GoMyCode a réalisé aujourd’hui une levée de fonds de 8 millions de dollars. En mai 2021, Managers interviewait le CEO, Yahya Bouhlel, pour les 25 ans du magazine. Récit d’une success story qui ne s’arrêtera pas de sitôt.
Il a cassé les stéréotypes ! Déjà très jeune, il était animé par sa volonté d’apporter du changement à son entourage et aux jeunes de son pays. Depuis, ce trait distinctif ne l’a jamais quitté, féru de nouvelles technologies et de jeux vidéo. Il ne se voit pas autrement qu’un éventuel explorateur, créateur. Autant dire, les sentiers battus, ce n’est pas fait pour lui. On lui reconnaît le courage de se frayer un chemin pas si ordinaire. Après ses nombreux voyages à la Silicon Valley depuis l’âge de 15 ans et au moment où il devait intégrer l’université, il a lancé son projet avec cette mention qu’il a continué à s’auto-former sur les technologies les plus pointues tout au long de son parcours universitaire. Challenge relevé: GoMyCode, créée en 2016, forme aujourd’hui 10000 développeurs et intéresse les investisseurs et les gestionnaires de fonds. Une vision aux résultats éclatants, pari gagné! GoMyCode qui a démarré avec un capital de 1000 dinars est valorisée aujourd’hui au moins à 45 millions d’euros. Âgé d’à peine 23 ans, Yahya Bouhlel réussit à se classer parmi les 100 startups d’avenir du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA). Top 100, certains y verront le symbole de la consécration. Pas lui, qui est toujours en quête d’innovation et d’améliorations avec pour unique point de mire de nouveaux marchés à prendre et une scalabilité à renforcer. Yahya Bouhlel est de cette nouvelle génération d’entrepreneurs qui n’ont pas de frontières. S’il ne l’affiche pas haut et fort, il ne le pense pas moins. Vision d’un entrepreneur disruptif. Entretien.
Pour commencer, pouvez-vous nous dire à combien est valorisée aujourd’hui l’entreprise GoMyCode?
Nous sommes en train de valoriser l’entreprise actuellement et nous pensons qu’elle se situe entre 45 et 60 millions d’euros.
Lorsque vous vous êtes lancé dans cette aventure, pensiez-vous arriver au niveau d’aujourd’hui ?
Non, pas du tout ! Au début, il était question d’une sorte de camp de vacances et non d’une idée de projet d’entreprise. En fait, j’ai commencé à coder à l’âge de 13 ans. À 15 ans, j’avais déjà un petit portfolio de 20 projets entre sites Web, applications, software et algorithmes. Suite à cela, j’ai été recruté par une startup à la Silicon Valley afin de développer des jeux vidéo pendant l’été. Cette aventure s’est poursuivie de mes 15 ans à mes 19 ans, où j’ai fait près de 15 allers-retours entre la Tunisie et la Silicon Valley. J’ai également participé à 55 Hackathons. Dans le cadre de ces derniers, j’ai fait la connaissance de nombreux développeurs et de personnes de cet écosystème. J’ai vite pris conscience du gap qui existe entre la Tunisie et la Silicon Valley. Entre 2014 et 2015, il y a eu une explosion de startups à la Silicon Valley alors qu’en Tunisie, il ne se passait encore rien. De ce constat est née l’idée de la mise en place d’un boot camp d’été avec un programme de trois semaines et dans le cadre duquel les jeunes apprennent à concevoir des jeux vidéo. Ce sont là les prémices de GoMyCode. Je dois dire également que, pour ma part, j’ai tout appris tout seul en recourant à Internet. J’ai mis en place un nouveau système éducatif à travers GoMyCode qui est alternatif au système classique.
Justement, en quoi le système de GoMyCode diffère de la formation classique?
Il y a d’abord le fait que GoMyCode est un apprentissage actif, en ce sens que les concernés apprennent la conception à proprement dit à travers la création de vrais projets. Cela impacte tout le processus d’apprentissage qui devient orienté davantage vers les projets. Autre élément de différence relatif aux techniques d’apprentissage qui sont les mêmes que celles utilisées à la Silicon Valley, ce qui est à même de supprimer le gap existant auparavant. En outre, GoMyCode s’adresse à tous les âges, y compris aux enfants. D’ailleurs, l’étudiante la plus âgée que nous avons eue avait plus de 60 ans et le plus jeune avait 7 ans. Aussi, nous avons adapté notre programme de formation à ceux qui travaillent en mettant à disposition une formation qui se poursuit du lundi au dimanche, de 9h à 19h.
