TEDxUniversityofCarthage, la 1ère édition de TEDx du plus grand groupe universitaire public tunisien, s’est déroulée le dimanche 19 juin. Elle a fait intervenir, comme le veut le principe des conférences TED, des personnes inspirantes qui parlent de leur parcours. Me Samia Maktouf commence son intervention autour du thème de la conférence : out of the maze, ou sortir du labyrinthe.
L’avocate des procès du Bataclan et du Stade de France
Samia Maktouf, avocate aux barreaux de Paris et Tunis, est connue récemment pour un cas particulier. Elle a défendu les victimes et proches des attentats du 13 novembre 2015. Ce jour-là, 2500 victimes ont été atteintes dont 131 morts au Bataclan et au Stade de France. Le mardi 24 mai, jour du procès, elle fait une plaidoirie diffusée dans Paris Match (https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Proces-du-13-Novembre-la-plaidoirie-de-me-Samia-Maktouf-1807913): “Me Samia Maktouf, qui représente 42 parties civiles, proches ou victimes du Bataclan, des terrasses des cafés mais aussi du Stade de France, a plaidé.”
Samia Maktouf raconte les difficultés liées à son genre, lorsqu’elle a dû défendre des parties civiles contre les terroristes : “La Cour d’assises de Paris était composée de magistrats professionnels dont la majorité étaient des femmes. Dans le monde idéal de ces accusés, il y aurait un homme. Une femme, même voilée, ne peut être rien à leurs yeux. C’est une hérésie que moi, femme avocate, puisse être là et plaider devant votre cour. Cette plaidoirie est le socle des combats des hommes et des femmes.
Le labyrinthe de la féminité, un enfermement
“Le sujet du labyrinthe m’a beaucoup inspiré”, déclare-t-elle. Elle poursuit : “Cela m’a rappelé Icare, le héros de la mythologie grecque. Dédale était enfermé avec son fils Icare dans le labyrinthe. Il a façonné des ailes à son fils pour lui permettre de sortir de cette prison à ciel ouvert. Icare a pris son envol, pensant s’échapper. Mais lorsqu’il s’est envolé, la cire de ses ailes a fondu et les plumes ont brûlé. En-dehors du labyrinthe, le Minotaure guette. Il se nourrit uniquement de chair humaine. Il guette le faux pas, la faiblesse, le doute pour dévorer ses proies.”
Elle tend ses efforts vers sa sortie du labyrinthe, sans y parvenir à 100%. “Mes tentatives de sortir du labyrinthe n’ont pas toutes été couronnées de succès. Je me suis débrouillée pour garder la tête hors du labyrinthe. Lorsque la femme est depuis des siècles cloîtrée dans le labyrinthe, il faut lui donner la force de d’en sortir. Habib Bourguiba, le visionnaire, a compris qu’il faut émanciper les femmes pour émanciper un peuple.”
Etre une femme dans une famille d’hommes
Seule fille au milieu de cinq frères, Samia Maktouf s’est battue dès le plus jeune âge pour s’imposer dans la fratrie. “J’ai fait d’abord ma sortie du labyrinthe dans la cellule familiale, seule soeur parmi cinq frères, pour ne pas subir le sort d’Icare. Il fallait que je me fasse accepter, et après que je m’impose. Je ne voulais pas être victime d’une masculinité dominante. Je voulais sortir et gagner ma liberté.”
Elle cite les exemples nombreux d’avocates ayant milité pour la cause de la femme. “Gisèle Halimi a d’abord prêté serment en Tunisie avant la France. Elle était aux côté de Djamila Boupacha pour libérer l’Algérie. Elle a aussi défendu Marie-Claire Chevalier lors du procès de Bobigny. Violée alors qu’elle était mineure, elle a été jugée pour son avortement illicite.”
Elle cite également Nelson Mandela, l’avocat sud-africain. Il a réussi à dépasser sa rancune envers ses geôliers pour réconcilier tout un peuple. Elle a eu l’honneur de le serrer dans ses bras et d’écouter son témoignage sur sa prison. Elle conclut par le combat tunisien pour l’égalité de l’héritage, mené par Bouchra Belhaj Hamida et Béji Caïd Essebsi.
L’avocate est empathique pour celles et ceux qu’elle défend
Samia Maktouf s’identifie dans la lutte des victimes. Ils travaillent pour renverser la machine judiciaire. “Je me suis vue noyée dans la Méditerranée comme les harraga. J’ai ressenti la douleur des combats des chrétiens d’Orient contre Daesh. Ou encore les femmes yazidies violées.”
Elle expose le cas de deux personnes aux nombreux points communs. Pourtant, leurs choix les rendent complètement différents. “Je pense à Lassana Bathily qui a caché des victimes au sous-sol dans l’attentat de Charlie hebdo. Il est allé dans les dédales chercher de l’aide. Lui et le terroriste de l’attentat sont tous les deux jeunes, maliens, du même âge. Or, l’un est sorti du labyrinthe et le terroriste s’y est enfoncé.”
L’égalité de la justice pour tous
Tout le monde a droit à une défense et un procès. Samia Maktouf défend son opinion : “Le labyrinthe est aussi l’autre qui ne comprend pas la personne défendant l’indéfendable. Nous sommes du côté de la justice, de l’état de droit, de la démocratie. Ma vocation à été encouragée par ma mère Douja. Elle connaissait l’épreuve d’être femme et la nécessité de se libérer des geôles du patriarcat et de la tradition.”
Samia Maktouf a plaidé lundi devant la cour d’assises spécialement composée. “J’ai défendu ces victimes avec la même détermination, la même passion, le même devoir. Pour paraphraser Simone de Beauvoir, on ne naît pas avocat, on le devient. Être avocat signifie faire corps avec la justice pour que personne ne puisse rester sans défense. A tout moment, on peut chuter parce que rien n’est jamais acquis.”
Dans le même élan qu’Icare s’envolant du labyrinthe, Samia Maktouf souhaite donner des ailes aux personnes en ayant besoin. “J’ai façonné mes ailes pour m’en sortir. J’aimerais que mes mots puissent faire pousser des ailes. J’aimerais prêter mes ailes à ceux qui veulent s’envoler.”