Si le plomb, l’une des dix substances chimiques les plus nuisibles à la santé a été éliminé pour certains produits tels que l’essence sans plomb, l’utilisation des peintures contenant un taux élevé de cette matière reste très répandue et constitue encore une source importante d’intoxication.
Pour présenter les dangers, les défis auxquels font face les entreprises œuvrant dans ce secteur et les moyens pour y remédier, un séminaire de deux jours a pris son envol aujourd’hui, 19 juin 2018, sous le thème inédit « Production et consommation durables dans la région du sud de la Méditerranée: substitution du plomb dans la peinture industrielle en Tunisie» à l’espace l’Arena, Les Berges du Lac.
Organisé par SwitchMed, l’initiative qui soutient et met en relation les parties prenantes afin de renforcer les innovations sociales et écologiques en Méditerranée, cet événement a pour but d’amener les professionnels et les décideurs à s’engager volontairement à switcher vers une consommation et une production propre. Cette action, notons-le, s’intègre dans le cadre du développement d’un projet pilote sur l’élimination du plomb dans la peinture en Tunisie baptisé MedTest.
«Ce projet pilote a été lancé à partir des études de cas réalisés sur les produits toxiques, dont le plomb, ingrédient utilisé pour rehausser la couleur de la peinture», a indiqué Kimberley de Miguel, project Manager à Scprac, Centre d’activités régionales pour la production propre, l’un des six centres d’activités régionales (CAR) du Plan d’action pour la Méditerranée (PAM).
Les études ont montré, en effet, que différents dangers découlent de l’utilisation de cette substance toxique. Sara Brosché, science advisor and compaign manager à International persistent organic pollutants elimination network (IPEN) les a énumérés. Selon ses propos, le plomb altère, d’une part, le développement mental des enfants et conduit, d’autre part, les adultes à être affectés par des maladies cardiaques. Plus saisissant encore, les Etats investissent des sommes faramineuses pour la fourniture de cette matière. Si les pertes annuelles globales sont de 977 milliards de dollars, elles sont estimées en Tunisie à 3.67 milliards de dollars.
Certaines entreprises tunisiennes ont déjà fait une brèche et substituent le plomb de leur produit. Asma Fennira, de Valentino témoigne de son expérience.
Pourquoi opter pour une peinture sans plomb ?
Présent à la conférence d’inauguration, Rachid Nafti, coordinateur projet MedTest / Switchmed a mis en relief les bonnes pratiques du projet pilote lancé en Tunisie. L’application de ce programme illustre qu’opter pour une peinture sans plomb est si bénéfique aussi bien pour les entreprises opérant dans ce secteur, que pour les consommateurs. Concrètement, rien qu’en changeant l’utilisation de peinture liquide par une peinture poudre, la perte de la matière et la consommation de l’énergie ont diminué de respectivement 8% et 40%. Le temps de séchage de la peinture et de nettoyage de la cabine a été également réduit. En plus, grâce à la substitution du procédé de phosphatation par conversion nano céramique, les coûts d’énergie ont chuté de 30 à 50%, et d’épuration de 20 à 40%.
Les organisations internationales, ne lésinent pas sur les efforts pour sensibiliser les entreprises et les consommateurs tunisiens sur la gravité de cette matière toxique. A titre d’exemple, IPEN a lancé un projet de sensibilisation depuis 2013 dénonçant la commercialisation du plomb dans les marchés. Une deuxième campagne a été lancée en 2017 au sein des écoles, pour attirer l’attention des générations futures.
Et le rôle de l’Etat ?
Bien que des acteurs internationaux et de la société civile déploient une louable énergie pour éliminer le plomb de la peinture, l’engagement de l’Etat tunisien reste insuffisant. Ceci se traduit déjà par la non réglementation du secteur. Et ce n’est pas Abdelmajid Elkosantini, président de la chambre syndicale des producteurs de peintures industrielles, affiliée à l’UTICA qui dément.
Cependant, pour Slim Feriani, ministre de l’Industrie et des PME, le plomb, étant une source d’intoxication reste une préoccupation mondiale. Il a rappelé dans ce contexte que cette problématique a déjà fait l’objet de plusieurs initiatives internationales. Selon ses dires, toutes les initiatives déployées s’accordent à faire face à ce problème à travers au moins trois formes d’actions indispensables. Elles concernent d’abord, la mise en place de cadres réglementaires adaptés, afin de mettre un terme à la fabrication, l’importation, l’exportation, la vente et l’utilisation de peintures au plomb et de produits recouverts de peinture au plomb.
Il s’agit ensuite de sensibiliser les fabricants, les consommateurs, les travailleurs, les syndicats et les professionnels de la santé, pour qu’ils prennent conscience de la toxicité du plomb dans les peintures et de la disponibilité de produits de remplacement techniquement supérieurs et plus sûrs. Au final, les mesures entreprises tournent autour du renforcement des activités de recherche et de développement afin de trouver des solutions technologiques innovantes pour substituer le plomb par d’autres produits non nocifs et écologiques.
Il a mentionné à ce titre, que le Programme national de la recherche et de l’innovation appelé couramment PNRI et géré par le ministère de tutelle, permet de mobiliser l’effort de la recherche publique pour résoudre ce genre de problématiques technologiques. PNRI, notons-le, a déjà financé en 2012 un projet de recherche collaborative pour la substitution des peintures, laques et vernis à base de solvants organiques nocifs, par des peintures et vernis à base d’eau. Par ailleurs, le programme PNRI a permis jusqu’à présent de financer 46 projets de recherche dans le cadre de ce mécanisme traitant plusieurs thématiques qui répondent à des défis écologiques et environnementaux. Une quinzaine d’entre eux est déjà clôturée avec des résultats prometteurs.