Fethi Methneni, DG du Cifode’com
Propos recueillis par Ahmed Saoudi
Le marché d’achats publics représente pas moins de 20% du PIB national. Et pourtant, les PME — qui représentent 97% du tissu entrepreneurial tunisien — le trouvent peu accessible. Fethi Methnani, directeur général du Cifod’Com, a répondu à quelques unes de leurs revendications. Interview.
Pouvez-vous nous parler du guide que vous venez de publier ?
Le guide d’accès des PME aux marchés publics a été réalisé par le Cifod’Com en collaboration avec l’Observatoire national des marchés publics (ONMP) et grâce à un financement de la Banque mondiale. Le but, vous l’avez deviné, est de faciliter l’accès des PME aux marchés publics.
Pourquoi un guide plutôt que d’autres mesures ? Suite à une étude que nous avons réalisée en 2016, nous nous sommes rendu compte que les PME ne maîtrisent suffisamment pas la législation qui régit les marchés publics.
A partir des 285 pages de la loi N° 1039/2014, nous avons pu distiller un guide de 60 pages, avec graphiques et recommandations. Nous espérons que nos travaux contribueront à la prise de conscience auprès des PME de leurs droits.
Sachez, à titre d’exemple, que l’acheteur public est tenu par la loi de consacrer pas moins de 20% des marchés aux PME. Ces dernières peuvent consulter le programme de planification des marchés publics, accessible sur le site de l’ONMP, et même exiger que le taux soit respecté le cas échéant ! Mais les PME ne sont pas au courant et ne revendiquent pas leurs droits.
L’administration est-elle obligée d’attendre les revendications ?
Par méconnaissance, on déclare parfois que pour un tel marché il n’existe pas de PME qui puissent assurer. Toutefois, si une entreprise s’estime apte à la mission, elle peut exiger de participer à l’appel d’offres. Chose que plusieurs PME ignorent.
Nous sommes tous d’accord que l’administration tunisienne doit changer certaines pratiques. C’est du rôle du secteur privé de l’orienter dans ce sens à travers les réclamations. Il faut forcer l’acheteur public à bouger !
En outre, l’exigence de références antérieures défavorise, voire élimine complètement, les entreprises nouvellement lancées. Il faut savoir qu’il est strictement interdit d’exiger des références pour les entreprises; l’acheteur public ne peut exiger des références que pour l’équipe afin de prouver un minimum d’expertise. Malheureusement, l’administration n’applique parfois pas la loi. Si personne ne le réclame, comment peut-on le dépasser ?
N’est-il pas temps d’adopter une politique orientée mieux-disant ?
D’après de nombreux professionnels, il est parfois impossible de décrocher des marchés à cause des prix anormalement bas. Pour le prix anormalement réduit qui pourrait même se situer au-dessous du coût, la solution est simple : il suffit de porter plainte auprès des instances compétentes. Celles-ci sont dans l’obligation de rapporter ces pratiques au Conseil de la concurrence. Il s’agit ici d’un cas de dumping du marché, une pratique sévèrement punie.
Dans les autres cas, nous appliquons une approche mixte. Les offres qui ne répondent pas aux besoins minimum de l’acheteur sont automatiquement rejetées indépendamment du prix. Pour celles qui répondent aux exigences minimales requises , il n’y a aucune raison de payer plus pour des produits qui sont au-dessus des besoins de l’acheteur bien que meilleurs.
Les cautionnements et les impayés sont un vrai cauchemar pour les entreprises, surtout les PME. Des solutions ?
La loi a prévu plusieurs avantages au profit des petites et moyennes entreprises afin de les inciter à participer aux marchés publics. Parmi ces mesures, les PME peuvent profiter d’une avance de 20% de la valeur du marché, et ce, dès sa signature ! Pour en profiter, il suffit de le revendiquer.
En ce qui concerne les cautionnements, la loi est claire : le cautionnement doit être restitué au bout de 4 mois. Je sais qu’en pratique les entrepreneurs peuvent parfois attendre pendant des années pour percevoir leur argent, ce qui pose des problèmes avec les banques qui financent ces cautionnements. Or, toujours d’après la loi, la banque n’a plus droit de prélever une commission sur la caution si le délai des 4 mois n’a pas été respecté. Mieux encore, l’acheteur public pourrait même être tenu responsable des frais qui découlent de ce retard de paiement.
La digitalisation a de fortes chances de nous débarrasser de ce casse-tête. À quand un marché public totalement numérique ?
Il ne devrait pas tarder. Déjà en 2017, tous les acheteurs publics — aussi bien l’administration que les sociétés publiques — seront intégrés à la plateforme Tuneps des achats publics en ligne. Une fois que cela aura été fait et que l’infrastructure technique mise en place, il n’y aura plus de marchés publics hors-Tuneps. Le futur sera, donc, plus brillant.