Selon Lassaad Mrabet, l’importance des enjeux liés à la mobilité électrique n’est plus à démontrer. En effet, l’étude menée par l’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie confirme que l’adoption de la mobilité électrique peut permettre à la Tunisie d’atteindre pas moins de 7 objectifs. 1: offrir une économie d’énergie de l’ordre de 30%. 2: atténuer la dépendance des transports routiers à l’égard du pétrole importé. 3: contribuer à réduire la facture énergétique du pays et, en conséquence, le déficit énergétique, de 60%. 4: offrir de grandes possibilités d’intégrer les énergies renouvelables dans le mix énergétique tunisien. 5: réduire les émissions de gaz à effet de serre, tout en améliorant la qualité de l’air en ville, grâce à des émissions nulles à l’échappement. 6: réduire les nuisances sonores afin d’honorer les engagements internationaux de la Tunisie en la matière. Enfin, 7: améliorer le positionnement de la Tunisie dans la révolution technologique liée à la mobilité électrique.
Un parcours du combattant
Malheureusement, si l’on ne constate pas une forte pénétration de marché de ses véhicules électriques, alors que BYD est le leader mondial de l’électrique et de l’hybride rechargeable, c’est à cause du fait que le constructeur est confronté à plusieurs obstacles que nous confie Lassaad Mrabet, DGA de Helios Cars, représentant officiel de BYD en Tunisie. «Nous sommes aujourd’hui prêts à introduire «notre» mobilité électrique sur le marché. Mais une gamme complète de véhicules électriques et hybrides est en attente d’autorisation depuis plusieurs mois», regrette Lassaad Mrabet. Selon lui, le premier obstacle est administratif. Depuis 2016, l’octroi de l’agrément pour les nouveaux concessionnaires automobiles est soumis à l’obligation d’effectuer le montage localement. Cette obligation est porteuse de deux duperies. D’abord sur la forme, alors que cette décision a été prise dans le cadre d’un conseil ministériel et, de fait, elle est contraire à la réglementation encadrant l’activité de concessionnaire automobile. Ensuite sur le fond, puisque cette obligation s’applique aux nouveaux concessionnaires et pas aux anciens. Une pratique délibérément anticoncurrentielle, aggravée par l’irréalisme de l’obligation de montage dans le domaine des véhicules électriques parce que cela exige une économie d’échelle afin que le montage soit rentable. Le second obstacle concerne l’infrastructure de recharge. Dans le monde entier, 90% de la recharge des véhicules électriques se fait à domicile chez les particuliers et dans leurs lieux de travail. Il s’agit de bornes AC (courant alternatif) où la durée de recharge est de 8 heures en moyenne. Quant au reste, ce sont des bornes de recharge rapide qui ne prennent que 20 à 30 mn de recharge (le temps de prendre un café) et qui sont placées sur les axes routiers. Et pour assurer la mobilité aux véhicules électriques dans un pays, il faut –de toute évidence – assurer un minimum de maillage en termes de bornes de recharge. Cela en plus du fait que la Steg doit préciser le cadre pour l’installation des bornes de recharge et les conditions tarifaires de vente de l’électricité.
Contre mauvaise fortune, bon cœur!
BYD n’a pas été découragé pour autant. De sa propre initiative, il a commencé à installer ses propres bornes en partenariat avec des sociétés de distribution de pétrole. «Nous avons fait un investissement important pour installer plusieurs bornes de recharge, dont 5 bornes de recharge rapide (pour le moment, la recharge est gratuite). En même temps, en Europe, l’encouragement à la mobilité électrique se manifeste par un investissement dans les bornes rapides et surtout une subvention de 7.000 euros (près de 25 mille dinars) pour inciter à l’achat des véhicules électriques», souligne Mrabet. Pratiquement seul, BYD n’a pas lésiné sur les efforts. En effet, BYD a fait table rase de l’ancienne hiérarchie dans le secteur automobile et persiste dans son affirmation fulgurante de devenir la marque leader du NEV (EV + Hybrid) et la 1re marque chinoise au monde toutes catégories confondues à se hisser à la 5e place mondiale en 2023 et à viser le podium des 3 premières marques mondiales en dépassant des marques centenaires. «Cela ne fait qu’imposer le respect que nous avons pour cette entreprise et sa technologie. Cela me rappelle ce que les marques de smartphones (comme Apple et Samsung) ont fait avec des technologies comme Nokia ou Motorola, et il est temps que notre pays et nos concitoyens en profitent…», poursuit Mrabet. Il évoque un autre levier pour le développement de la mobilité électrique en Tunisie: proposer des véhicules électriques à des prix abordables. Mais là aussi, il y a un problème: «Paradoxalement, en Tunisie, les avantages fiscaux accordés aux véhicules entrant dans le cadre du programme de la voiture populaire ne s’appliquent pas aux véhicules électriques. Il serait, de ce fait, tout à fait naturel d’étendre cet avantage aux véhicules électriques, puisqu’ils sont dans la droite ligne de la stratégie de l’Etat qui encourage la mobilité électrique», regrette notre interlocuteur.
