Le huitième épisode du CJD Talks 2024 a reçu M. Selim Ben Messaoud, Directeur Général de MBM Group, pour une discussion sur « La nouvelle réglementation des chèques en Tunisie : comment s’adapter ? » Face aux défis financiers et aux risques économiques qu’apporte cette évolution législative, M. Ben Messaoud a partagé son expertise sur l’histoire et l’importance de la culture du chèque en Tunisie.
Une culture du chèque comme solution au manque de financement
D’après M. Ben Messaoud, les Tunisiens ont adopté massivement l’utilisation des chèques en raison des taux élevés des crédits bancaires et des garanties souvent inaccessibles pour les PME. Dans ce contexte, le chèque a représenté une solution pratique permettant de sécuriser les transactions sans passer par des prêts coûteux. « Pour beaucoup de commerçants, émettre des chèques antidatés est devenu un moyen efficace de garantir le paiement de leurs fournisseurs sans les contraintes des intérêts bancaires élevés », explique-t-il.
Les chèques impayés, une problématique nationale
En Tunisie, l’utilisation du chèque va bien au-delà de la simple transaction commerciale ; il est aussi perçu comme une garantie en raison des sanctions pénales en cas de non-paiement. Cependant, le nombre croissant de chèques impayés témoigne d’une réalité alarmante, aggravée par l’absence d’une base de données nationale fiable permettant aux commerçants de vérifier la solvabilité de leurs clients. Selon M. Ben Messaoud, « sans un système de notation des entreprises, il est difficile de savoir avec certitude si le client est financièrement fiable ».
Une opportunité pour les institutions financières
Pour M. Ben Messaoud, les nouvelles régulations ouvrent une fenêtre d’opportunité pour les banques et autres institutions financières. « Les banques et établissements de paiement pourraient proposer des solutions adaptées pour soutenir les commerçants et les entrepreneurs face à ces changements », avance-t-il. La nouvelle réglementation, qui stipule que les chèques impayés de 5000 dinars ou moins ne sont plus passibles de sanctions pénales, suscite beaucoup de crainte, surtout dans une économie où le chèque est un instrument de paiement largement adopté.
Un bouleversement pour certains secteurs économiques
La nouvelle réglementation impacte fortement certains secteurs, comme la technologie, l’électroménager ou encore le tourisme, où les transactions par chèques sont majoritaires. « Les agences de voyage, par exemple, qui dépendent des chèques pour leurs réservations, vont devoir réadapter leurs pratiques », note-t-il, tout en soulignant que cette transition pourrait peser sur la croissance de ces secteurs et engendrer une hausse du chômage.
Les gagnants et les perdants du nouveau système
Dans un climat économique en mutation, M. Ben Messaoud identifie les entreprises bien organisées et disposant de relations de confiance avec leurs partenaires comme étant les gagnantes de cette transition. « Les entreprises ayant un historique positif avec leurs clients et fournisseurs pourront progressivement passer des chèques aux traites, tandis que les nouveaux entrepreneurs pourraient faire face à davantage de difficultés pour s’adapter », analyse-t-il. Les entrepreneurs récents, sans historique de confiance établi, pourraient ainsi être désavantagés, réduisant ainsi la compétition pour les entreprises plus expérimentées.
Vers une récession et un besoin de sensibilisation
D’après M. Ben Messaoud, cette réforme légale pourrait entraîner une récession économique en Tunisie, réduisant la circulation monétaire et limitant les stocks des entreprises. « En diminuant les stocks, les entreprises courent le risque de provoquer des pénuries, ce qui pourrait entraîner une inflation », met-il en garde.
Dans ce contexte, il appelle les chefs d’entreprise à informer leurs clients et partenaires de ces nouveaux enjeux, et plaide pour des offres bancaires plus flexibles. Son conseil aux entrepreneurs est de structurer leurs entreprises et d’améliorer leur image de fiabilité pour inspirer confiance auprès de leurs partenaires.
Un appel à l’innovation et au soutien gouvernemental
Pour conclure, M. Ben Messaoud insiste sur le rôle crucial de l’État et des banques pour accompagner cette transition. Il invite les institutions financières à proposer des lignes de crédit à faibles taux d’intérêt et à soutenir les entrepreneurs dans cette phase d’adaptation. « La Tunisie a su s’adapter auparavant et elle pourra le faire à nouveau », conclut-il.
En somme, cette nouvelle réglementation impose une refonte des pratiques financières en Tunisie. Pour réussir, il sera essentiel de restructurer les habitudes économiques, de diversifier les solutions de paiement et de renforcer la confiance mutuelle entre commerçants, entrepreneurs et institutions financières.