S’agissant de la formation que vous dispensez, comment a-t-elle évolué depuis la création de GoMyCode et selon quel rythme et quels outils?
Aujourd’hui, nous sommes 85 employés travaillant au sein de GoMyCode et 150 formateurs. Nous avons aussi pas moins de 2000 étudiants actifs répartis entre 15 espaces et 8 pays. Également, nous disposons d’une équipe de 7 développeurs qui travaillent sur la plateforme tech et une équipe qui travaille sur le contenu. Nous sommes dans une course continue pour l’innovation. Toutes les deux semaines, nous lançons un nouveau produit ou une nouvelle fonctionnalité. D’ailleurs, nous sommes aujourd’hui à la version 15 de la plateforme. Au sein de GoMyCode, nous prônons beaucoup la culture du développement du savoir-faire à travers les erreurs que nous commettons lors de l’apprentissage. Par ailleurs, nous avons des équipes dans différentes sections, technique, marketing, produit, RH, etc. Nous n’effectuons aucune sous-traitance, ce qui nous permet de progresser plus rapidement et plus efficacement. Nous n’avons pas beaucoup de process mais de très bons managers.
Les managers justement, parlons-en. Selon quels critères vous les recrutez et quel est le profil d’un bon manager, selon vous?
En fait, il y a trois critères principaux selon lesquels nous choisissons nos managers. D’abord, il est question d’intelligence dans son sens le plus global. Ensuite, il s’agit de leur capacité de livrer et, enfin, un élément purement subjectif: la volonté de travailler avec cette personnalité. Selon moi, un bon manager est celui qui sait challenger son équipe de manière constante et continue.
Comment avez-vous recruté vos premiers étudiants?
À vrai dire, lorsque j’ai lancé GoMyCode, j’ai tout fait tout seul: le contenu, la plateforme, le site Web, la formation, etc. Ce qui a fait venir les 30 premiers étudiants était une action que j’ai faite et qui consistait en l’envoi d’un écrit adressé spécialement à ces étudiants avec qui j’ai passé un mois pendant l’été. Avant cela, j’ai dû passer avec chacun un long moment au téléphone pour les convaincre à l’époque afin d’intégrer GoMyCode qui n’était pas connue.
Et comment votre approche marketing a-t-elle évolué par la suite?
Il s’agit d’une approche marketing et commerciale. Nous avons mis en place un concept qui s’articule autour des personnes en référence à notre compagnie qui elle-même tourne autour des personnes. D’ailleurs, nous recevons des étudiants qui ont différents backgrounds et différentes histoires. De ce fait, nous basons notre approche marketing sur les histoires de ces personnes en les racontant et en les partageant. Par ailleurs, nous avons une équipe commerciale composée de 15 personnes que nous appelons les conseillers éducatifs, dont 12 sont en Tunisie. Chacun est chargé de gérer 500 prospects par mois. Pour ce faire, nous utilisons des outils qui nous aident dans la partie commerciale et prospection.
Et quelle est la filiale qui cartonne le plus à l’étranger aujourd’hui?
Il y a la filiale de l’Algérie qui fait de très bons chiffres, sachant que c’est celle que nous avons lancée en premier en 2020, les autres ont suivi en 2021. Cela prend du temps pour que le modèle s’installe. Je pense par ailleurs qu’au Maroc et en Égypte, il y a beaucoup de potentiel, car il n’y a aucun modèle similaire.
Y a-t-il des adaptations à faire en fonction du pays d’installation?
Absolument ! Bien qu’il s’agisse de pays arabes, il n’en demeure pas moins qu’il existe des différences culturelles assez importantes. La première barrière est la langue et nous avons dû changer toute la communication de l’équipe en instaurant l’anglais comme langue parlée par tous en interne. De plus, il existe une différence au niveau de la culture, notamment en matière de marketing. Par exemple, les photos que nous utilisons au Nigeria ne sont pas les mêmes que celles que nous utilisons au Bahreïn. Idem pour le message que nous voulons véhiculer, il n’est pas conçu de la même manière dans tous les pays.
Les équipes installées à l’étranger sont composées de Tunisiens ou de locaux?
Ces équipes sont toutes composées de locaux.
