Cyrine Ben Romdhane, Femme Francophone de l’Année
Par Sahar Mechri Kharrat
Chef d’entreprise et fière de l’être, Cyrine Ben Romdhane n’a pas hésité à fonder son propre cabinet d’expertise dès qu’elle a fait son entrée à l’Ordre des experts- comptables. Aller de l’avant en se posant les vraies questions a toujours été sa ligne directrice où qu’elle ait été, au sein de la profession ou au milieu de la société civile.
A vrai dire, ses engagements professionnels ne l’ont pas empêchée d’agir sur l’écosystème des affaires. En témoigne son engagement dans la Chambre des femmes chefs d’entreprise à qui lui est dévolu le non moins important poste de trésorière. Portée par la fibre entrepreneuriale et sociale, elle met toute son énergie et son charisme pour défendre la citoyenneté, c’est à dire la libre initiative depuis toujours.
Pas surprenant, puisqu’elle a fait ses premiers pas dans le travail associatif depuis les bancs de l’université quand elle avait été élue membre du bureau d’AIESEC Carthage. Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres, nous sommes allés à sa rencontre à Montréal, à l’occasion de sa distinction Femme Francophone 2017 par l’Association Internationale des Maires Francophones (AMF).
Vous êtes lauréate du 1er Prix AIMF de la Femme francophone 2017. Pouvez-vous nous présenter plus en détail cette initiative lancée par les membres du Bureau de l’AIMF ?
D’abord, j’en suis autant honorée, émue que je mesure la responsabilité de la voie que je dois tracer. En effet, l’AIMF a pris acte que pour construire les villes de demain, pour une meilleure efficacité collective, sociale, politique et humaine, les femmes doivent prendre toute leur place dans les centres de décisions.
Le Prix La femme francophone de l’AIMF se veut un outil au service de ce but d’intérêt général, et une ressource originale pour le réseau mondial de ses membres, élus locaux francophones. Ma candidature a été retenue parmi 45 candidatures provenant de 13 pays membres de l’AIMF. Elle a dû refléter mes attentes dans ma participation à ce concours : promouvoir la synergie des réseaux d’associations pour réaliser des actions conjointes, avec les villes, en matière d’entrepreneuriat citoyen.
L’appel à participation au Prix AIMF de la Femme francophone 2017 a été diffusé par la Municipalité de la Ville de Tunis auprès de plusieurs associations en Tunisie, en l’occurrence la Chambre Nationale des Femmes Chefs d’Entreprises (CNFCE), dont je suis la trésorière.
J’ai été particulièrement attirée par les critères exigés des candidates, et notamment, leur capacité à « mettre en œuvre des projets concrets, dans le domaine de l’énergie, de l’économie sociale et solidaire, de l’entrepreneuriat, des technologies digitales.
Cette capacité peut s’illustrer à travers la réalisation d’actions locales et exemplaires (sous forme associative, entrepreneuriale, philanthropique ou coopérative). D’autres critères ont également été retenus pour le classement des dossiers de candidature liés aux facteurs de succès du parcours offert à la lauréate. Il s’agit en l’occurrence de l’imagination et de la créativité associés à un réel sens de l’organisation et de la gestion du temps, ainsi que de l’énergie et de l’ouverture d’esprit et surtout une forte éthique personnelle.
Ces thématiques ont toujours animé et guidé tant mon activité professionnelle, que mes centres d’intérêt et engagements extra-professionnels dont le plus important sera au sein de l’UTICA à travers la Chambre Nationale des Femmes Chefs d’Entreprises (CNFCE). La CNFCE, à travers les multiples partenariats qu’elle a noués avec des réseaux mondiaux de femmes chefs d’entreprise, m’a permis de prendre la mesure des potentialités des programmes déployés en faveur de l’entrepreneuriat féminin à l’échelle même régionale, favorisant le partage d’expériences et de meilleures pratiques.
Parlez-nous plus en détail de votre engagement dans le social en Tunisie ?
J’ai l’intime conviction que le soutien à l’entrepreneuriat et le développement de l’entreprise citoyenne ne peut émaner uniquement de l’Etat. C’est une priorité nationale qui doit surtout être assurée par la société civile. L’Etat ne peut en être qu’un facilitateur. En Tunisie, du primaire au supérieur, les femmes représentent plus de 60% des effectifs et des diplômés alors que leur taux d’activité n’est que de 26%.
Le taux de chômage des femmes est le double de celui des hommes, avec des disparités régionales importantes. A mon sens, cette inégalité des chances est inadmissible. C’est ce qui motive mon engagement social depuis 2012, année de mon adhésion à la Chambre Nationale des Femmes Chefs d’Entreprise, qui relève de l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA). Depuis 2011, la Tunisie a été particulièrement marquée par un fort élan de solidarité entre ses citoyens.
