À croire les spécialistes, la grande distribution en Tunisie a encore de beaux jours devant elle, pourvu qu’elle survive à la conjoncture actuelle marquée par un pouvoir d’achat en baisse et un marché parallèle plutôt résilient.
La grande distribution accapare aujourd’hui près de 24% du commerce de détail, un chiffre qui, d’après l’analyse de Mac SA, devrait doubler dans les dix prochaines années avant d’atteindre les 50%. Une telle croissance ne devrait surprendre personne, surtout que les Tunisiens sont désormais adeptes de cette forme de distribution.
D’après une étude publiée en 2011 par l’Institut national de la consommation, 24% des habitants du Grand-Tunis s’approvisionnent dans les grandes surfaces au moins une fois par mois, alors que 36% s’y aventurent pas moins d’une fois par semaine. 76% des sondés avouent même avoir acheté des produits qu’ils n’avaient pas l’intention d’acquérir en entrant dans le magasin. Face à cet engouement, les enseignes ont multiplié les offensives, élargissant leurs réseaux d’année en année.
Cette expansion territoriale s’est naturellement accompagnée par la multiplication des effectifs. Ainsi, le nombre total des employés de Monoprix et du Magasin Général, seules entreprises du secteur à avoir publié leurs chiffres, a plus que triplé, passant de 2345 en 2008 à 7684 au 30 juin 2017.
Un marché sous-développé
Malgré son potentiel, le secteur n’est pas au top de ses performances, affaibli par la dégradation du pouvoir d’achat du citoyen et l’implémentation du marché parallèle. Le secteur demeure sous-développé, d’après le Global Retail Development Index (GRDI), notamment en comparaison des marchés algérien et marocain. D’ailleurs, la Tunisie arrive en 24ème position sur les 30 pays recensés par ce classement annuel, devancée par ses voisins algérien (14ème) et marocain (7ème).
Le Maroc, quant à lui, jouit en effet de l’attractivité de son marché de grande distribution, boosté par une stratégie de développement et de modernisation du commerce, instaurée depuis 2008. Baptisé Rawaj, ce plan vise, d’ici 2020, la création de 600 grandes surfaces et 50 hypermarchés générant 80.000 emplois, la création de 15 grands centres commerciaux d’une capacité de 3000 magasins générant 21.000 postes, et le développement de plateformes logistiques ainsi que la modernisation du commerce de proximité grâce à la labellisation, les centrales d’achat et le réseautage des commerçants.
En outre, le royaume s’est doté, depuis 2016, d’une loi permettant de créer 12 zones de libre-échange à travers le pays.Par ailleurs, comme le notent les auteurs du GRDI, la grande distribution connaît des niveaux de saturation qui diffèrent d’un pays à un autre dans la région maghrébine. En Algérie, où la saturation est la plus faible parmi le trio maghrébin, les complexes commerciaux ont le vent en poupe ces dernières années.
Inauguré en février 2016, le Park Mall, qui s’étale sur une superficie de 2 hectares, comprend un hôtel Marriott à 192 chambres, un centre d’affaires, un centre de congrès polyvalent de 900 places, un centre commercial de 4 étages, 82 magasins franchisés et des espaces de jeux dont une patinoire à glace. Le tout pour un investissement de 120 millions euros.
Un deuxième Park Mall, s’étendant sur 18 hectares(!), devrait également voir le jour à Oran d’ici 2021, date de la tenue des Jeux méditerranéens. En novembre dernier, Festival City a ouvert ses portes. S’étalant sur une superficie de 7500 m², ce complexe est doté de 80 boutiques, 10 restaurants, une galerie d’art, ainsi que d’un centre d’affaires composé d’une salle de conférences de 140 places et d’une salle de réunion d’une capacité de 30 personnes. Festival City est un investissement de 18 millions de dollars.
Pour environ 40 millions d’habitants, l’Algérie dispose de 52 hypermarchés et 341 supermarchés. Plus développé en Tunisie, le secteur compte déjà 336 points de vente pour les quatre grandes chaînes (Monoprix, Magasin Général, Carrefour et Aziza), soit environ un magasin pour 33 mille habitants. Aux 3 hypermarchés actuellement ouverts au public, 3 autres devraient s’ajouter d’ici 2019, à raison d’un hypermarché par chaîne, exception faite d’Aziza.