Comment choisissez-vous les pays où vous vous êtes installés?
Le premier élément que nous prenons en considération est l’écosystème des startups. Nous regardons également l’implication des investisseurs, le taux d’employabilité et de chômage, les écoles et les universités, ainsi que l’indicateur des étudiants cibles.
Qu’est-ce que l’école de demain pour vous?
En fait, il faut savoir qu’en 2030, dans le continent africain et au Moyen-Orient, nous aurons davantage de jeunes entre 14 et 40 ans. Nous aurons 250 millions de jeunes ayant entre 15 et 35 ans qui auront besoin d’être éduqués et de pouvoir travailler. Le modèle d’éducation actuel ne sert plus les intérêts de ces jeunes et n’est plus aussi efficace. À vrai dire, nous devons nous poser la question du rôle que doit jouer l’éducation. À mon avis, nous devons d’abord définir l’apprentissage avant même de parler de l’université. L’apprentissage doit se poursuivre toute la vie, or le problème avec l’université est que l’apprentissage est limité sur une période de quelques années sans plus. Par exemple, en ce qui concerne les développeurs, il y a un changement de technologie tous les 12 mois. De ce fait, nous avons besoin d’un modèle qui permet d’apprendre et d’évoluer dans cet apprentissage et dans le travail par la suite. Par ailleurs, il faut prendre conscience que le modèle d’apprentissage dont nous disposons dans nos écoles date de la révolution industrielle et est resté passif. Or, aujourd’hui, les sources d’apprentissage se sont beaucoup développées, à l’instar de celles existant sur Google et sur Youtube. Il faut que le modèle d’apprentissage soit une combinaison entre les différentes sources. En outre, il est question de compétences, par exemple le fait de pouvoir apprendre tout seul est considéré comme une compétence à part aujourd’hui.
Avez-vous pensé aux jeunes étudiants qui n’ont pas les moyens financiers pour pouvoir accéder à la formation que vous dispensez?
Absolument. Entre 2020 et 2021, nous avons financé près de 2000 étudiants avec des bourses. Depuis la création de GoMyCode, nous avons obtenu 3500 bourses pour des étudiants. Nous avons un modèle très intéressant en collaborant avec des organismes afin de pouvoir faire profiter des personnes intéressées par notre formation. En outre, nous avons lancé un système de financement de la formation à échéance, en ce sens que l’étudiant en profite au début gratuitement et dès qu’il intègre le monde professionnel, il commence à payer sa formation sur une période de 12 mois. D’ailleurs, il y a un KPI qui nous intéresse à ce niveau, à savoir: le salaire que nos étudiants percevaient avant la formation et celui qu’ils perçoivent après. Par exemple, un salaire moyen avant la formation se situe autour de 600 dinars, après il évolue à 1 500 dinars au bout d’une année.
Passons à votre profil, comment êtes-vous passé de développeur à entrepreneur et manager? Comment s’est faite la transition?
Je pense être créateur plus qu’autre chose. Aussi, aujourd’hui, je passe environ 35% de mon temps à recruter. Je consacre également beaucoup de temps aux équipes commerciales et marketing. Puis, en tant que manager, j’ai besoin de mettre en place la vision, la mission et les objectifs de la compagnie. Ensuite, un créneau horaire important est accordé toutes les semaines aux managers responsables pays, en plus du temps que je passe avec les investisseurs à propos des levées de fonds.
Pouvez-vous nous décrire une journée type que vous passez?
Une journée type pour moi commence à 8h et finit à 20h. Toutefois, ma journée type a beaucoup changé depuis les débuts; aujourd’hui, je passe beaucoup plus de temps avec les équipes installées à l’étranger qu’avec celles en Tunisie. J’ai quotidiennement des réunions de mise au point avec les GoMyCode Égypte, Maroc et Nigeria par exemple.
Votre point focal serait plus le recrutement?
Il s’agit de l’élément le plus important.
Venons-en à votre entourage. Vous a-t-il encouragé lors du lancement de votre projet?
Tout à fait, oui. Mon entourage et mon environnement m’ont beaucoup encouragé. J’ai été très chanceux d’être entouré des bonnes personnes, à commencer par Cogite où je suis venu en premier à Tunis. De nombreuses personnes m’ont aidé aussi bien ma famille que d’autres entrepreneurs. Cependant, en ce qui concerne mes parents, ils ne peuvent s’empêcher, à chaque fois, de me poser la question quant à la reprise de mes études que j’ai dû interrompre pour le lancement de mon entreprise.
