Mohamed Salah Frad, DG UGFS — North Africa
Mohamed Salah Frad a été élu le 8 août à la tête de l’Association Tunisienne des Investisseurs en Capital (ATIC), succédant ainsi à Karim Ghenim.
Depuis sa création en novembre 2008, la United Gulf Financial Services — North Africa (UGFS) a pour objectifs d’encourager, soutenir et financer les initiatives entrepreneuriales en Tunisie. A la tête d’UGFS depuis neuf ans, Mohamed Salah Frad, fort d’une expérience en management, d’une certification en investissement international et d’un MBA en management de l’Université du Québec au Canada et notamment accompagné d’une équipe talentueuse et bien qualifiée, n’a pas cessé d’assurer à ses clients des conseils pertinents et adaptés pour fournir les meilleures solutions individuelles. Sur l’UGFS, les défis qu’elle relève, les difficultés qu’elle rencontre et les facteurs de son succès, Mohamed Salah Frad a bien voulu répondre aux questions du Manager. Interview.
Pour commencer,pouvez-vous nous parler des activités que finance l’UGFS ?
Nous avons trois activités essentielles dans la société : on intervient sur le marché boursier. On a aussi une activité de private equity en tant que fonds d’investissement œuvrant essentiellement dans le développement régional. La troisième activité, qu’on a lancée depuis 5 ans, consiste en le financement des startups et l’innovation en général. En termes de fonds, aujourd’hui, nous gérons un peu plus de 100 millions de dinars et la plus grande partie est destinée à la private equity. Nos bailleurs de fonds sont Carthage Business Angel, ATB, Assurances Maghrebia et Maghrebia Vie, Ooredoo, Qatar Fund for Development (anciennement QFF), Tunisian International Bank, la BH et la CDC.
Vous voulez dire que le private equity est votre activité de base ?
Oui, effectivement, mais avec le développement de l’activité des startups, nous avons pu jeter des ponts entre les autres activités. C’est-à-dire à partir d’une idée novatrice, on fait le prototype, on accompagne la société dans une première phase. Pour la deuxième phase — la partie industrialisation avec la levée des fonds — on fait intervenir nos fonds de private equity pour l’accompagner et la financer.
Est-ce que UGFS finance les activités de développement et de restructuration ?
Oui, sauf qu’on s’est bien focalisé sur le développement régional et spécifiquement sur les zones difficiles. Mais en ce qui concerne la restructuration, malheureusement aujourd’hui la loi ne nous le permet pas. A mon avis, je pense que si l’Etat accordait des avantages fiscaux pour les fonds et pour les investisseurs, ces entreprises en difficulté pourraient redémarrer et de suite rembourser leurs crédits, leurs impayés d’impôts et de taxes CNSS et récupérer leur personnel, … Malheureusement, à ce jour, on n’a eu qu’une seule résolution qui figurait dans la Loi de Finances 2015 mais qui était vraiment très limitée et qui n’a pas donné un grand impact.
Parlez-nous un peu des industries que vous financez
Sans s’orienter réellement vers un secteur bien spécifique, UGFS s’investit fortement dans l’agroalimentaire, les énergies renouvelables, l’industrie chimique et tout dernièrement l’agriculture.
Quel est, d’après-vous, le taux de réussite des startup en Tunisie ?
Je vais, peut-être, vous surprendre, parce qu’au début, à travers les business plans qu’on avait élaborés, nous avions tablé sur un taux de casse des 2/3 du projet. Mais, maintenant que les chiffres sont là parce que nous commençons à liquider l’un de nos fonds CAPITALease I, les résultats sont extrêmement bons. On a réussi à faire des sorties et c’est très important pour un capital-risqueur.
Des sorties sous quelles formes ?