Les modèles ont changé ailleurs!
En France, Carrefour, Auchan et Casino, qui s’apprêtent à ouvrir de nouveaux hypermarchés en Tunisie (en partenariat avec les enseignes locales), sont en train de revoir les bases de ce concept même afin de l’adapter à l’air du temps. Le secteur arrivant à maturité, les hypermarchés, ces énormes espaces de vente s’étalant sur des dizaines de milliers de mètres carrés, perdent petit à petit de leur attrait dans l’ Hexagone.
Montée du commerce électronique oblige, les enseignes sont désormais dans l’obligation de chercher les moyens permettant d’inciter les consommateurs à se rendre dans les magasins ― au lieu de commander leurs courses en ligne. Pour ce faire, Carrefour veut réaménager ses hypermarchés afin de créer des espaces de divertissement et de restauration.
“Je pense qu’il faut engager dans notre société des metteurs en scène”, a expliqué Georges Plassat, ex-PDG de Carrefour. Chez Auchan, les produits les plus prisés sur internet (notamment le high-tech et l’électroménager) laisseront leur place en boutique à des activités susceptibles d’attirer les consommateurs. Exemples : réceptionner les articles commandés sur internet, voire organiser des animations ou des cours de cuisine, comme l’a proposé Wilhelm Hubner, PDG de l’enseigne ! Quant à Jean-Charles Naouri, patron de Casino, il a fait de la réduction de la surface commerciale de ses hypermarchés Géant un axe stratégique.
Et ce n’est pas tout ! Une enseigne du pays de l’Oncle Sam a désormais pignon sur rue dans la capitale française. Le géant américain Costco, se distinguant par un business modèle inédit, a débarqué en juin dans l’Hexagone. Le numéro un du Warehouse Club offre à ses clients des prix extrêmement bas sur une large gamme d’articles (mais avec un choix limité en termes de marques). Pour en profiter, une seule condition : souscrire à un abonnement annuel de 36 euros.
Aux Etats-Unis, le marché de la grande distribution vit de grands bouleversements amorcés par les changements des habitudes de consommation, notamment chez les millenials qui sont en quête d’expériences personnalisées. D’autre part, l’arrivée d’Amazon sur de nouveaux segments de la distribution de détail, notamment le prêt-à-porter et l’épicerie, et épaulée par sa capacité à offrir des prix très compétitifs et la livraison dans des délais imbattables, a fait de la firme de Jeff Bezos un géant incontournable.
Les effets de ce nouveau paysage sont loin d’être minimes. C’est dire que le nombre de magasins qui ont été fermés en 2017 est plus élevé que lors des deux crises de 2000 et de 2008 ! D’après les chiffres de Crédit Suisse, publiés par FT, 8640 points de vente mettront la clé sous la porte durant l’année en cours, ce qui équivaut à une superficie de 13.6 millions de m².
L’e-commerce : l’équation à résoudre
En Tunisie, et malgré des années d’attente, la grande distribution et l’e-commerce ne font toujours pas bon ménage. A ce jour, aucune enseigne n’offre à ses clients la possibilité de faire ses courses en ligne. Certaines n’ont même pas de site internet!
La Tunisie est en train de cumuler du retard sur ce volet, et pas uniquement par rapport aux marchés développés. De fait, le commerce électronique et mobile enregistre de plus grands taux de croissance en Afrique qu’en Europe. A priori, le développement de l’e-commerce ne serait pas dans l’intérêt des enseignes de la grande distribution qui préfèrent faire venir les clients dans leurs magasins, où les effets du marketing et du merchandising sont plus percutants.
En outre, si les consommateurs avaient la chance de tenter l’expérience de l’e-commerce avec des enseignes auxquelles ils font déjà confiance, peut-être qu’ils l’utiliseraient plus fréquemment pour leurs transactions journalières.