“Nous avons besoin de l’appui des autorités et des politiques pour mettre en place un cadre légal favorable au financement participatif”, c’était le message de Tarek Cherif lors de l’ouverture du 1er Forum de Crowdfunding en Méditerranée. Cet événement inédit a été organisé par la Conect, Financement participatif en Méditerranée et ANIMA, avec la participation d’experts des deux rives de la Grande Bleue.
Toujours à la rescousse des entreprises, la CONECT ne lésine pas à chercher les solutions là où elles se trouvent. Consciente des difficultés des firmes à accéder au financement, la confédération des entreprises en collaboration avec Financement participatif en Méditerranée (FPM) et ANIMA (plateforme de Coopération pour le développement Economique) ont invité des experts et des professionnels des deux rives de la méditerranée pour débattre durant deux jours, fin octobre dernier, du crowdfunding en Tunisie et mettre en place un cadre réglementaire approprié.
Dans son allocution d’ouverture, Tarek Chérif, président de la CONECT, fortement convaincu de la nécessité de recourir à ce mode de financement complémentaire a mis l’accent sur l’impératif de multiplier les initiatives de l’enrichissement de l’offre financière, en l’occurrence en mobilisant l’épargne de la diaspora tunisienne et en l’impliquant dans le schéma de développement du pays. Et d’insister « Nous avons besoin de l’appui des autorités et des politiques pour mettre en place un cadre légal.»
Le crowdfunding, feu de paille ou évolution fondamentale dans l’économie mondiale ?
Le fait de « Passer d’une épargne de précaution à une épargne affective » comme a dit Gilles Chausse, Directeur de l’Agence Française de Développement à Tunis a le vent en poupe ces dernières années. Selon Jade Salhab, Spécialiste Sénior en Développement du Secteur Privé à la Banque Mondiale, les origines du crowdfunding seraient africaines, même s’il a réellement émergé aux Etats-Unis en 2005/2006.
A priori, dans le continent noir, on mobilisait des communautés pour financer des projets auxquels elles croient. C’est dire que depuis 2013, le crowdfunding connait une dynamique très forte. Les montants collectés du crowdfunding ont connu une croissance de presque 500%. Jalloul Ayed, ancien Ministre des finances de Tunisie et Vice-président d’Euromed Capital a précisé à ce titre qu’en 2016 le volume des levées de fonds par l’intermédiaire du crowdfunding a dépassé le venture- capital. « Nous ne pouvons alors négliger ce type croissance extraordinaire »a -t-il signalé. Cette industrie innovante en pleine croissance a permis de lever près de 1000 milliards de $, a accusé Gilles Chausse, ce qui représente à peu près dix fois l’aide publique au développement.
A ce titre, il a noté que les réseaux sociaux étaient un véritable accélérateur. Toutefois, si les montants levés se développent très rapidement en Amérique du nord, en Europe et en Asie, ils restent néanmoins faibles en Afrique ne dépassant pas les 200 millions de $. Le mouvement reste véritablement embryonnaire en Tunisie. « Beaucoup de choses ont positivement évolué dans l’environnement des affaires en Tunisie, toutefois, pour ce qui est des mécanismes de rencontre entre le porteur de projet et le financier, beaucoup reste encore à faire », a révélé Emmanuel Noutary, Délégué Général d’ANIMA. Pourquoi le crowdfunding… en Tunisie ?
«L’épargnant a aujourd’hui la possibilité de choisir la destination finale de son épargne, a d’emblé lancé André Jaunay, co-président de FPM. Cette source alternative de financement est même impérieuse en Tunisie avec l’assèchement de la liquidité dans l’économie. Hichem Rebaai, responsable du pôle risque à l’UIB affirme que le crowdfunding présente l’avantage de la désintermédiation que ce soit en termes de coût ou de délais mais également de partage du risque. Jalloul Ayed a précisé qu’en Tunisie, la majorité des entreprises qui créent 70% des emplois, sont soit des petites ou moyennes entreprises qui ne bénéficient que de 20% des crédits du système bancaire. Et d’insister « Il y a un gap terrible que le crowdfunding peut combler ».
Mouna Aoun directeur marketing à la banque postale a souligné une complémentarité qui commence à se construire entre le système classique et le crowdfunding ou le microcrédit, soit à travers un financement mixte pour les projets intéressants structurants, soit en mettant à disposition de ces porteurs de projets des clients de la banque de détail qui sont attirés par des solutions d’investissement porteurs de sens.
Gilles Chausse corrobore que le crowdfunding permet de construire une société ouverte, plus innovante, améliorant l’efficacité des finances publiques. Il souligne que le crowdfunding permet le financement d’une économie sociale et solidaire. Du côté du porteur du projet, Jade Salhab a précisé que placer son projet sur une plateforme permet non seulement un feedback marketing très significatif pour ce qui est du produit mais également la base d’investisseurs peut se transformer en clients potentiels. Bref ! C’est en quelque sorte créer une communauté autour de son produit.
Comment réussir sa campagne de crowdfunding ?
Selon Guy Fleuret, Directeur Transports et Développement Urbain –à l’Union Pour la Méditerranée, trois ingrédients sont indispensables pour mettre en place le crowdfunding à l’échelle d’un pays, à savoir la réglementation, la formation et la confiance notamment à travers les associations professionnelles. Pour la réussite des campagnes de crowdfunding, Jade Salhab a souligné l’importance de bien cibler la plateforme.