En effet, il y a eu des sorties à travers des fonds d’investissement qui nous ont rachetés, d’autres fonds d’investissement ont été liés à la partie industrialisation. Le fonds d’investissement peut racheter lorsque l’entreprise lève des fonds une fois le prototype élaboré. A titre d’exemple, on a participé dans le capital de deux projets qui sont passés d’une petite startup à carrément une unité industrielle avec une technologie. De même, il y a eu des rachats par les promoteurs eux-mêmes. Aujourd’hui nous avons un track record qui montre que les startups novatrices sont un bon créneau.
Quels sont les facteurs clés de ce succès ?
Miser sur la partie innovation est primordial pour réussir nos objectifs. Au début, il y a eu beaucoup de discussions sur les startups que nous allons financer et grâce à nos partenaires, qui sont Wiki Startup et Carthage Business Angels, Intilaq et Ibda, nous avons bien choisi celles qui répondent le plus aux critères du projet innovateur.
Un autre volet aussi important est la qualité du manager. Au fait, nous avons remarqué que ces entrepreneurs sont diplômés des grandes écoles, de la diaspora tunisienne à l’étranger qui sont venus en Tunisie et qui ont de gros potentiels au niveau du management et du relationnel et sont aptes à trouver des marchés à l’international.
Une autre qualité qui doit être requise dans le même volet management, c’est cet aspect de cogestion (gestion collective). Les projets qui ont bien réussi étaient des projets qui ont été portés par un ou plusieurs promoteurs ensemble avec des disciplines différentes, et avec lesquels on n’a pas, généralement, eu beaucoup de mal à leur inculquer les bonnes pratiques de gestion, en termes de reporting et en termes de bonne gouvernance.
Le troisième volet, qui est aussi important que les précédents, c’est cette capacité de scalability. C’est cette possibilité d’aller vers d’autres marchés ou d’autres niveaux d’activité : le premier niveau c’est que le concept de la startup peut être exporté à l’international. Le deuxième niveau est celui de la scalability industrielle, c’est à dire que la technologie peut devenir industrielle générant une création de valeur.
Quelles sont les difficultés que rencontrent les startuppers ?
Initialement, nous sommes dans un domaine d’innovation et le formalisme est très lourd pour les startuppers. En outre, pour ce qui est des startups, le taux de casse est important, presque les deux tiers. Toutefois, le processus de liquidation est pénible. Il faut donc éviter de pénaliser des gens qui ont osé, parce que de toute façon, les plus grands ont échoué avec leur premier projet. Enfin, seul le secteur privé a misé sur l’innovation, contrairement à ce qui se passe dans les autres modèles où c’est l’Etat qui s’y investit d’abord.
Tunis Place Financière a été récemment lancée, quel pourrait être votre apport pour la promouvoir ?
C’est une très belle avancée. Notre apport est de fournir plus de soutien au marché financier. Il y a des initiatives aujourd’hui qui commencent à être débattues avec le marché financier et d’attirer beaucoup de sociétés qui font partie de notre portefeuille d’investissement sur le marché boursier. Notre innovation actuelle consiste à faire un marché de capital-investissement au sein de la Bourse. Nous pensons qu’il faut donner plus de visibilité aux entreprises et aux startups.
Quel est votre avis sur le projet de loi Startup Act qui a été lancé ?
A mon avis, c’est une révolution mais il va falloir convaincre le « Système ». Je l’ai appelé ainsi parce qu’il s’agit de jeunes avec un minimum de formalisme qui peuvent intégrer un système qui est très formalisé. C’est là le grand défi et ça va être un vrai challenge pour tout le monde. Je pense également que Startup Act a pris son envol aujourd’hui. Nous avons de réelles success stories et avec l’effet d’annonce qu’elles vont avoir, ce concept va se renforcer de plus en plus. Je pense que cela va dépendre de l’engagement des autorités et la présence du Chef du Gouvernement à l’annonce du projet est un bon signe.
Votre message de la fin ?
Personnellement, je suis optimiste et je suis persuadé que, pour ma génération, on a un rôle très important à jouer dans l’économie de notre pays et je pense qu’il faut qu’on fasse preuve de plus d’audace et occuper des positions de décision.