Pratique des sondages en Tunisie
Un atelier consacré au Rôle des sondages dans la formation de l’opinion publique en Tunisie vient de mettre le doigt sur nombre de lacunes. Même si la pratique a bien évolué.
Par Mohamed Gontara
Tout a été dit dès les premiers instants. Ouvrant l’atelier, organisé par le Centre Africain de Perfectionnement des Journalistes et des Communicateurs, Sadok Hammami, directeur du CAPJC a mis en évidence la crédibilité de cet outil important devenu une réalité depuis l’avènement de la Révolution du 14 janvier 2011.
Et de rappeler, à ce sujet, l’importance de la transparence et du financement des sondages d’opinion. Le débat qui s’est installé par la suite n’a pas manqué d’intérêt pour évoquer la réalité des sondages d’opinion notamment des sondages politiques qui continuent à faire l’objet de nombreuses critiques dans notre pays.
Première lacune, sans doute, concernant la pratique des sondages : l’absence de réglementation. Hana Chérif, Vice-présidente de la Chambre nationale de l’UTICA (Union Tunisienne de l’Industrie et du Commerce) des bureaux de sondage d’opinion, et Directeur Général de Média Scan, le reconnaît. Mais la Chambre y travaille, précise Hana Chérif. Avant d’ajouter que les professionnels du secteur se sont dotés d’un règlement intérieur qui rassemble des principes à la fois déontologiques et méthodologiques. Une sorte d’autorégulation capable d’améliorer leur rendu.
Côté réglementation, Hichem Guerfali, Directeur Général de l’institut de sondage 3C Etudes, a rappelé que la France s’est, par exemple, dotée en juillet 1977 d’une loi relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion. Et que celle-ci a créé une Commission des sondages qui veille, en la matière, au grain empêchant la publication de sondages ne respectant pas un ensemble de normes.
Revenons en Tunisie pour dire que souvent les critiques concernent la méthodologie utilisée par les sondeurs. Les échantillons sont-ils représentatifs de la population que l’on souhaite interroger ? Aucun échantillon n’est parfait, souligne Hana Chérif. Qui indique cependant qu’un sondeur doit tout faire pour qu’il le soit. Autre question importante : Prend-on des soins particuliers lors de la préparation des questions ? « Tel homme politique ou tel autre ou encore telle marque ou telle autre ont une bonne image de marque dans l’opinion. Qu’en pensez-vous ? » : la manière avec laquelle les questions sont posées peuvent influencer les réponses », avoue Hana Chérif, qui insiste sur une certaine neutralité en la matière de la part de l’enquêteur.
Les questions se doivent-elle d’être posées en langue arabe parlée; pour ainsi dire dans la langue tunisienne ? La réponse est évidement oui. Certains questionnaires ne sont pas correctement rédigés fait remarquer, par ailleurs, Ouejdi Rejab, universitaire et patron de Tunisie Sondage. Ils ne prévoient pas de réponses du type « Pas de réponse » et encore « Ne sait pas ». Une grande erreur, estime-t-il. Car, un enquêté n’a pas toujours réponse à tout.
Le Tunisien dit-il toujours vrai ? La pratique a montré que certains cachent leurs opinions pour ne pas paraître sous les traits, par exemple, d’un conservateur. Comme ils ne veulent pas toujours dire pour qui, ils veulent ou vont voter.
La chose est du reste largement connue. Ainsi, dans certains pays européens, des votants ne disent pas qu’ils vont voter pour des partis d’extrême droite. C’est pourquoi les résultats des sondages dits sortis des urnes sont bien différents des résultats de vote. Et un peu partout dans le monde, les sondeurs ont un antidote : les indices de correction.
Mais, il n’y a pas que cela : le remplissage des questionnaires est pour beaucoup dans la crédibilité des réponses. Sami Oueslati, Responsable du service formation du CAPJC, affirme que certains questionnaires sont remplis quelquefois par les enquêteurs, chargés, donc, de recueillir les réponses. Certes, mais de plus en plus de précautions sont prises et des garde-fous sont mis en place afin d’éviter tout cela, assure Anis Chehibi, Directeur adjoint d’Elka Consulting.
Il y a toute une chaîne de contrôle pour s’assurer que les questionnaires ont été effectivement bien administrés. Car, l’enquêteur n’est pas lâché comme cela dans la nature. Le travail de l’enquêteur est suivi par un superviseur. Et celui de ce dernier par un contrôleur. A chaque étape, chacun de ces deux derniers revient à la charge pour s’assurer que les questions ont notamment été posées à un enquêté et que les opinions recueillies sont bien celles qui ont été enregistrées.
De plus, il y a des logiciels qui comparent les réponses obtenues et s’assurent de leur cohérence. « Très vite, observe Youssef Meddeb, Directeur de l’institut One to One, on découvre toute erreur commise au cours de l’administration d’un questionnaire ».
Les opinions recueillies par téléphone sont, encore, enregistrées. « Et nous pouvons revenir pour les écouter », ajoute le directeur de One to One.
« Tel homme politique ou tel autre ou encore telle marque ou telle autre ont une bonne image de marque dans l’opinion. Qu’en pensez-vous ? » : la manière avec laquelle les questions sont posées peuvent influencer les réponses », avoue Hana Chérif, qui insiste sur une certaine neutralité en la matière de l’enquêteur.
Mais qui finance les sondages ? Cruciale, la réponse n’est pas toujours utile, affirme Hichem Guerfali. Dans la mesure où le vrai commanditaire n’est pas automatiquement bien apparent. Un donneur d’ordre peut se cacher derrière le commanditaire. Ce dernier peut, cela dit, être un média, un parti politique, une association ou une ONG nationale ou internationale, un centre de recherche d’une université, un homme d’affaires, …
Un commanditaire peut-il venir avec des résultats afin de les accréditer ? Si cela n’est pas bien déontologique, on ne peut nier que ce n’est point impossible. Tous les professionnels ne pratiquent pas leur métier, pour ainsi dire, de la même manière. L’attrait de l’argent peut jouer. Sur ce plan, le financement joue un grand rôle. La crédibilité des résultats ne peut être que conditionnée par les budgets engagés. Cela va de soi, plus un sondeur dispose de moyens financiers nécessaires, mieux il peut faire son travail. Autant dire que là aussi, l’argent est le nerf de la guerre.