Bien évidemment dans les cas où le choix existe ! Et d’ajouter « il faut bien regarder les confrères qui ont fait le même exercice dans la même région et dans le même secteur pour éviter les erreurs ». Ensuite, il a précisé qu’il est très important de commencer par son propre réseau personnel. « Plus on mobilise le réseau, plus on a un effet de boule de neige », a -t-i insisté. Les aspects communautaires et sociaux sont très importants. Il a également noté que Le crowdfunding réussit mieux quand il y a une vraie dynamique entrepreneuriale. Damien Jacquart, partner chez Deloitte a mis en avant le rôle d’un tiers de confiance pour la réussite de l’opération. Il a souligné que dans toute transaction, il y a besoin d’un facilitateur. Sur la plateforme, les investisseurs se positionnent et décident sur la base de documents, il faut un tiers de confiance pour certifier ces documents.
Sofienne Guerraoui a pointé le rôle de la plateforme. « On se doit d’avoir une visibilité sur les réseaux sociaux, on accompagne les porteurs de projets sur le contenu éditorial, sur la manière de présenter, sur les réseaux sociaux marketing offline, on contacte nos influenceurs twitter. Il y a un travail de confiance relié par la presse.
L’handicap de l’absence de réglementation ?
André Jaunay a précisé que l’évolution de la réglementation ne concerne pas que les financiers mais tout l’écosystème traditionnel, notamment les gens qui travaillent sur le développement durable. Pour Mehdi Ouchallal, Avocat au sein du cabinet STC Partners ces transformations bouleversent la réglementation dans la philosophie de la protection de l’épargnant.
A titre d’exemple à la suite de chaque intervention d’un tiers, le montant levé est érodé. De même la législation ne prévoit le droit de prêter de l’argent que pour les banques, ce qui remet en cause le crowdfunding –prêt. Enfin, la réglementation à la souscription des actions est très difficile à changer. Au stade balbutiant des choses, un cadre légal et réglementaire approprié doit être mis en place.
Selon Ahmed Tarchi Secrétaire Général à la banque centrale, le cadre doit garantir à la fois la souplesse et la flexibilité mais aussi la prévention contre les risques (de blanchiment, de véracité des informations). Les plateformes sont un acteur majeur car c’est l’organe de médiation entre les investisseurs et les souscripteurs. Elles doivent être fiables, sécurisées entourées de toutes les conditions de transparence et d’expertise pour donner confiance aux opérateurs. A ce titre Thameur Hemdane propose que la seconde étape de ce forum serait d’organiser des séances de travail avec le régulateur français, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) pour partager leur expérience.
Quid des autres freins ?
Jalloul Ayed affirme que mis à part l’absence d’un cadre réglementaire, d’autres entraves peuvent limiter l’expansion du crowdfunding . D’abord il a mentionné une fiscalité sophistiquée et très complexe, telle qu’en France, pour prévoir des incitations claires surtout pour les participations en dons. Ensuite, il a soulevé le problème des modes de paiement. Et de préciser « il y a du crowdfunding in et du crowdfunding out.
Il faut élaborer des solutions intelligentes pour que nos opérateurs puissent non seulement lever des fonds auprès des plateformes tunisiennes, qu’il reste à créer, mais pouvoir également lever de l’argent dans des plateformes en Europe. Il faut que la BCT réfléchisse à cela sinon ça serait renier une source extraordinaire. A ce titre, Hichem Rebaai a corroboré que la réglementation de change est une véritable contrainte aujourd’hui.
Enfin, Jalloul Ayed, déplore que dans un pays où le taux de pénétration du mobile est de 140%, il n’y a pas, jusqu’à ce jour, de paiement mobile. La bonne nouvelle c’est que la poste s’est engagé à mettre à disposition son réseau e-dinars, représentant à peu près 43% du réseau national.
Le mouvement est en marche, les politiques y croient !
Les politiques étaient sensibles à la question et ont manifesté une vraie volonté de faire bouger les lignes et d’avancer. Fadhel Abdelkafi, ministre du développement, de l’investissement et de la coopération internationale a déclaré « Mon seul engagement est que s’il y a des projets qui arrivent sur la table du gouvernement, ils seront sérieusement étudiés pour libérer les énergies en Tunisie ».
Pour sa part Lamia Zribi a souligné l’impératif d’inculquer la culture du partenariat et du financement partagé afin de favoriser la réussite de l’implémentation de ce mode de financement. Consciente que l’introduction de financement n’est pas sans risques, elle a recommandé l’instauration d’échanges pour établir de nouvelles règles et édifier un nouvel écosystème garant de cette forme de financement. Et d’ajouter « un cadre légal participatif n’est qu’une composante de l’environnement du financement participatif.
Nous nous attachons à déployer tout l’arsenal nécessaire à ce type de financement alternatif. Nous allons essayer de porter ensemble le projet de la loi à l’ARP ». De son Côté Chedly Ayari, gouverneur de la banque Centrale a également affirmé l’importance de ce nouveau champ de financement de l’entreprise qui est une sorte de négation de l’intermédiation. Il a néanmoins insisté sur l’importance de mettre en place un cadre de confiance.
Thameur Hemdane s’est réjoui que l’organisation du forum a déjà permis de faire bouger les lignes. Et d’ajouter « les ministres et monsieur le gouverneur se sont émancipé de leur discour institutionnel avec un vrai de discours de cœur et d’ouverture, ce qui était très appréciable. C’est déjà positif » . De belles promesses, un vrai engagement qui tracent le chemin du crowdfunding en Tunisie !