Pour son troisième podcast de la série CJD TALKS 2024, Chekib Ben Mustapha, expert économique, analyse les enjeux de la loi de finances 2025 en Tunisie. Celle-ci, bien qu’introduisant des mesures sociales, suscite des interrogations sur sa capacité à véritablement relancer l’investissement.
La discussion débute avec une observation importante : pour 2025, il existe deux lois de finances. La première est le projet de loi présenté par le gouvernement, tandis que la seconde est une version amendée récemment adoptée. Entre les deux, les divergences sont significatives.
Ben Mustapha souligne que le projet initial ne contenait rien de surprenant. Avec une marge de manœuvre de plus en plus réduite, les contraintes économiques dictent une priorité aux équilibres budgétaires, plutôt qu’aux incitations fiscales pour les entreprises. Cela reflète une tendance persistante où l’investissement ne figure plus parmi les priorités de la loi de finances depuis plusieurs années.
Deux solutions s’offrent traditionnellement au gouvernement : réduire les dépenses (salaires, subventions, etc.) ou augmenter les revenus fiscaux. La nouveauté du projet de loi de finances 2025 réside dans une mesure sociale d’inclusion fiscale visant à soutenir le pouvoir d’achat. Ainsi, les revenus annuels jusqu’à 50 000 Tnd bénéficient d’une réduction d’impôt, équivalente à une augmentation de 30 à 50 Tnd par mois.
Cependant, cette mesure a un coût, que l’État compense par une augmentation de l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPP) pour les salaires dépassant 50 000 Tnd annuels, passant de 35 % à 40 %. De même, les grandes entreprises, notamment celles réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 20 milliards Tnd, verront leur impôt sur les sociétés augmenter de 20 % à 25 %.
Une critique majeure adressée au nouveau projet de loi concerne la pression fiscale croissante sur les PME et les entreprises. Bien que la Tunisie figure parmi les pays africains ayant les taux d’imposition les plus élevés, la contrepartie en matière d’infrastructures, d’éducation et de santé demeure insuffisante.
Ben Mustapha rappelle également que l’investissement est depuis longtemps une « variable d’ajustement » utilisée pour compenser les déséquilibres budgétaires. Toutefois, l’absence de loi de finances complémentaire en 2025 marque un changement, évitant ainsi de réduire davantage les budgets alloués aux investissements.
La relance des investissements publics constitue un axe central du gouvernement actuel. Une commission spéciale a été mise en place au sein du Premier ministère pour suivre l’avancement des grands projets publics retardés. Ces initiatives, tenues régulièrement sous l’égide du Conseil Interministériel, visent à accélérer les projets structurants et à renforcer leur rôle de locomotive pour le développement économique.
Cependant, les priorités restent floues. Alors que le ministère de l’Économie identifie quatre secteurs prioritaires, le ministère de l’Industrie en recense dix-huit. L’absence de coordination entre ces entités a conduit à un échec dans la signature des pactes sectoriels, malgré un travail préparatoire de qualité.
Un exemple frappant de cette inefficacité est l’aéroport de Tunis-Carthage. Ben Mustapha plaide pour un recours plus systématique aux partenariats public-privé (PPP) afin de réduire les délais et les coûts. Comparant la Tunisie à la Grèce, il rappelle que cette dernière, malgré sa faillite il y a 15 ans, a réussi à rebondir grâce à des réformes structurelles et à la privatisation de certains actifs.
Au-delà des questions fiscales, l’expert met en lumière des blocages persistants. L’inefficacité des services publics et l’absence de gestion optimisée freinent les initiatives privées. Il appelle à une meilleure gouvernance, une digitalisation des processus administratifs, et une loi horizontale annuelle qui adresserait les obstacles au climat des affaires.
Enfin, Ben Mustapha insiste sur la nécessité d’une vision à long terme pour la relance économique. Alors que la Tunisie n’a pas connu de croissance significative depuis 15 ans, il est urgent de prioriser l’investissement national et de soutenir les secteurs privés affectés par des crises successives, telles que la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine.
La loi de finances 2025, bien qu’ambitieuse par certains aspects, devra s’accompagner de réformes structurelles pour réellement encourager l’investissement et assurer une croissance durable.