Peste noire, grippe espagnole, SIDA… ces épidémies se sont propagées à une vitesse phénoménale et ont réussi à terrasser un bon nombre de vies. Mais avec les avancées technologiques et les 4 milliards d’internautes dispersés à travers le monde, c’est la fausse information qui est aujourd’hui classée en tant qu’épidémie nocive, virulente et accessible à tous. Le sujet fut l’objet de la deuxième édition des Rencontres de Carthage organisée par l’Union francophone à Tunis les 25 et 26 juin. Témoignages, études et recommandations d’experts en la matière étaient au rendez-vous.
D’entrée de jeu, Hassen Zargouni, DG de Sigma Conseil a présenté une étude récente portant sur les croyances des Tunisiens. « Il est regrettable qu’aujourd’hui le peuple tunisien puisse croire en des informations dépourvues de sources concrètes et fiables » a -t-il déclaré. Il en découle aussi de cette étude que le Tunisien lambda est un partisan de la théorie du complot.
D’ores et déjà, 80% des Tunisiens ont entendu parler de la campagne d’indignation et de colère « Où est le pétrole ». Tous les géologues savent qu’il n’y a pas de pétrole en Tunisie. « La population pense que les robinets sont sous-marins et ne passent pas par le contrôle de l’Etat, beaucoup pensent que Total exploite du pétrole tunisien alors qu’elle n’a aucun gisement en Tunisie », a ajouté Hassen Zargouni. Regrettable mais vrai, 69% des Tunisiens croient que la Tunisie baigne dans le pétrole alors que 25 mille barils par jour sont à peine extraits.
Dans cette même étude, selon les estimations de Sigma Conseil, 86% des fakes news sont répandues sur internet. « Il y a une conscience collective d’imputer ceci à l’existence d’internet», a ajouté Hassen Zargouni. Plus déplorable, 28% savent qu’ils ont relayé une fausse information. Selon le sondage, les Tunisiens pensent que les réseaux sociaux relayent à 65% des infox.
Pour bloquer les infox, le peuple pense que le gouvernement devrait agir face à une rumeur ou à une éventuelle fausse information, suivi des médias et du parlement. Une étude qui en dit gros sur les croyances des Tunisiens…
Une arme redoutable
Ce sont les réseaux sociaux qui constituent un canal musclé pour la propagation des infox. Et c’est l’entreprise qui peut en souffrir. C’est ce qu’a énoncé Asmaa Eljay Hajbaoui, anciennement directrice de la communication des eaux minérales d’Oulmès au Maroc. En ajoutant que : « De nos jours, les institutions sont piratées et hameçonnées et c’est également le cas pour le Maroc».
En effet, l’année 2018 était une année noire pour Centrale Danone, Sidi Ali et Afriqia, deux entreprises marocaines. En avril 2018, pile poil avec le salon de l’Agroalimentaire, un mouvement sous le nom de « Mou9ati3oun », ou les boycotteurs, s’est enclenché suite à une fausse information sur l’augmentation de prix.
Quand bien même les représentants des marques Sidi Ali et Centrale Danone ont contredit les rumeurs, le mouvement de boycott persistait. Selon l’ancienne responsable, elles sont soupçonnées de faire la loi sur le marché et grâce aux réseaux sociaux le mouvement a connu une vitesse hors du commun alors que l’augmentation des prix n’a pas lieu d’être puisque les prix de l’eau de Sidi Ali n’ont pas bougé depuis 2013 !
Il va sans dire que les réseaux sociaux sont devenus des vecteurs de communication extrêmement puissants et virulents. Les pages Facebook WAVO et CasaBelVisa, sources des infox, ayant respectivement 750000 fans et 813000 fans sont jusqu’à aujourd’hui anonymes.
« Les produits de Centrale Danone avaient 78% d’intention d’achat et puis 95% ont dénigré la marque », a insisté l’ancienne responsable. Selon ses dires, la catégorie de 15-24 ans, soit les consommateurs d’aujourd’hui et de demain, représentent 93% des boycotteurs.
Les préjudices étaient manifestes, à commencer par l’image de marque. « Les résultats nets ont baissé de 88% et le chiffres d’affaires de 50% », indique Asma Eljay. Des conférences de presse, des focus group avec les consommateurs ont même été organisés. Rien n’a été efficace et le mouvement a eu gain de cause.
Investiguer, sensibiliser !
Pour Asma Eljay, il n’est plus question de demander au consommateur ce qu’il pense du produit et de l’entreprise. La réputation sur la toile web est la mission de l’entreprise et elle se doit de mettre en place un système de veille. « Il faut être prêt pour ce genre de crise », a-t-elle insisté.
Dans la même veine, Arno Pons, vice-président de l’agence de communication Herezie Group, a indiqué que le phénomène d’amplification des infox s’est intensifié avec les réseaux sociaux mais que la solution existe. « On peut s’appuyer sur l’Intelligence artificielle pour que les systèmes détectent à eux seuls le vrai du faux », assène le responsable.
Ces informations doivent être lavées des infox et présentées à une intelligence collective, à savoir la communauté d’internautes. Si les fausses informations sont bloquées à leur naissance et que le temps est donné aux médias et journalistes de vérifier la source et la solennité de l’information, l’effet boule de neige sera contrecarré.
Du même avis, Damien Fournier, DG du groupe communication Havas Suisse, a indiqué que chaque personne a un rôle à jouer et que chaque média se doit d’investiguer ses sources. En ajoutant que : « France info a une cellule dédiée à l’investigation des infox et ils conduisent de véritables recherches journalistiques ».
Pour lui, il est surtout question d’éduquer la conscience collective. Indéniablement, créer et publier du contenu est une liberté mais avoir un recul et une éducation s’impose. « Comme les enfants ne doivent pas monter dans les voitures des inconnus, les internautes ne doivent pas renforcer et partager de fausses informations sur la toile », a-t-il soutenu.