J’ai voulu me mettre activement au service de ces tranches de la population (Femmes et jeunes) sur toute la République afin d’améliorer leur cadre de vie, assurer leur autonomisation et les aider à trouver leur voie professionnelle.
Que pensez-vous du leadership entrepreneurial et de la gestion des affaires publiques des femmes africaines?
Les femmes africaines sont exceptionnelles ! Elles exercent incontestablement, chacune à sa manière, le leadership dans leur sphère familiale ! C’est dire, le leadership entrepreneurial des femmes n’est plus à démontrer. Toutefois, quand bien même elles occupent tous les secteurs d’activités, les taux de représentation sont disparates. C’est justement là qu’il faudra agir.
Les affaires publiques sont également une autre arène de combat. Cette absence dans la gestion des affaires publiques est sans doute due à un manque d’équité et à une déficience des mécanismes susceptibles d’aider les femmes à concilier davantage entre responsabilités personnelles et professionnelles.
Aussi, un travail de longue haleine pour sensibiliser quant à l’importance de l’égalité genre et de lutte contre les stéréotypes sociaux et culturels est nécessaire. C’est précisément le rôle de la société civile conjugué à l’appui du gouvernement. Nous entendons par là l’institution de règles de parité genre ou de quotas genre dans les mandats de représentation publique.
Le souci de l’amélioration des acquis des femmes doit également s’inscrire dans le cadre d’une action régionale basée sur la comparaison des meilleures pratiques par pays. Ainsi, en Tunisie, notre nouvelle Constitution prévoit explicitement le principe de l’égalité des chances et d’équité, ce qui permettra de renforcer les droits acquis de la femme.
La création, en 2016, du Conseil des pairs pour l’égalité et l’équivalence des chances entre la femme et l’homme, présidé par le Chef du gouvernement, en est une concrétisation. De même que la nouvelle loi électorale des municipales, qui prévoit la parité verticale et horizontale dans les listes électorales, sous peine de nullité.
Quel message adressez-vous à la femme francophone, africaine et tunisienne?
Je suis très honorée de recevoir ce prix, que je dédie à toutes les femmes, quelles que soient leur origine ou leur confession ! Pour avoir participé à plusieurs manifestations internationales organisées par des réseaux de femmes chefs d’entreprise, je peux vous affirmer que toutes les femmes font face aux mêmes défis.
J’invite toutes les femmes à s’adonner à l’action sociale ou politique, de manière à influer sur les décisions publiques et sur le développement de leur territoire de vie, tout en gardant le cap sur cet objectif d’équité. C’est un long travail sur les mentalités et les cultures, mais somme toute, avec le développement de l’économie numérique, tous les modèles sociétaux vont changer, et il y a donc espoir de pouvoir atteindre à l’avenir un nouvel équilibre des genres.
Il est aussi important d’établir un diagnostic des blocages à l’autonomisation des femmes, en s’appuyant sur des études régionales. Dans ce cadre, il serait intéressant de mettre en place un observatoire du développement économique par les femmes avec des critères et des indicateurs. Je reconnais qu’une telle initiative est ambitieuse, mais je crois que ce sont de telles démarches dont les indicateurs et les résultats fédèrent.
A ce titre, nous comptons beaucoup sur l’AIMF et les Maires attachés aux valeurs que partage ce réseau, pour porter à notre connaissance les meilleures pratiques de chaque pays.
Quelles sont les perspectives réservées au vainqueur du 1er Prix AIMF de la Femme francophone 2017 ?
En tant que lauréate du 1er prix de l’AIMF, j’aurai la chance de bénéficier d’un parcours international de séminaires, de formations et d’échanges avec des acteurs politiques et économiques à l’issue desquels je pourrai mettre les compétences que j’aurai acquises au service du développement de ma région, le Maghreb, et particulièrement de mon pays.
La Tunisie semble avoir réussi sa transition démocratique, mais elle a encore plusieurs défis en perspective, portés par sa nouvelle Constitution.
Quels sont vos projets immédiats ?
J’espère pouvoir participer activement aux nouveaux défis de la région, notamment la mise en place d’une gouvernance et d’une gestion décentralisée du pays. Le second challenge est de réussir la migration de notre économie nationale vers une économie numérique, respectant les piliers du développement durable.
Le renforcement de la représentativité des femmes dans les sphères de décisions locales est également un axe vers lequel je veillerai à orienter mon action.
D’emblée, ma première action, en marge de l’Assemblée Générale de l’AIMF qui s’est tenue du 19 au 21 juin à Montréal, a été de constituer un Réseau de Femmes Maghrébines Leaders, capables de créer des synergies au sein de leur territoire régional, et de concrétiser des projets visant à améliorer leur vie au quotidien.