Et qu’est-ce qui vous a tant incité à vous lancer dans ce projet au détriment de vos études?
Tout simplement parce que je croyais en ce projet. Mais j’avoue que j’ai pris beaucoup de risques.
Et qu’est-ce qui vous pousse à vous lever chaque matin?
Le changement. Je veux faire changer beaucoup de choses. Quand je vois l’impact que nous pouvons avoir sur la vie des gens à travers notre produit, cela ne fait que nous encourager davantage.
Avez-vous vu un changement qui vous a ému et qui vous ressource aujourd’hui?
En Tunisie, lorsque nous voyons que nous avons formé 3000 développeurs, nous savons que nous avons changé la vie de 3000 personnes. En outre, nous sommes une startup qui a commencé avec un fonds de 1 000 dinars et aujourd’hui, nous sommes valorisés à 60 millions d’euros. Je pense également qu’il y a une responsabilité qui m’incombe et qui consiste à faire changer l’état d’esprit des jeunes afin qu’ils puissent devenir des entrepreneurs. Nous avons besoin des jeunes qui changent les choses.
Quelle est la crainte ou la menace que vous pouvez avoir par rapport à votre entreprise et son développement?
Je pense que la pandémie de la Covid peut en être une, même s’il y a également une opportunité qui s’en dégage. Toutefois, le vrai problème sur le long terme est la fuite des bons profils. Je pense d’ailleurs que c’est un problème que rencontrent toutes les startups, à savoir: trouver les bons profils. Essayer de fidéliser ces profils n’est pas toujours évident. Sinon, j’ai appris à trouver des solutions et donc à ne pas penser aux menaces. Il y a plutôt des challenges. Cependant, il faut dire que lorsque les organisations grandissent, il devient parfois difficile de faire changer les choses, car elles font face à une certaine rigidité. Nous veillons d’ailleurs à ce que cette rigidité ne s’installe pas dans les rangs de nos employés.
Que faites-vous tous les jours pour évoluer vous-même?
Je continue à faire de l’apprentissage, je fais beaucoup de lecture, je visionne beaucoup de masterclass via Youtube. Je n’ai pas de télévision ni de radio. Je ne suis pas à l’affût de l’actualité nationale. Je travaille entre 12 et 14 heures par jour.
Vous avez passé votre jeunesse absorbé par votre projet, quels sentiments en avez-vous aujourd’hui?
Ce n’est pas évident. Lorsque j’avais 19-20 ans, je cherchais comment travailler. Je cherchais aussi comment faire mon apprentissage. En fait, j’ai appris une chose: nous ne pouvons pas bien réussir sa vie si nous ne savons pas bien la gérer. C’est pour cette raison que j’ai commencé récemment à mieux gérer ma vie en faisant du sport et en essayant d’avoir une bonne hygiène de vie.
Vous vous voyez où et comment à l’âge de 40 ans?
Je ne peux pas vous le dire avec certitude. Mais ce dont je suis persuadé, c’est que je veux investir dans des startups. Je pense d’ailleurs que nous avons besoin d’entrepreneurs investisseurs.
Et quel est l’entrepreneur investisseur qui vous a le plus inspiré?
Il y en a beaucoup, à vrai dire. Il y a Sam Heltma dont le parcours ressemble un peu au mien. Il y a également Khaled Halioui et mon frère qui est cofondateur de GoMyCode.
Quelles sont les qualités dont auraient besoin les entrepreneurs, selon vous?
Il y a plusieurs qualités, mais selon moi, la plus importante reste celle de commettre des erreurs, d’échouer afin de pouvoir apprendre. Nous avons besoin de ne pas s’imposer des limites et d’essayer toujours et encore. Il est tout à fait possible de commencer avec des petits moyens et de grandir par la suite. Il faut arrêter de se plaindre et de se dire que nous ne sommes pas capables de réussir. Il faut également savoir quels conseils suivre. En Tunisie, les entrepreneurs ne conseillent pas à bon escient les graines d’entrepreneurs.
Dans trois ans, comment voyez-vous GoMyCode?
Nous voulons passer de 15 à 100 espaces et de 10 mille étudiants par an à 80 mille. Pour la période à venir, le focus sera fait sur l’Afrique.