Par Sahar Mechri et Ahmed Saoudi
Impact du digital, une génération Y peu fidèle et indépendante, développement du freelance et engouement pour l’entrepreneuriat — le monde du travail évolue à grande vitesse. Les plans de carrières prédéfinis ne sont plus tant courtisés, et les entreprises ont de plus en plus du mal à recruter et garder leurs talents.
Le sourcing : montée en force des réseaux sociaux professionnels
La première problématique d’un recruteur est le sourcing. “Où vais-je chercher les candidats? Où vais-je poster mes annonces?”, a précisé Wafa Laamiri, DG de CRIT Tunisie.
Elle a affirmé que le canal de sourcing historique est la presse, toutefois, cette pratique a considérablement dégénéré : “C’est le moyen qui a le moins de retombées, mais nous y avons recours pour la visibilité, c’est plus du marketing RH”, a-t-elle précisé.
“Actuellement, nous y publions seulement une à deux fois par an”, a corroboré sur ces propos Mariem Sanhaji, DRH de Vermeg. La recherche des candidats se fait également sur des sites comme Tanitjobs et Keejob, mais ce sont les réseaux sociaux qui prennent la place depuis deux ou trois ans. Elle a précisé que presque 30% du sourcing se fait à travers Linkedin et Facebook.
Imen Ben Slama, DRH d’Axe Finance, éditeur de logiciel destiné aux banques, précise pour sa part qu’ils reçoivent une grande majorité de CVs sur la page LinkedIn de l’entreprise. De même, pour le recrutement des cadres de Watany Ettisalat — qui sera le prochain MVNO 100% Tunisien. Sa DRH, Meryem Fekih Ahmed, forte de ses 23 années d’expérience dans de grands groupes tunisiens, a opté pour la constitution de sa propre base de données sur le réseau social professionnel, qui contient aujourd’hui 3000 CVs. Et d’ajouter : “En créant la page LinkedIn Recrutement Watany, nous avons dépassé les 1000 candidats rien qu’à la première semaine — sans communiquer encore sur l’entreprise”.
Meryem Fekih Ahmed a souligné un léger paradoxe dans le sens que les statistiques ont montré que LinkedIn est le premier canal choisi par les employeurs alors que Facebook est le canal adopté par les personnes cherchant du travail. “Il faut que les gens comprennent que pour des requêtes professionnelles, il faut qu’ils aillent sur un réseau professionnel”, a-t-elle avancé.
Le niveau des formations : haro sur les soft skills
Une fois les offres d’emploi diffusées, les entreprises se trouvent submergées. “Sur des centaines de CVs, nous avons du mal à trouver quelques uns qui correspondent aux postes demandés”, a convenu Imen Ben Slama. Elle a signalé que les entreprises subissent les lacunes du système éducatif qui produit de très bons ingénieurs mais démunis de soft skills.
Les candidats ont principalement des manquements au niveau du savoir-être lors d’un entretien, au niveau des techniques de communication et, last but not least, au niveau des langues — ce qui met en cause leur employabilité.
Et d’expliquer : “Ainsi, ils ne pourront pas bien représenter notre entreprise chez le client”.
Meryem Fekih Ahmed renchérit que le marché aujourd’hui est à deux vitesses : d’un côté, il y a d’excellents profils qui ont fait de très bons parcours, très très bon même; et d’un autre côté, il y a des diplômés pour lesquels on se pose la question sur la manière avec laquelle ils ont eu leur diplôme. “ En discutant avec des professeurs d’université, ils me disent ‘Bon courage!’. Ils nous arrivent à l’université et on se demande comment ils ont eu leur Bac. Ils complètent parfois le cursus universitaire et je ne sais par quel enchantement ils arrivent sur le marché du travail. C’est très difficile de les employer”, signifie-t-elle .
Attirer les talents
Face à cette rareté de talents qui brassent à la fois les compétences techniques et les soft skills, les entreprises s’attèlent à s’attirer les faveurs des meilleurs. Le rapport au talent a changé, c’est lui qui choisit l’entreprise.
