Abraham Lincoln, 16ème président des Etats-Unis, qui a dirigé le pays lors de la pire crise constitutionnelle et militaire de son histoire, disait: “Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance !”.
C’était à l’occasion de la deuxième édition du Tunisian African Empowerment Forum, organisé par le TABC, les 17 et 18 juillet 2018, que se sont réunis un parterre de ministres, représentants des secteurs public et privé, société civile, directeurs de centres de formation et universités, venus des quatre coins du continent, autour d’un objectif: échanger et débattre pour faire de la Tunisie et de l’Afrique un hub de l’enseignement supérieur et de la formation et hisser le continent sur la route des puissances mondiales.
Cette deuxième édition vise en priorité à internationaliser le savoir-faire tunisien en matière d’enseignement supérieur et de formation professionnelle, orienter le choix des étudiants vers la Tunisie et développer la coopération Sud-Sud.
La Tunisie, terre d’expertise mais aussi d’obstacles
En ouverture du Forum, Bassem Loukil, président et fondateur de TABC a exprimé son souhait de voir émerger un Erasmus africain, à l’image de l’excellence des pays européens, “un programme intercontinental et pluridisciplinaire d’échanges estudiantins pour un semestre ou plusieurs, qui permettrait à nos enfants de réaliser, en parcourant l’Afrique, leurs rêves d’ailleurs”.
Bassem Loukil pointe du doigt un élément fondamental: “éduquer ces jeunes ne suffit pas, encore faut-il les éduquer intelligemment”. Par- là se pose indubitablement la question de l’adéquation des formations aux réalités du marché du travail, que ce soit au niveau du pays, du continent, mais aussi et surtout du monde. Pour le responsable, il s’agit d’“axer leur formation sur des qualifications opportunes, qui leur permettront de trouver des emplois intéressants mais aussi lucratifs. Et pour ce faire, les offres de formations universitaires et techniques doivent être pertinentes, adaptées et constructives.” Rappelant que les moins de 25 ans représentent près de 65% de la population du continent africain, et que les défis ne pourront être relevés qu’à travers une vision commune et globale.
Bassem Loukil rappelle que “la Tunisie bénéficie d’une expertise éducationnelle et universitaire de plus d’un demi-siècle, et elle est en mesure de former un grand nombre d’étudiants sub-sahariens dont le chiffre reste actuellement en deçà de ses possibilités: 6500 contre 12 000 en 2010 .A noter que la Tunisie, pour commencer à y remédier, a accordé, au cours de l’année universitaire 2017/2018, 544 inscriptions universitaires à 35 pays africains dont 306 inscriptions dotées de bourses, soit une augmentation de 272% par rapport à l’année universitaire 2009–2010”.
Le responsable déplore néanmoins les obstacles persistants et freinant l’arrivée d’étudiants étrangers, citant notamment la longueur et la difficulté de la procédure d’obtention d’une carte de séjour, les quotas restrictifs imposés quant à l’accès aux institutions d’enseignement public et qui freinent les possibilités d’inscription d’étudiants qui ne souhaitent pas ou n’ont pas les moyens de s’orienter vers les établissements privés.
Mark Arthur, président de l’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT) a informé que l’association travaille en étroite collaboration avec TABC pour lever les barrières auxquelles sont confrontés les étudiants africains. Il a par ailleurs soulevé la nécessité d’encourager les étudiants à s’orienter vers des initiatives entrepreneuriales.
“En Tunisie, la formation professionnelle est de nos jours synonyme d’emploi et d’employabilité. Son adéquation au marché du travail permet l’intégration professionnelle de 60 à 70% des diplômés, et ce, dès la première année” précise d’emblée Faouzi Abderrahman, ministre de la l’Emploi et de la Formation professionnelle.
