise et réintégrer le compte de résultat avec un signe positif.
Mais ce mécanisme n’est pas possible dans le cas des banques publiques, qui n’ont pas le droit de laisser tomber un seul millime de la dette initialement octroyée. Cela pose clairement une série de problèmes au niveau opérationnel. Selon le Gouvernement, l’objectif est de récupérer 6,5 milliards de dinars de créances classées, tous secteurs confondus.
Un chiffre astronomique à notre sens et qui ne pourra jamais être atteint. D’ailleurs, est-ce que le projet de loi sera adopté ? Devant les tractations politiques actuelles, il est plus que probable de qualifier cette initiative législative d’ « une porte ouverte à la corruption ». Indépendamment de cela, le projet reste une opportunité pour nettoyer les bilans des banques.
Boudé du financement
Avec cet historique, le tourisme est loin de figurer parmi les destinations préférées du capital tunisien. Il s’agit là de l’un des secteurs absents de la Cote de la Bourse de Tunis. D’ailleurs, nous voyons mal comment un dossier d’un établissement hôtelier pourrait passer.
Pour les investisseurs, il est très difficile de convaincre de la viabilité d’un projet dans un secteur aussi fragile. Les revenus de nos établissements souffrent généralement de la forte saisonnalité, surtout ceux qui basent leurs modèles économiques sur le balnéaire. Plusieurs fonds et capitaux- risques ont banni le tourisme des secteurs éligibles au financement.
Nous pouvons également constater les difficultés du secteur à partir des chiffres des compagnies de leasing. Au premier trimestre 2018, le tourisme n’a bénéficié que de 62,492 millions de dinars d’accords de financement, sur un total de 744,375 millions de dinars pour l’ensemble de l’économie, soit 8,4% seulement.
Un nouveau modèle économique s’impose
D’un autre côté, si un projet est capable de corriger la saisonnalité des revenus, la principale entrave à une bonne profitabilité des investissements touristiques, il a de fortes chances pour décrocher de bons tickets de financement.
Parmi les segments attractifs, nous retrouvons le tourisme d’affaires. La Tunisie est déjà l’une des destinations les plus connues en matière d’activité de congrès, mais le volume reste insuffisant. L’activité des voyages d’affaires, de foires et salons reste peu développée pour une simple raison : notre économie n’a pas la taille nécessaire pour organiser des événements capables d’attirer des milliers de visiteurs étrangers.
Nous manquons d’infrastructures et de thèmes, qui sont globalement confisqués par les autres pays. Il y a aussi le tourisme golfique. C’est une excellente piste capable d’attirer un nombre élevé de touristes fortunés et qui peut faire remplir nos hôtels après la fin de la haute saison estivale. L’émergence du golfeur nomade et la démocratisation du golf qui a suivi, l’apparition de cartes de fidélité offrant des green fees à prix cassés, l’arrivée d’Internet et des réservations en ligne donnent de grandes chances pour réussir dans ce segment.
Mais cela ne suffit pas. Même ces segments porteurs pourraient ne pas marcher si le pays restait dans son état actuel. Pour fidéliser les visiteurs et recruter d’autres en permanence, il faut les convaincre par la qualité de vie en Tunisie, ce qui n’est pas facile à faire avec ce que nous vivons chaque jour.