Radhi Meddeb, fondateur de Comete Engineering
Par Sahar Mechri
Cet article a paru dans le numéro 224 du magazine Le Manager.
Comete trace aujourd’hui son sillon en l’occurrence sur l’Afrique subsaharienne. Comment a démarré l’aventure ?
L’idée d’entreprendre m’est venue en 1986, à un moment où la Tunisie passait par de grandes difficultés politiques, économiques et financières. C’était à la fin de la période Bourguiba.
À cette époque, il n’y avait pas d’investissements publics. J’exerçais dans une banque publique, la STUSID, et estimais que nous n’avions plus les moyens de nous épanouir dans le secteur public. J’avais décidé de partir à l’aventure.
Beaucoup ont qualifié cette décision de hasardeuse sinon de saugrenue. Je pense que la jeunesse avait fait que je ne me rendais pas compte des risques de cette nouvelle aventure. J’étais persuadé que l’idée que je portais était bonne et qu’elle correspondait à un marché. Pour moi, il fallait tenter l’expérience. Le seul hic était le manque de financement mais j’avais la conviction de la jeunesse, l’énergie et la volonté de faire.
J’avais fait le tour des investisseurs, des banques de développement de l’époque, d’amis etc. J’avais profité d’un voyage à Washington pour rencontrer des responsables de la Société financière internationale que j’avais côtoyés pendant longtemps à la Banque de développement et ce, en les accompagnant dans des investissements nouveaux en Tunisie.
Je leur ai rendu une visite de courtoisie pour leur dire que mon aventure avec la société allait se terminer évoquant ma nouvelle aventure. Et l’un des grands directeurs de la SFI, André Hovaguimian, m’avait demandé de lui parler de mon projet.
C’est ainsi que j’ai eu dans le tour de table de Comete Engenieering, pendant dix ans, un grand groupe d’ingénierie européen qui s’appelle Tractionnel Electrobel Engineering, une banque tunisienne de développement — la Banque tuniso-koweitienne de Développement — et la Société Financière Internationale. Le capital était ridiculement faible : 220 000 dinars. À l’époque, la SFI participait à hauteur de 33 000 dollars et, dix ans après, j’ai racheté leur participation.
J’avais très peu d’argent, certes, mais grâce à la conviction que j’avais pu insuffler à mes partenaires institutionnels et privés, j’ai pu monter ce projet et construire Comete Engineering qui est aujourd’hui un bureau qui opère dans 30 pays d’Afrique subsaharienne
Quels ont été vos premiers projets ?
Les deux ou trois premiers projets sur lesquels Comete avait travaillé, en 1987 et 1988, étaient en dehors de la Tunisie. Le premier était un hôtel de 1025 lits à Tekirova, Turquie financé par un fonds d’investissement émirati qui avait l’habitude de travailler avec des Anglais.
Les responsables du fonds étaient surpris à l’époque par les prix étonnamment bas.
Ils s’interrogeaient sur la garantie de réaliser cet investissement. J’ai appelé des amis belges présents dans le capital et nous avons fait une offre conjointe où ils contribuaient par 30% des heures de travail et Comete par 70% depuis la Tunisie. La répartition du montant du contrat était l’inverse. Ce montage permettait de rassurer le client et de s’assurer que toutes les phases critiques du projet fussent contrôlées et vérifiées par nos partenaires internationaux.
Un autre projet que nous avions mené en 1987 était une étude de faisabilité confiée par l’UNESCO sur le développement des industries culturelles dans le monde arabe.
Nos premiers projets étaient réalisés à l’international et ce n’est qu’en 1989 et 1990 que Comete a pu mettre pied sur le marché tunisien.
Quelle a été la première activité tenue par Comete Engineering en Tunisie ?
En 1987, avec le changement politique en Tunisie, un de mes amis, ministre à l’époque dans le gouvernement, est intervenu auprès du ministre de l’Equipement pour fournir à Comete l’agrément d’exercer au niveau local.
C’est ainsi que Comete a commencé à percer sur le marché tunisien à travers la réponse aux appels d’offres publics. Nous avons remis énormément d’offres.
L’un des tous premiers projets était l’accompagnement de la Banque mondiale pour le projet d’ajustement sectoriel agricole. Il s’agissait de développer une analyse économique et des recommandations stratégiques sur des filières majeures de l’agriculture telles les céréales, l’huile d’olive, la viande bovine, …
Comete est d’ailleurs le bureau qui a le plus travaillé en 1988 et 1989 sur la libéralisation du secteur de l’huile d’olive. A l’époque, le secteur était sous monopole de l’Office National de l’Huile. Le secteur privé n’avait ni le droit de collecter ni d’exporter l’huile d’olive. C’est ainsi que ces réformes ont été menées. Nous les avons accompagnées.
Au fil des années, de nouveaux marchés se sont ouverts vers Comete en Tunisie et nous nous sommes positionnés systématiquement sur les nouveaux métiers pour lesquels une expertise locale n’existait pas encore ou était émergente. Nous avons beaucoup travaillé dans le secteur de l’environnement à l’époque de la création nouvelle d’un ministère dédié. Comete a réalisé le premier Plan national de l’environnement financé par le PNUD. Elle a également réalisé les premières études de l’Agence de protection de l’environnement qui tenait les devants de la scène à l’heure où le ministère était encore balbutiant. Ces études portaient par exemple sur les mécanismes de financement de la dépollution.
A vrai dire, on ouvrait de nouvelles brèches dans de nouveaux secteurs de manière à ne pas gêner plus que nécessaire nos compétiteurs et confrères.
Quels sont selon vous les facteurs de réussite ? Quels sont les conseils pour les jeunes qui souhaitent sauter le pas de l’entrepreneuriat?
Avant tout, il faut beaucoup de persévérance. Lorsque Comete a commencé à s’intéresser de manière structurelle à l’Afrique, elle a remis des offres sur des projets divers dans différents pays d’Afrique.
La remise d’une offre par un bureau d’études tunisien dans un pays africain est coûteuse et nécessite une bonne connaissance du terrain à la fois physique, humain, juridique, fiscal etc. Sur une dizaines d’offres, nous avons perdu les 7 ou 8 premières. Nous avons quand même persévéré.
Le deuxième conseil est penser global et agir local. La technologie et le savoir-faire sont des biens publics globaux. L’exécution d’un projet au Burundi, au Gabon ou en Tunisie doit être adaptée aux spécificités propres à chaque pays. Il faut connaître les exigences et les contraintes locales chaque fois qu’on remet une offre ou que l’on exécute un projet. Il faut savoir être à l’écoute de ses clients, comprendre leurs préoccupations et ne jamais vouloir leur imposer un schéma développé ailleurs. Il faut faire preuve de proximité. C’est la force de frappe et l’avantage distinctif dans le métier des services.
Le troisième conseil est l’exigence permanente de qualité. Ce sont des mauvaises stratégies qui peuvent donner l’illusion de gagner à court terme mais elles sont nécessairement perdantes à moyen et long termes. Il faut de l’honnêteté intellectuelle.