La mise à niveau des centres et la création d’autres spécialités telles les TIC, les métiers de la mer et l’économie bleue, font partie des priorités du ministère ainsi que l’augmentation de la capacité d’accueil de 25 000 apprenants. “Nous avons décidé dans ce sens la création d’un office des œuvres de la formation professionnelle, qui représenterait l’un des projets phares de la valorisation de la formation professionnelle. Un décret a par ailleurs été déposé auprès du Premier ministère. Cet office a pour objectifs l’amélioration des conditions de vie afin d’obéir aux normes internationales, ainsi que de permettre aux directeurs des centres de se concentrer sur le côté technique et pédagogique.” informe le ministre.
Dans le cadre de l’ouverture vers le continent, Faouzi Abderrahman a déclaré que “le ministère s’est engagé au développement et à la mise en œuvre de différents types de programmes de coopération bilatérale ou multilatérale. “En matière de collaboration nous réservons un nombre de postes de formation aux jeunes stagiaires dans des spécialités très demandées par le marché de l’emploi africain. Nous comptons des jumelages avec un certain nombre de centres de pays frères et amis. Nous fournissons également des stages de perfectionnement technique et pédagogique avec des pays du nord et les pays du sud dans les secteurs et les spécialités qui ne sont pas dispensés dans les pays d’origine en ce qui concerne la formation et le perfectionnement des formateurs et des tuteurs. Nous travaillons aussi, en coopération triangulaire avec nos partenaires. Cette coopération se rapporte à la programmation de formation de formateurs dans les domaines de l’électricité, du bois, de l’habillement et de l’hôtellerie, à la formation des jeunes dans les domaines de l’industrie agroalimentaire, de la maintenance industrielle, du forage, de la soudure et de l’Informatique industrielle. Je cite également la coopération triangulaire dans les secteurs du bâtiment et travaux publics, tourisme et hôtellerie et cuir et chaussures”
Des ambitions qui prennent forme
Slim Khalbous, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a vanté les avancées de la Tunisie en matière d’enseignement supérieur et d’ouverture sur le continent africain. Rappelant au passage que le pays est un pionnier en la matière avec la Zitouna, fondée en l’an 737, première université du monde arabe. Actuellement dotée de 750 structures de recherches, près de 22 000 enseignants et de 300 000 étudiants, la Tunisie a été classée première en Afrique en nombre de recherches. Le ministre évoque la quarantaine de nationalités présentes dans l’effectif des étudiants, dont 75% sont des Africains, et informe que l’ambition du ministère est d’atteindre 10% d’étudiants étrangers dans l’effectif total d’ici 2 ans. L’accréditation internationale fait également partie des priorités actuelles sur lesquelles travaille le ministère.
Deux axes majeurs guident l’ouverture vers l’Afrique selon Slim Khalbous: le partage du savoir entre la Tunisie et l’Afrique et l’amélioration de l’attractivité de la Tunisie en tant que destination pour l’enseignement supérieur et la formation professionnelle. Mentionnant au passage que la machine de l’ouverture vers l’Afrique est déjà en marche, avec, à son actif, un arsenal d’accords de coopération d’ores et déjà conclus avec plusieurs pays d’Afrique (la Mauritanie, avec la délocalisation des concours de prépa, le Mali avec la coopération dans la formation des formateurs, le Tchad, l’Algérie, le Gabon, Djibouti, et bien d’autres). Le ministre précise que pour chaque pays, la Tunisie a adopté un système de coopération spécifique.
Création d’une nouvelle agence pour l’accueil des étrangers en Tunisie
Les paroles sont toujours mieux perçues, lorsqu’elles s’accompagnent d’actes. Dans son allocution, Slim Khalbous a annoncé une série de décisions non des moins enthousiasmantes. “Depuis l’année dernière, nous avons élargi l’ouverture des universités publiques aux étrangers, 75% des bourses sont accordées aux pays africains. La deuxième décision est relative à la création d’une agence d’accueil des étrangers en Tunisie pour les accompagner dans les démarches d’installation: procédures administratives, octroi de logements, etc. En troisième lieu, le lancement de l’université franco-tunisienne, qui permettra aux étudiants de bénéficier d’un double diplôme tunisien et européen.” Mais tout cela n’a de sens que dans le cadre du développement Sud-Sud, conclut le ministre.