Charismatique, visionnaire et profondément enraciné dans les valeurs panafricaines, Raila Odinga incarne un leadership audacieux pour une Afrique performante et unie. De ses débuts comme ingénieur à son rôle de ministre de l’Énergie et ministre des Transports à différentes époques avant d’être premier ministre du Kenya, en passant par son combat incessant pour la démocratie et le développement inclusif, il s’est affirmé comme une figure incontournable du continent. Aujourd’hui candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine, il porte une vision optimiste et ambitieuse: transformer l’économie africaine en renforçant le commerce intra-africain, promouvoir l’égalité des genres et l’équité sociale, agir face aux défis climatiques grâce aux énergies renouvelables et exploiter pleinement le potentiel de la jeunesse africaine. Raila Odinga propose une stratégie audacieuse et concrète pour faire de l’Afrique un modèle de prospérité, d’inclusion et de résilience. Dans cet entretien exclusif, il partage ses convictions, ses priorités et sa vision d’un avenir uni et performant pour le continent.
Pourquoi avez-vous décidé de relever le défi de vous porter candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine?
Cette décision est le fruit d’un long parcours personnel et professionnel. Je suis ingénieur de formation et j’ai enseigné à l’Université de Nairobi avant de me lancer dans l’entrepreneuriat industriel en Afrique de l’Est. Mon engagement s’est ensuite orienté vers le secteur public, en tant que ministre des Transports et de l’Énergie, puis comme Premier ministre du Kenya. Ces responsabilités m’ont permis de contribuer directement au développement de mon pays et d’acquérir une compréhension approfondie des défis et des opportunités de notre continent. Aujourd’hui, je considère qu’il est temps de mettre cette expérience au service de l’Afrique tout entière. Des leaders influents de notre continent, comme d’anciens présidents du Nigeria et d’Afrique du Sud, m’ont encouragé à me porter candidat. Ils ont insisté sur la nécessité de transformer l’Union africaine en un véritable moteur de changement, fidèle à la vision des pères fondateurs de notre continent.
Quels sont, selon vous, les atouts principaux de l’Afrique pour devenir un acteur majeur sur la scène mondiale?
L’Afrique est une terre de ressources, à commencer par ses habitants. Avec une population de 1,4 milliard de personnes, dont 70% ont moins de 35 ans, nous sommes le continent le plus jeune au monde. Cette jeunesse représente une immense force si elle est correctement formée et valorisée. En investissant dans une éducation de qualité et en rendant la technologie accessible, nous pouvons transformer cette population en un moteur d’innovation et de création de richesse. Ensuite, l’Afrique est incroyablement riche en ressources naturelles: pétrole, gaz, lithium, coltan, uranium… Ces minerais stratégiques sont au cœur des technologies modernes. Malheureusement, notre continent a trop longtemps exporté ses matières premières sans valeur ajoutée. L’avenir repose sur l’industrialisation et la transformation locale de ces ressources, pour générer des emplois et renforcer notre autonomie économique. Enfin, les avancées technologiques, comme l’intelligence artificielle et l’accès élargi à Internet, nous offrent une opportunité sans précédent de rattraper notre retard et de devenir un acteur incontournable dans l’économie mondiale.
Vous insistez sur l’importance de l’intégration africaine. Quels sont vos plans pour accélérer ce processus?
L’intégration africaine est un impératif stratégique. Les pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) avaient une vision claire d’une Afrique unie. Cependant, cette vision a été freinée par des considérations nationales et des obstacles administratifs. Mon objectif est de faire avancer cette intégration en renforçant les blocs régionaux existants comme la Communauté d’Afrique de l’Est, la Cédéao ou encore la SADC, afin qu’ils deviennent les piliers d’un gouvernement continental. Nous devons établir des politiques communes et des normes claires pour encourager le commerce intra-africain, qui représente aujourd’hui à peine 15% de nos échanges, contre 70% en Europe. Le modèle européen est particulièrement inspirant pour nous. Lorsque je vivais en Europe en tant qu’étudiant, je me souviens de l’époque où chaque pays fonctionnait de manière indépendante. Voyager entre deux pays nécessitait plusieurs visas et il fallait jongler avec différentes devises nationales comme le deutsche mark ou le franc français. Aujourd’hui, grâce à l’Union européenne, l’Europe bénéficie d’une monnaie unique, d’un marché intérieur fluide et d’institutions supranationales, comme le Parlement européen, qui prennent des décisions applicables à tous les États membres. En Afrique, nous sommes loin de ce niveau d’intégration. Nous devons surmonter les freins liés à une souveraineté nationale excessive et au manque de volonté politique. L’exemple européen montre que l’unité et la coopération peuvent transformer un continent. Imaginez une Afrique où le commerce intra-africain est simplifié, où les citoyens peuvent voyager librement et où les décisions continentales sont rapidement mises en œuvre. Ce n’est pas un rêve utopique, mais un objectif atteignable avec une feuille de route claire et un engagement fort de la part des dirigeants africains. De plus, les infrastructures doivent jouer un rôle central dans cette intégration. Des réseaux ferroviaires transcontinentaux, des routes modernes, des connexions en fibre optique et une régulation commune des espaces aériens (Open Sky) sont des priorités absolues. Ces initiatives, combinées à une véritable volonté d’unité, permettront à l’Afrique de rattraper et même de dépasser d’autres régions en termes de compétitivité et de croissance.
