La bourse de Tunis
Par Sahar Mechri
Article paru dans le numéro 225 (décembre 2016) du magazine Le Manager
Au terme de ces dix mois, l’année vire au vert ; serait-ce les prémices d’une éclaircie car les volumes des échanges sont à la baisse ces dernières temps. Le placement boursier ne vit plus ses fastes années. Plusieurs investisseurs ont perdu une partie du fruit de leur labeur et de leur épargne et ne sont pas prêts d’y retourner de sitôt.
La vie des marchés boursiers est faite d’up and down, les fluctuations voire même les crises n’ont rien d’exceptionnelles, à condition de rebondir. Notre marché quant à lui peine à décoller.
Le marché boursier dans tous ses paradoxes n’arrive plus à susciter l’intérêt du grand public ni même celui des institutionnels. La plaie est plus profonde qu’elle ne paraît. Le mal a touché la confiance, élément moteur voire vital, surtout s’il s’agit du marché financier connu pour sa volatilité.
À observer le comportement de certaines banques publiques, contraintes de se porter au secours des entreprises publiques déficitaires, au mépris des règles de gouvernance dans un marché concurrentiel ; l’actionnaire a de quoi se sentir désabusé.
Le Manager est allé à la rencontre de gestionnaires de fonds et d’analystes pour décortiquer les mécanismes du marché.
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Maigre volume, pourquoi ?
À la date du 24 octobre, le marché a progressé de 8% depuis le début de l’année. “C’est assez inattendu compte tenu de la réalité économique du pays”, a précisé Lilia Kamoun Turki, analyste financier chez Tunisie Valeurs.
Toutefois, les volumes traités ne sont plus ce qu’ils étaient en 2010. A présent ils se situent au tiers. Cette contraction des volumes des échanges s’explique par une réticence des petits porteurs devenus de plus en plus frileux à la Bourse. Ayant cédé au mouvement de panique, ils ont dû enregistrer des pertes latentes. “Les dernières années ont été marquées par des turbulences économiques et politiques, ce qui a découragé l’investissement en Bourse”, a affirmé Néfis Sebai, directeur du réseau commercial de Tunisie Valeurs.
Fait inquiétant ! Les investisseurs étrangers ont déserté le marché financier. Outre l’instabilité politique, les problèmes sécuritaires, la mauvaise conjoncture économique, notamment une réduction des profits des entreprises, il y a eu surtout l’effet sanction d’une hypervalorisation des titres. “Le marché est fondamentalement cher. Mis à part Officeplast, toutes les sociétés ont été introduites à un PER supérieur à celui du marché”, a précisé Belhassen Khayati, coordinateur général chez Maxula Gestion. Et d’ajouter : “Cette hypervalorisation a détourné du marché à la fois l’investisseur étranger et l’investisseur prudent, ce fameux ‘bon père de famille’”.
Qui en est responsable ?
La responsabilité est dit-on collective. “Tous les acteurs, qu’il s’agisse des décideurs de quelques horizons qu’ils soient, du CMF, du superviseur, des intermédiaires de gestion jusqu’aux médias sont conscients et responsables de la situation du marché”, a souligné Belhassen Khayati.
À vrai dire, si certains intermédiaires de gestion se soucient de l’évolution du cours du titre sur le marché et du développement du marché, d’autres font les yeux doux aux entrepreneurs et dopent les prix d’introduction, ce qui n’est pas pour nuire à leur compte d’exploitation. Bien au contraire.
De surcroît, Les entreprises cotées font parfois fi de la rigueur et de la discipline en matière de gouvernance et de transparence. “Ce type d’entreprises subissent un manque à gagner en termes de crédibilité et un désintérêt des investisseurs. Fait d’évidence ! Il y a un problème au niveau de la réglementation”, a expliqué Lilia Kamoun Turki.
“La majorité des entreprises s’écartent complètement des plans présentés lors de l’introduction”, a signalé Belhassen Khayati. Il est pourtant du rôle du régulateur de les questionner sur ces écarts.
Le secteur bancaire champion du Tunindex, y a-t-il soupçon de dopage ?
La croissance du marché a été tirée essentiellement par le secteur bancaire, qui a fait à lui seul 5.43% de la performance avec comme chef de file le titre de la BIAT, troisième capitalisation du marché.
Ultime paradoxe : malgré le ralentissement de l’octroi du crédit dû à la morosité économique, la concurrence acharnée pour les dépôts et par conséquent la hausse des coûts des ressources ainsi que le recul de la liquidité du secteur bancaire, les marges des banques sont en progression.