Celle-ci se déploie, à sa manière, pour assurer un bon environnement de travail et pour assurer une bonne intégration. “De son côté, Imen Ben Slama, insistant sur l’importance du processus de boarding, a mentionné que tout candidat, dès la première année, doit être éclairé sur les tâches dont il sera chargé chez Axe Finance et faire connaissance des personnes avec lesquelles il va travailler. En effet, la génération Y demande à être impliquée et à contribuer activement dans le processus.
De son côté, Meryem Fkih Ahmed précise que le processus d’intégration inclut d’abord l’accueil le premier jour où il y a un kit de bienvenue contenant la fiche de fonction qu’il devra signer ainsi que le règlement intérieur qui lui sera remis.
Il est également prévu dans le process un système de parrainage dans lequel quelqu’un de l’entreprise prend le candidat sous sa tutelle. Il peut ne pas s’agir d’une personne de la RH ou de son supérieur hiérarchique, mais surtout une personne qui a de l’expertise dans son poste.
Elle a avancé qu’à trois jours, le candidat est toujours sous la coupe de la RH. il faut qu’il ait à sa disposition tous les outils dont il a besoin pour travailler, qu’il ait pris acte de son parcours d’intégration au cas où il aura à effectuer des formations initiales complémentaires à son background et que le planning lui a été communiqué. Au bout de trois semaines, ils vérifient s’il a déjà commencé à produire ou s’il a des difficultés particulières. Au bout de trois mois, je dirais que c’est une évaluation, même si ce n’est pas la fin de la période d’essai.
Imen Ben Slama a signalé que même après la période d’intégration , des team building events sont organisés tout au long de l’année pour créer une bonne ambiance de travail et tisser les liens entre “la famille Axe Finance”, disait-elle. C’est non sans fierté qu’elle a évoqué la générosité et la mobilisation de tous les collaborateurs dans le cadre d’une action de soutien à la région de Ain Drahem, effectuée la fin du mois dernier.
L’Europe a trouvé la poule aux œufs d’or
Quand bien même, ces entreprises du TACT s’emploient à développer une culture d’entreprise et à améliorer l’engagement de ses collaborateurs, ces derniers sont de plus en plus tentés par l’international. A vrai dire, dans un monde mouvant , les frontières disparaissent et les opportunités sont multiples.
Scandalisée, Mariem Sanhaji assène “L’Europe est en train de pomper nos talents. la guerre de talents ne se fait pas en Tunisie mais ailleurs. Nous formons des jeunes pendant quatre ou cinq ans et in fine, une entreprise européenne les débauche”.
Elle souligne que la vraie guerre est celle de donner envie à nos jeunes de rester dans leur pays au lieu de brader leurs compétences en Europe. Elle précise que le point positif est que ces jeunes gagnent en compétences, il faudrait leur créer des opportunités pour avoir envie de revenir, une fois qu’ils ont fait une expérience de trois ou quatre années, sinon la Tunisie les perdra.
De son côté, Imen Ben Slama déplore également que les cadres d’Axe Finance soient la cible des entreprises étrangères. “Les jeunes sont omnibulés par le départ à l’étranger, ils nous affirment que ce n’est pas l’entreprise qu’il veulent quitter mais le pays. Ils vivent une frustration et nous n’y pouvons pas grand chose malheureusement”.
Elle explique qu’étant cadre dans une société off-shore présente dans 30 pays, les employés bénéficient d’une forte mobilité. “Nous essayons de les faire profiter de cet aspect dans la mesure où ils vivent cette expérience professionnelle à l’étranger tout en vivant au sein de siens”. Pour remédier à ce fléau, nous essayons d’offrir le maximum de missions et de formations à l’étranger. Nous favorisons également la mobilité externe dans la mesure où nous pouvons offrir une voie de carrière pour représenter notre entreprise à l’étranger au bout de 3 ans”.
Dans cet environnement de plus en plus concurrentiel, il est plus que jamais d’actualité que, pour garder les talents, il faut qu’ils soient au centre du processus, que leurs besoins soient écoutés. Le plus regrettable c’est que dans un environnement macro économique, social et sécuritaire morose, les efforts restent vains!