Quelles sont vos ambitions pour le projet d’Open Sky africain?
L’initiative Open Sky est l’une des priorités que je souhaite impulser, car elle représente un levier immédiat et accessible pour l’intégration africaine. Actuellement, le transport aérien en Afrique est ralenti par des barrières administratives et des coûts élevés dus à l’absence de coordination régionale. Chaque pays gère son espace aérien de manière isolée, ce qui complique les trajets et augmente considérablement les frais. L’Open Sky vise à ouvrir l’espace aérien africain à une régulation commune, permettant ainsi une circulation fluide des personnes et des marchandises. Cela ne profite pas uniquement au secteur aérien: le tourisme, les échanges commerciaux et même l’accès aux services essentiels en seront grandement dynamisés. Je crois fermement qu’il est possible de commencer par des blocs régionaux – par exemple, en harmonisant les contrôles aériens en Afrique du Nord ou de l’Est – avant d’étendre cette initiative à l’ensemble du continent. Avec une mise en œuvre effective, nous pouvons réduire les coûts, optimiser les trajets et accélérer la mobilité à l’échelle africaine, ce qui renforcera notre compétitivité globale.
Comment envisagez-vous de mobiliser les ressources africaines pour financer cette transformation?
L’indépendance financière de l’Union africaine est cruciale pour garantir notre souveraineté et notre capacité à mener nos propres politiques. Actuellement, une grande partie du budget de l’UA dépend de contributions extérieures, ce qui limite notre autonomie. Je plaide pour une mobilisation efficace de nos ressources internes, qu’il s’agisse de taxes sur les exportations de matières premières, de mécanismes financiers innovants ou encore d’un commerce intra-africain renforcé par la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). En maximisant l’utilisation de nos marchés domestiques et en valorisant nos ressources localement, nous pouvons financer nos ambitions et bâtir une Union africaine autonome et puissante.
Un dernier mot pour les Tunisiens et les Africains?
Mon message est un message d’espoir et de fierté. L’Afrique est à un tournant décisif, et je crois fermement que le XXIe siècle sera le siècle de notre continent. Je m’adresse aux Africains avec un langage qui leur est cher, celui des symboles et des traditions. Imaginez l’African Lion, ce roi de la savane, symbole de puissance et de résilience. Il s’adresse aujourd’hui à l’Asian Tiger, qui a longtemps dominé la scène mondiale, et lui dit: «Tu as dansé seul sur la scène pendant bien trop longtemps». Il regarde également l’European Bear, qui se replie sur lui-même, pris dans le froid de ses défis, et l’American Jaguar, qui s’essouffle sur sa course. Mais voici venir l’African Lion, debout, prêt à rugir et à prendre sa place dans l’arène mondiale. Ce lion représente chaque nation de notre continent: les lions de l’Atlas, fiers et robustes, le Simba d’Afrique de l’Est, noble et résilient, et tant d’autres qui symbolisent notre diversité et notre force collective. Mon message aux Africains, et particulièrement aux Tunisiens, est de croire en cette force, en notre capacité à nous unir, à transformer nos richesses et à bâtir un avenir commun. Ensemble, nous pouvons écrire une nouvelle page de l’histoire africaine, une histoire où le lion africain ne sera plus dans l’ombre, mais au cœur de la scène mondiale. Le monde nous regarde, et il est temps de montrer que l’Afrique est prête.