Il ne faut pas se réjouir de sitôt. Les banques se sont découvertes une manne qui fait grimper leur compte portefeuille titres, beaucoup plus d’ailleurs que celui de l’encours des crédits nets à la clientèle. Etant donné que le secteur public a du mal à subvenir aux charges de fonctionnement de ses fonctionnaires, le Trésor public lance régulièrement des adjudications.
“Les banques achètent des BTA qui leur rapportent autour de 7.8%. Ceux-ci étant éligibles au refinancement auprès de la BCT. Elles se refinancent la semaine même auprès de la Banque Centrale au taux d’appel d’offres proche du taux directeur à 4.5%. C’est une marge nette pour la banque”, a signifié Moez Hadidane, gestionnaire de fonds chez Axis Capital.
À rappeler que le montant global du refinancement des banques auprès de la BCT a atteint un volume moyen de 6 957 millions dinars. C’est dire qu’à travers cet endettement répétitif il y a lieu de croire que la Banque centrale renfloue indirectement les caisses du Trésor public à travers les banques. Une formule qui permet au premier d’assouvir ses besoins de financement et aux secondes de rafraîchir leurs comptes d’exploitation ! Le portefeuille titres culmine à près de 30% du PNB de plusieurs banques.
Quid des banques publiques qui voient leur cours chuter ?
Les revers les plus sévères affectent la BNA et la STB. Pour le cas de la STB, les cours ne cessent de chuter alors que l’Etat venait d’injecter 750 millions de dinars.
“Il y a eu une destruction de valeur au détriment des actionnaires, au point de se demander si le coût financier du sauvetage de la STB ne serait pas plus important que celui de son abandon, si on ne devait pas considérer l’impact social. Cette décision politique aurait coûté à l’Etat 400 millions de dinars”, nous a déclaré Kais Kriaa DG d’Alphamena.
Il déplore un problème de gouvernance. Qu’il y ait un conseil d’administration et qu’il y ait une vraie indépendance par rapport à la tutelle n’y change pas grand chose. Et d’ajouter : « Le cas de la BNA est également sérieux. L’engagement avec les offices est très important. Elle sera amenée à céder des actifs et à se concentrer sur son core business ».
Comment se profile la demande sur le marché ?
Il est clair que le marché est atomisé, tiré par les petits porteurs. Les institutionnels sont de plus en plus absents. “Les assureurs ne sont plus sur le marché et ce n’est pas par ignorance. Pour quelles raisons une compagnie d’assurances opterait-elle pour l’achat d’actions, alors qu’elle peut placer à 8% de rendement et à zéro risque en achetant des BTA ?”, s’est exclamé Belhassen Khayati coordinateur général chez Maxula Gestion. Quant aux investisseurs étrangers ils sont pour le moins quasi absents.
S’il y a un point qui fait l’unanimité de tous les professionnels que nous avons rencontrés, c’est que cette catégorie d’investisseurs prudents, « bons pères de famille » est en train de se rétrécir comme peau de chagrin. Plusieurs parmi eux ont perdu une bonne partie de leur épargne, les séquelles sont encore là. Certaines plaies sont encore ouvertes. Pour Néfis Sebai, directeur du réseau commercial de Tunisie Valeurs, la crise c’est comme un filtre, seul est préservé le vrai épargnant qui investit sur le moyen et long terme. Ceux qui ont des approches courtermistes ont enregistré des moins-values et sont partis. L’horizon de placement est le plus important.
Constat peu rassurant : la persistance sur le marché de spéculateurs très actifs, voire agressifs en quête d’opportunités et de titres en mouvement. Cette configuration développe encore plus le mimétisme sur le marché et l’irrationnel. « Vous pouvez avoir une file d’attente à l’achat sur un titre et la semaine d’après il y aura une file d’attente pour la vente du même titre sans qu’aucune information n’ait été divulguée : c’est l’exception tunisienne», a signalé Belhassen Khayati.
Sur quel secteur parier ?
Lilia Kamoun Turki, analyste financier chez Tunisie Valeurs, déclare que dans une conjoncture pareille, la priorité est au stockpicking, c’est à dire choisir des valeurs défensives avec des fondamentaux solides. Les perspectives de croissance, particulièrement à l’international, est également un facteur décisif dans le choix d’investissement, a-t-elle précisé.
Comment demain sera fait ?
Néfis Sebai, directeur du réseau commercial de Tunisie Valeurs, reste confiant : « Le changement politique, le nouveau gouvernement et la stabilité qui s’en suit sont autant d’éléments qui rassurent les investisseurs locaux et étrangers. Ces derniers sont particulièrement attentistes à la veille de la conférence Tunisia 2020. Nous sommes au creux de la vague, ce qui laisse préfigurer une reprise. Le potentiel y est», a-t-il conclu. Message d’espoir