La Tunisie affiche l’ambition de devenir un acteur majeur de l’intelligence artificielle en Afrique, grâce à ses progrès en matière de gouvernance électronique. D’après l’Oxford Insights Government AI Readiness Index 2023 (source), le pays fait partie des mieux classés sur le continent aux côtés de l’Afrique du Sud, des Seychelles et de l’île Maurice. Un atout précieux puisque la numérisation des services publics peut générer des bases de données essentielles pour développer des algorithmes adaptés aux réalités locales.
Pourtant, la réalité est plus contrastée. À l’image de nombreux pays africains, la Tunisie souffre d’un sérieux «déficit de données». Bien qu’une Stratégie nationale de données ouvertes existe, une grande partie des ensembles de données publiques reste difficile d’accès, par manque de coordination et de capacités techniques. Résultat: les startups IA, comme Instaware, doivent créer elles-mêmes leurs jeux de données, ce qui ralentit leur développement et alourdit leurs coûts.
Autre frein majeur: la quasi-absence de puissance de calcul. L’Afrique ne représente qu’1% de la capacité mondiale des centres de données, selon Xalam Analytics. Aucun supercalculateur africain ne figure dans le classement TOP500.org, rendant l’entraînement de modèles IA complexes particulièrement onéreux. Adnene Labidi, fondateur d’Instaware, illustre bien cette limite: faute de solutions cloud abordables, il a dû investir dans des cartes graphiques coûteuses pour développer ses modèles de vision par ordinateur.
Malgré ces obstacles, plusieurs acteurs tunisiens, comme InstaDeep, récemment racheté par BioNTech, ou encore Fairconnect.ai de Moez Ben Hajhmida, poursuivent leurs travaux pour faire progresser l’IA sur le continent. Du côté des grandes firmes, Aïcha Mezghani et Mohamed Malouche, tous deux dirigeants chez Deloitte Afrique, militent pour renforcer les écosystèmes TIC et encourager la mutualisation des infrastructures.
Pour libérer le potentiel de l’IA en Tunisie, les experts plaident pour une accélération de la transformation numérique, une meilleure ouverture des données publiques, des incitations au partage de données privées non sensibles, et un soutien financier pour permettre aux startups d’accéder aux services cloud. À terme, la création de centres de calcul régionaux mutualisés pourrait devenir une solution pragmatique pour réduire les coûts.