Arbitrage en Tunisie
Par Sahar Mechri Kharrat
L’arbitrage dans les institutions bancaires et financières, pratique peu connue en Tunisie, a été au centre d’une conférence-débat organisée par la Chambre de Commerce Internationale (CCI) en présence de nombreux experts. L’occasion pour eux de faire valoir ses avantages.
Certains marmonnent déjà à l’idée de recourir à un arbitrage. De par un déficit de communication, cette pratique continue à susciter la défiance des institutions financières. Pourtant, il est probable qu’elle connaisse dans les prochaines années un net essor.
En Tunisie, où un long travail d’information reste à entreprendre, la Chambre de Commerce Internationale a profité de la présence de nombreux responsables d’institutions bancaires et financières pour leur mettre le pied à l’étrier et présenter les atouts de l’arbitrage.
La Cour internationale d’arbitrage, filiation de l’ICC, est reconnue comme la principale institution mondiale de résolution des litiges commerciaux. Son succès repose essentiellement sur l’expertise de ses réseaux et l’excellence de ses pratiques. Les nombreux suffrages lui ayant été accordés lui attribuent un poids de taille en matière de règlement des litiges.
La conférence organisée jeudi 18 mai s’inscrit dans le cadre d’une démarche destinée à lever les ambiguïtés entourant l’arbitrage.
L’arbitrage : un recours simple, rapide et efficace !
A moins d’en esquisser les contours, l’arbitrage qui a pour dessein de régler un différend commercial ou financier peut s’avérer d’une redoutable efficacité. C’est sur cet aspect que le professeur et doyen Sami Boustanji a mis l’accent au cours de son intervention.
“Un essoufflement de la justice étatique a été constaté ces dernières années”, a relevé Sami Boustanji soulignant l’excessivité des juridictions traditionnelles.
Faisant office de compromis, l’arbitrage a vocation à résoudre un litige bancaire ou financier dans un cadre privé : « Les difficultés conjoncturelles de l’arbitrage ne sauraient altérer ce mode privilégié de résolution des litiges », a-t-il fait savoir soutenant la souplesse, l’éclectisme et l’efficacité de cette procédure.
Et d’ajouter : “Souple parce qu’elle laisse une grande marge de manœuvre aux parties, éclectique parce que l’on essaye de mettre en œuvre un système susceptible d’accueillir dans un même cadre juridique des arbitres, des avocats et des parties qui appartiennent à des systèmes juridiques différents et efficaces dans la mesure où les solutions cherchent à lever les obstacles entravant le déroulement et le dénouement de l’arbitrage dans les meilleures conditions, de même que l’on cherche à offrir un cadre où l’arbitrage se démarque de la tutelle d’une justice étatique”.
Plusieurs aspects procéduraux distinguent, néanmoins, l’arbitrage. Comme l’affirme le doyen Bostanji, le recours à cette procédure ne peut intervenir dans le cadre de l’ordre public ou en cas de litige interne, explique le doyen. Sans établir un inventaire à la Prévert, Sami Boustanji a cité quelques exemples d’un impossible recours à l’arbitrage, notamment dans les relations auxquelles les banques sont partie. Les cas banque/ banque sont légion en la matière.
Les lois en vigueur, les usages encombrants et les coutumes régulières sont-ils dissuasifs à l’arbitrage ?
Présent à la conférence, Riadh Touiti a observé que plusieurs institutions bancaires et financières rechignent à la tâche. Perçu comme une caution supplétive, l’arbitrage subit de plein fouet le poids de la justice traditionnelle.
Ayant une force contraignante, la justice traditionnelle demeure le recours privilégié des institutions bancaires et financières. Au caractère contraignant, l’arbitrage oppose, toutefois, le caractère de médiation et de conciliation. Tout en conférant aux institutions bancaires et financières le pouvoir de désigner leurs experts, la procédure de l’arbitrage est mise en œuvre par des juges aguerris.
Rompus à l’art du règlement des litiges, conscients de la nécessité pour chaque institution financière de la préservation du climat des affaires et de l’accélération des procédures, les arbitres prononcent les sentences dans un temps record permettant, par conséquent, de compresser les délais d’une justice au cours lent.
En sus, l’arbitrage, de par la disponibilité constante des experts et le gage de confidentialité qu’il donne, s’affirme comme un recours de choix. La flexibilité de la procédure, la rapidité, la confidentialité et la capacité de s’affranchir du cadre juridique traditionnel plaident en sa faveur.
Intervenant dans la foulée du doyen Boustanji et de Riadh Touiti, Anis Jabnoun, avocat auprès de la Global Lawyers North Africa, s’est minutieusement penché sur les multiples avantages de l’arbitrage.
Revêtant souvent une technicité particulière, les litiges commerciaux et financiers gagneraient davantage à être tranchés par un expert que par une juridiction ordinaire ; le cas des produits dérivés à l’instar des dérivés islamiques illustrent bien cette considération.
En plus d’octroyer à chaque institution la liberté de choisir ses arbitres, la procédure mise en place par la Cour internationale de l’arbitrage peut se prévaloir d’un jugement d’expert, a expliqué Anis Jabnoun. L’addition de la confidentialité potentielle de la procédure et d’une audience non-publique assigne à l’arbitrage le titre d’un mode unique de résolution des litiges.
La délocalisation en matière internationale et l’adaptabilité des règles de procédure sont autant de cordes à ajouter à l’arc de l’arbitrage.
L’arbitrage : pratique onéreuse ?
Dans leur allocution, le doyen Sami Boustanji, Me Riadh Touiti ainsi que les autres présents ont relevé les coûts élevés de cette procédure. Jugé onéreux, l’arbitrage rebute certaines institutions bancaires et financières. Ce procédé est, par ailleurs, présenté comme un recours unique privant les actionnaires d’une autre voie juridictionnelle possible. Dès lors, miser une somme considérable sur une formule qui se propose de se substituer aux pratiques consacrées, apparaît comme un pari risqué et retarde son progrès.
Aussi l’évolution de la jurisprudence fait-elle peser quelques entraves sur la procédure de l’arbitrage. S’adressant essentiellement aux chargés des contentieux, les professionnels et experts de l’arbitrage occultent parfois un levier important du domaine de l’arbitrage, à savoir le commerce international. Les professionnels de l’arbitrage font face à l’obligation d’une réévaluation continue. Ce qui est aujourd’hui considéré comme un avantage précieux peut demain se révéler obsolète et agir comme un frein au recours arbitral.
D’une manière générale, l’arbitrage constitue une forme efficace et rapide de résolution des litiges quand des modalités telles que le siège de l’arbitrage, sa langue et la nomination de ses experts sont scrupuleusement définies. Et c’est à ce travail d’information et de dialogue que les intervenants de la Chambre de Commerce Internationale se sont attelés. Afin d’assurer à l’arbitrage l’essor auquel il est promis, les principales institutions d’arbitrage ont fort à faire pour convaincre les institutions concernées. N’étant pas toujours systématique, le recours à l’arbitrage, ses intérêts et ses risques pourraient être inclus dans les inventaires des droits bancaires et financiers. Un travail de pédagogie et d’information que les praticiens de l’arbitrage seront amenés à entreprendre.