Interview avec Khaled Helioui, CEO de Bigpoint Games
Né au Bardo et pourtant citoyen du monde. Et ce n’est guère par pur hasard. Khaled Helioui est de père tuniso-russe qui a eu une opportunité d’exercer en tant que cadre financier à Paris. Il avait alors 5 ans. C’est ainsi qu’avec son frère, Khaled s’est retrouvé à entamer ses études à Paris. Pas plus tard qu’à l’âge de quatre ans, Khaled fait son entrée dans le monde des jeux vidéo. Sa passion a grandi avec lui au point de se voir intégrer une équipe professionnelle pendant ses années du lycée. Immergé dans la préparation des compétitions, ses notes en avaient pris un coup, lui qui a toujours été si brillant. Fort heureusement, l’épreuve d’un Bac scientifique fut remportée avec succès.
A défaut d’idées précises, Khaled a été convaincu par ses parents de prendre le chemin des classes Prépa. Il a dû, hélas, arrêter le jeu. Ces années de fort labeur ne laissent point de place à des hobbies aussi prenants. Au bout de deux ans, il a pu intégrer l’école TELECOM SudParis (INT auparavant) à travers le concours des mines.
N’ayant découvert Centrale ou Polytechnique qu’en classe préparatoire, l’idée de repasser en 5/2 a commencé à germer en lui à la fin des concours pour se ressaisir avec une maturité et un recul d’adulte : «J’ai réalisé que j’allais m’embarquer dans une nouvelle aventure simplement pour une question d’ego ou de statut», a-t-il affirmé.
A son retour de vacances en Tunisie, annonçant sa décision à son professeur principal, Mr. Martel, ce dernier lui a répliqué : «Vous aurez du succès quelle que soit l’école que vous ferez. C’est un bon choix à moins que vous vouliez faire de la recherche ou que vous ayez des pressions familiales».
Telecom Sud Paris, c’est tout un autre rythme. Il a pu s’initier et s’intéresser à l’aspect managérial mais également bénéficier pleinement de la vie associative. Emporté par son esprit curieux, il a profité d’un échange avec l’université d’Aalborg au Danemark pour y passer sa dernière année d’université. Il y a fini major de sa promotion. Sans plus attendre, il était tout exalté de rejoindre un stage en fusion- acquisition à la Société Générale, qu’il a même préféré à un contrat de travail en système d’information. Les débuts étaient laborieux, des standards de haut niveau, un rythme de travail de 75 à 80 heures par semaine. « J’étais animé par une adrénaline énorme, j’avais l’impression de conseiller des gens intelligents, des entrepreneurs charismatiques, j’y ai énormément appris ».
Le stage s’est bien déroulé, au point que la banque lui a proposé de rester mais Khaled Helioui se sentait à l’étroit dans cet environnement franco-français, et il avait le regard ailleurs sous d’autres cieux postulant pour Bank of America et pour UBS à Londres. Entre les deux offres son cœur a balancé vers la technologie pour participer au Graduate program chez UBS, quand bien même l’autre banque lui faisait gagner une année de carrière et lui offrait un salaire plus élevé. C’est ainsi qu’en 2007, il a intégré l’équipe technologique de l’investment banking d’UBS.
Confiant grâce à son parcours et croyant avoir connu les rythmes les plus fous, il se découvre des capacités de travailler jusqu’à 100 heures par semaine. Tous les ingrédients s’y sont rassemblés : une équipe internationale, un niveau très élevé, des attentes d’un cran supérieur. Dans tout ce monde, ce qu’il adorait, ce qui le stimulait le plus c’était le contact avec les entrepreneurs, tels Natalie Massenet, fondatrice de Net-A –Porter ou Rod Cousens, PDG de Codemasters. Il vénérait chez eux cette intelligence, cette capacité à mobiliser les gens, à prendre des risques, à briller. Il s’est alors vite rendu compte que « les risques fondamentaux sont finalement supportés par les entrepreneurs, ceux qui lèvent l’argent et qui travaillent sans salaire ».
Au bout de deux ans chez UBS, il se voulait plus dans l’action que dans la posture de spectateur. « Dois- je passer ma vie à conseiller ces gens brillantissimes? » Au moment où ces questions le taraudaient, il a été approché par plusieurs fonds d’investissement, mais son cœur a plutôt penché pour TA Associates qui investit plutôt en early stage dans des entreprises profitables et en croissance. Ils étaient à la recherche d’un spécialiste dans la technologie pour leur trouver des opportunités d’investissement dans des entreprises technologiques. Pendant les trois ans, entre 2009 et 2012, passés à TA, il avait pour mission d’essayer d’entrer en contact avec les entrepreneurs, identifier les bonnes opportunités et clore les deals.