Une vision et des projets
En vérité, BYD reste porteur de beaucoup de projets en Tunisie: «BYD à travers son représentant en Tunisie Helios Cars a installé les bornes et a décidé de s’investir dans la totalité de l’écosystème de la mobilité électrique, car la stratégie globale est de réduire la température de la planète d’un degré! Pour cela, nous offrons une large gamme de véhicules électriques de qualité supérieure, n’ayant pratiquement pas besoin de maintenance et qui répondent à tous les besoins. De fait, il s’agit de véhicules à seulement 20% du coût de la consommation des véhicules thermiques». Conscient de ces enjeux, la vision de BYD se résume en 3 points: primo, l’impact économique en tenant compte d’une conjoncture où un Etat en difficulté subventionne le carburant à hauteur de 800 millions de dinars. Car il faut s’imaginer tout simplement que ce budget pourrait être soulagé graduellement et dédié à d’autres préoccupations (par exemple, alimenter le marché en produits agroalimentaires de première nécessité comme la farine). Secundo, l’État tunisien est convaincu de l’importance de l’introduction de la mobilité électrique, la dernière étude menée par l’Anme le prouve. Et il devrait agir dans ce sens. Tertio, l’impact est aussi énergétique au moment où la mobilité électrique peut reposer sur l’énergie solaire, un autre domaine de spécialisation de BYD. Pour ne citer qu’un exemple, une voiture électrique est conçue pour être essentiellement chargée la nuit, au moment où l’électricité est censée être gratuite, car produite et non consommée. Imaginez alors l’effet bénéfique sur la courbe de charge du réseau national. «Notre vision s’étend aussi à tout ce que nous subissons dans notre pays, telles les vagues de chaleur, la diminution de la pluviométrie et des réserves d’eau… C’est le résultat du changement climatique qui pousse l’immigration vers le nord. Et, de ce point de vue, la réduction de la pollution induite par l’utilisation de véhicules électriques contribuera à atténuer ces problèmes. En effet, la voiture électrique est généralement plus efficace sur le plan énergétique que le véhicule à moteur à combustion interne. Cela est dû à plusieurs facteurs», explique Mrabet. Des facteurs qu’il résume en 4 axes. Un rendement élevé: les moteurs électriques ont un rendement bien supérieur à celui des moteurs à essence ou diesel, ce qui signifie qu’ils convertissent une plus grande partie de l’énergie électrique en mouvement sans gaspillage d’énergie sous forme de chaleur. Une absence d’émissions directes: les voitures électriques ne produisent pas d’émissions directes, ce qui signifie qu’elles ne génèrent pas de pollution locale de l’air ni de gaz à effet de serre lors de leur fonctionnement, contrairement aux véhicules à combustion. Une récupération d’énergie: les voitures électriques sont équipées de systèmes de récupération d’énergie, tels que la régénération de freinage, qui convertissent l’énergie cinétique en énergie électrique lors du freinage, améliorant ainsi leur efficacité globale. Une flexibilité énergétique: les voitures électriques peuvent être alimentées par diverses sources d’énergie, notamment l’électricité renouvelable, ce qui contribue à réduire leur empreinte carbone.
Bénéfices pour l’environnement et le consommateur
Mrabet convient que l’équation est complexe: «Cependant, l’efficacité énergétique des voitures électriques peut varier en fonction de plusieurs facteurs, tels que la conception du véhicule, la capacité de la batterie, le style de conduite et les conditions météorologiques. En général, elles sont considérées comme plus efficaces sur le plan énergétique que les véhicules à moteur à combustion interne, ce qui en fait une option plus respectueuse de l’environnement. Et l’impact est encore plus important pour le consommateur tunisien. Mis à part le sentiment d’appartenir à ce mouvement mondial, en termes de dépenses, d’investissement et de gains en ces temps difficiles, le Tunisien ne peut qu’y trouver son compte». Ses arguments sont d’abord financiers: «Si le prix de vente d’une voiture électrique est supérieur de 40% à celui d’une voiture à moteur thermique, il faudrait tout simplement élargir la réflexion et prendre en compte d’autres facteurs tels que les coûts d’entretien moins élevés. Imaginez des routes tunisiennes avec des e-taxis, avec des chauffeurs qui réduisent considérablement leurs dépenses (en consommation et en entretien) et qui peuvent considérablement augmenter leurs gains. Avec un pouvoir d’achat défaillant, pensez à une voiture populaire électrique avec un acquéreur qui se focalise sur le paiement de ses dus et qui profite d’un plein (recharge complète) à 20 dinars au lieu de 100 dinars la semaine! En effet, réduire le coût de fonctionnement de la voiture à 20% augmente directement le pouvoir d’achat: un père de famille qui conduit une petite voiture paie en moyenne 100 Tnd par semaine; pour la même distance, cela lui coûtera 20 Tnd en VE, soit 80 Tnd par mois en pouvoir d’achat… Un conducteur qui débourse 50 Tnd par jour en essence pour faire 300 km ne payera que 10 Tnd en recharge électrique et 40 Tnd par jour en revenu supplémentaire. Considérez le changement au sein des sociétés de transport avec des parcs de bus gazoline vieillissants, polluants et qui coûtent cher… N’est-il pas préférable de rouler en e-bus!».
Le transport électrique n’est pas une nécessité, mais une urgence
Mrabet insiste sur le volet environnemental: «C’est une autre pierre de l’édifice. Un aspect qu’on a tendance à négliger et dont l’impact précipite la planète vers un scénario des plus déplorables. La qualité de l’air en Tunisie est très mauvaise. L’une des causes principales de cette pollution est essentiellement l’industrie et une flotte automobile grandissante de jour en jour. Ne sommes-nous pas un pays où seuls 4 véhicules électriques sont en circulation à ce jour? 4 contre plus de 5 millions en Chine et 220 mille en France!». Le dernier mot de Lassaad Mrabet est tourné vers l’avenir: «La mobilité électrique n’est pas une simple tendance, c’est une vérité qui doit meubler notre avenir, cette révolution ne doit pas être menée seulement à l’étranger, la Tunisie y a aussi droit. La technologie et les produits qu’on propose nous permettent de tenir un discours très optimiste pour relever tous les défis. Contraints d’entamer notre exercice avec des véhicules thermiques, nous attendons désormais que nos produits soient commercialisés afin que l’Etat, le consommateur et l’environnement puissent en bénéficier».