Le CJD Talks 2024 a récemment reçu M. Mohamed Aymen Chbak, avocat à la cour de cassation et expert en droit des affaires, pour un podcast dédié au thème « La nouvelle réglementation des chèques en Tunisie : comment s’adapter ? ». M. Chbak a abordé les motivations et implications de cette réforme majeure, tout en éclaircissant son impact sur les utilisateurs de chèques et les acteurs économiques.
Une réforme de longue haleine
Contrairement aux impressions d’une application soudaine, cette nouvelle réglementation est le fruit d’années de travail. Les premiers travaux préparatoires avaient été lancés il y a longtemps, impliquant des études poussées et des consultations interministérielles, notamment avec la Banque centrale et les institutions bancaires.
Un cadre légal en évolution depuis 1959
La réglementation des chèques n’est pas nouvelle : elle fait partie du Code du commerce depuis 1959. Elle a cependant connu plusieurs révisions majeures, en 1985, 1996 et plus récemment en 2007. La modification actuelle ne représente donc pas une loi nouvelle, mais une révision significative pour s’adapter aux réalités économiques actuelles.
Une réponse à une situation alarmante
La réforme intervient dans un contexte préoccupant. Actuellement, de nombreuses personnes sont incarcérées à cause de chèques sans provision, et les tribunaux sont saturés d’affaires de chèques impayés. En 2022-2023, plus de 400 000 chèques non honorés, d’une valeur totale de 3,5 milliards de dinars, ont entraîné environ 36 000 condamnations, touchant près de 10 000 individus. Avant le 2 août, un simple chèque sans provision de 100 dinars pouvait mener son émetteur en prison. Cette situation coûte cher à l’État, tant au niveau des frais de détention que de la gestion judiciaire.
Les nouvelles règles de la réglementation des chèques
La réforme introduit plusieurs changements majeurs :
-Dépénalisation des chèques inférieurs à 5 000 dinars : Pour ces montants, c’est désormais la banque qui doit avancer la somme dans un délai de huit jours ouvrables, avant de se retourner vers son client pour recouvrer la dette.
-Limite du montant des chèques : Le montant maximal par chèque est désormais fixé à 30 000 dinars.
-Encadrement des chèques barrés : Tous les chèques seront dorénavant barrés, sauf exceptions à voir directement avec la banque.
-Lancement d’une plateforme numérique : À partir de février 2025, une plateforme permettra aux bénéficiaires de vérifier la provision d’un chèque d’une valeur supérieure à 5 000 dinars et de réserver le montant.
Les risques de contournement et de pratiques frauduleuses
M. Chbak évoque des scénarios potentiels de contournement de ces règles. Par exemple, pour un achat de 150 000 dinars, une personne pourrait délivrer cinq chèques de 30 000 dinars chacun. De même, des montants importants pourraient être divisés en chèques de 5 000 dinars, obligeant la banque à couvrir la somme si la provision est insuffisante.
La fin de l’usage des chèques comme garantie ?
Avec cette nouvelle réglementation, l’utilisation des chèques comme garantie devient risquée. Toute preuve de leur utilisation comme garantie pourrait entraîner des sanctions, y compris des peines de prison pour l’émetteur et le bénéficiaire. La loi vise à restaurer le chèque dans son rôle d’outil de paiement uniquement, afin de réduire les pratiques qui exploitent les failles de l’ancien système.
La plateforme numérique : un outil aux effets incertains
La plateforme numérique prévue en 2025 soulève certaines questions, notamment en ce qui concerne la confidentialité des données financières. Les commerçants traitant un grand nombre de chèques pourraient être contraints d’engager du personnel pour gérer ces vérifications en ligne, une charge financière et logistique supplémentaire.
Des répercussions économiques potentiellement lourdes
Les impacts de cette réforme sont encore incertains, mais M. Chbak souligne le risque de récession et d’inflation, car l’économie pourrait être affectée par ces changements dans les transactions financières.
Des sanctions allégées pour les chèques impayés
En cas de chèque impayé de 5 000 dinars ou plus, la peine est désormais limitée à deux ans de prison (contre jusqu’à cinq ans auparavant). De plus, le processus de plainte est assoupli : le bénéficiaire du chèque doit maintenant porter plainte auprès du procureur, qui décidera de poursuivre ou non.
Conseils pour les acteurs économiques et les banques
M. Chbak insiste sur la vigilance nécessaire des acteurs bancaires et économiques. La Banque centrale doit s’assurer de la bonne mise en place de la plateforme, et les banques doivent vérifier l’éligibilité de leurs clients avant de leur fournir des carnets de chèques. Les utilisateurs de chèques, quant à eux, doivent se tenir informés des nouvelles dispositions pour éviter tout risque juridique.