«Cela nécessitait un bon niveau d’humilité », dira-t-il en guise de confession. Il a pu effectuer plusieurs deals dont celui avec BigPoint, la boîte qu’il dirige aujourd’hui. Le contact avec le très charismatique fondateur Heiko Hubertz s’est bien passé et ils ont convenu d’intégrer dans le capital TA et Summit Partners.
C’est ainsi qu’il a rejoint le board de BigPoint. Cette entente magique entre les deux hommes ragaillardie par le monde du gaming, sa passion première, ont fait qu’il commençait à s’impliquer et à passer de plus en plus de temps dans la société par rapport à ses compères. Au bout d’un parcours de deux ans dans TA Associates, il fallait passer par un MBA pour pouvoir aspirer au poste de vice-président. C’est là que Khaled Helioui a reçu une proposition de Heiko lui demandant de l’aider à gérer la production, c’est-à-dire le développement et la gestion des jeux. Bref, tout ce qui fait monter la mayonnaise du chiffre d’affaires. En juin 2012, il devient chief games officer.
A 28 ans, Khaled déménage à Hambourg et se trouve responsable de l’ensemble du chiffre d’affaires du groupe. A un certain moment, l’activité de BigPoint commençait à battre de l’aile, le chiffre d’affaires baissait, les échéances des intérêts tombaient car le fonds avait mis de la dette sur le Bilan pour financer l’acquisition. Il y avait un problème ! Le dirigeant qui venait de QXL Ricardo n’avait pas une maîtrise du cœur du métier. Khaled Helioui a eu le courage d’envoyer au comité de supervision un compte rendu appelant à changer de stratégie, à développer de nouveaux produits.
Ce courrier a choqué les investisseurs mais a réussi à avoir le soutien du fondateur. « C’est la seule personne qui puisse sauver la situation, il faut lui faire confiance et lui donner les rênes», a assené ce dernier. En janvier 2013, Khaled Helioui à 29 ans était aux commandes de BigPoint, société qui fait travailler 450 personnes. «Prestige savouré, ego flatté, cela a duré le laps de temps d’une demi-seconde avant de réaliser l’ampleur de la tâche et de la responsabilité vis-à-vis de nos équipes».
Il a fallu six mois au jeune dirigeant pour restructurer l’équipe managériale. Il fallait repenser la technologie, la distribution, le financement. Au bout de huit mois, il a retrouvé son seuil de rentabilité. Conscient qu’il devait agir dans l’urgence, il a monté un comité de supervision, où il s’est fait assister par trois ténors. D’abord Kees Koolen, ancien CEO et président de conseil de booking.com. «Il a été mon MBA, il m’a enseigné les bases de l’entrepreneuriat et de la gestion d’entreprise. Jusqu’à aujourd’hui ses conseils sont gravés dans mon esprit », disait de lui Khaled Helioui. Ensuite, Rob Denton, président de Broadsword Online Games, qui a une vision exceptionnelle en matière de jeux vidéo.
Finalement, Jayson Chi, Partner en charge de la practice Gaming chez McKinsey et expert de la région Asiatique. Celui-ci avait pour mission de chercher des investisseurs et de nouveaux partenaires en Asie. Il a réussi à amener, en mai 2016, le groupe chinois Youzu, un des leaders mondiaux de l’édition en ligne, à investir dans BigPoint. Ce rapprochement permettait de promouvoir les produits de la société et d’investir dans les talentueux développeurs. Le challenge était dur mais à la portée de ce jeune nourri d’ambition, d’audace mais également d’expertise en toute humilité. «Intégrité intellectuelle, courage et capacité de travailler : trois qualités indispensables pour un entrepreneur», nous a confié Khaled Helioui. Et de préciser : « Les écueils sont nombreux, il doit aussi parfois défendre sa vision contre ses investisseurs, ses concurrents, l’ordre établi ».
Lors de son passage à Tunis pour la Conférence internationale sur l’investissement, il a essayé de contacter un grand nombre d’entrepreneurs.
« C’était une véritable découverte, il y a un potentiel énorme. De par leur niveau de résilience, d’intelligence et de patience, les entrepreneurs ici n’ont rien à envier à ceux en France ou en Allemagne. La Silicon Valley demeure un monde à part. Ils ont simplement besoin d’une simplification des réglementations, de pouvoir librement se déplacer voir s’implanter à l’étranger et enfin d’avoir accès à des devises internationales pour investir dans les meilleures opportunités et recruter les meilleures compétences à l’international afin de faire face à la concurrence », a-t-il signifié humblement.
Avant de nous confier comme simple révélation : « J’ai investi dans ma première start-up en Tunisie : NextProtein. Un coup de cœur». On l’aura deviné à sa manière de parler au plus profond de lui-même.