En garantie des engagements des tiers, les banques sont amenées à obtenir des sociétés anonymes des sûretés réelles ou personnelles. L’article 200 du CSC donne deux solutions en fonction de la qualité du tiers garanti, débiteur principal. Si la sûreté n’est pas interdite en raison des liens qu’il entretient avec la société, l’opération est soumise à l’autorisation du conseil d’administration.
La prohibition des sûretés en raison des liens entre la société anonyme et le tiers garanti
L’article 200 III du CSC dispose qu’il est interdit au président-directeur général, au directeur général, à l’administrateur délégué, aux directeurs généraux adjoints et aux membres du conseil d’administration ainsi qu’aux conjoints, ascendants, descendants et toute personne interposée au profit de l’un d’eux, de faire cautionner ou avaliser par la société leurs engagements envers les tiers, sous peine de nullité du contrat. L’interdiction ne s’applique pas aux personnes morales membres du conseil d’administration, mais elle s’applique à leurs représentants permanents.
Comme nous pouvons le constater, ce texte prohibe toute sûreté quand le débiteur est une personne physique justifiant de la qualité de président-directeur général, directeur général, administrateur délégué, directeur général adjoint, administrateur ou représentant permanent d’une personne morale administrateur ainsi qu’aux conjoints, ascendants, descendants ou personne interposée desdites personnes. L’interdiction est d’interprétation stricte et ne s’applique pas au débiteur qui a seulement qualité d’actionnaire dans la société garante. L’appréciation de la qualité du débiteur principal et de ses liens avec la société garante est appréciée le jour de la formation du contrat de sûreté. La règle produit deux conséquences :
– une sûreté consentie pour garantir la dette contractée par un ancien dirigeant est valable ;
– la sûreté ne devient pas nulle quand postérieurement à sa date le débiteur principal devient dirigeant (Cass. fr. civ. 29 novembre 1972, n°71-10.701, Bulletin civil III, 639).
La vérification du respect de l’interdiction consacrée à l’article 200 III du CSC se fait par l’examen des procès-verbaux de l’assemblée générale ordinaire et du conseil d’administration de la société garante. Ces documents permettent de vérifier que le débiteur principal occupe ou non une fonction au sein de la société. Le procès-verbal de l’assemblée générale ordinaire permet de vérifier l’identité des personnes nommées à la fonction d’administrateur. Si une personne morale figure parmi les administrateurs désignés, la société garante doit présenter les actes en vertu desquels chaque personne morale a désigné son représentant permanent au conseil d’administration. Pour une ample vérification, le bénéficiaire de la sûreté peut requérir la production du dernier procès-verbal de réunion du conseil d’administration et la liste des administrateurs présents ou représentés. La production de l’extrait du registre du commerce permet de vérifier l’identité des personnes investies de la direction générale de la société.
Les liens de parenté ou d’alliance sont vérifiés par la banque à travers l’extrait de l’état civil du débiteur principal. On doit toutefois signaler que l’article 200 III du CSC étend l’interdiction à la garantie d’une dette contractée par des personnes interposées aux dirigeants sociaux visées par la loi. La notion de personne interposée est définie par le Vocabulaire juridique Gérard Cornu (Association Henri Capitant) comme étant la « personne qui, dans un rapport de droit, joue ostensiblement le rôle du bénéficiaire véritable, qu’elle masque aux yeux des tiers ». L’interposition de personne est une espèce de simulation consistant, dans un acte juridique ostensible (par exemple société, donation), à faire figurer en nom comme titulaire apparent du droit (associé, donataire) une personne qui se prête au jeu (dite personne interposée ou homme de paille) alors qu’en vertu de la volonté réelle des parties, en général consignée dans une contre-lettre, le véritable intéressé (associé, destinataire réel de la libéralité) est une autre personne tenue secrète. L’interposition de la personne peut, dans certains cas, être destinée à une fraude à la loi impérative.
L’acte est régulier en soi mais il est accompli dans l’intention d’éluder une loi impérative ou prohibitive et qui, pour cette raison, est frappé de nullité par la loi. L’interposition de personne ne se présume pas (Lamy Sociétés commerciales 2019, n°3668, p. 1794) mais le législateur a vidé, à l’article 200 III du CSC, les éventuelles difficultés liées à l’appréciation de cette situation en prohibant expressément la garantie des dettes contractées par les ascendants et descendants sans limite de rang, et le conjoint d’un dirigeant social. Pour les autres personnes, la difficulté de preuve dépend des circonstances de fait. La violation de la prohibition est sanctionnée civilement par la nullité absolue du contrat de sûreté. Elle constitue également une infraction pénale quand elle est intentionnelle.
L’autorisation du conseil d’administration
Quand elle n’est pas interdite, la garantie de la dette d’autrui est soumise à l’autorisation du conseil d’administration. Le terme ‘’garantie’’ comprend tout d’abord les sûretés personnelles. Peu importe qu’elles soient accessoires (cautionnement, ducroire) ou indépendantes (garantie à première demande, aval). Le terme ‘‘garantie’’ désigne ensuite les cautionnements réels. L’autorisation du conseil d’administration n’est requise que lorsque la société garantit la dette d’autrui. Il a été jugé qu’un engagement solidaire de la société ne devrait pas être assimilé à une garantie dans la mesure où il s’agit d’une obligation principale et directe en tant que codébiteur (V. en ce sens, Catherine Prieto, Cautionnement donné par une société, observations sous Cass. com. 8 novembre 1988, grands arrêts du droit des affaires, sous la direction de Jacques Mestre, Dalloz 1995, p. 452 notamment p. 458).
La jurisprudence française se montre rigoureuse dans l’exigence de l’autorisation du conseil d’administration. Ainsi il a été jugé que lorsque le conseil d’administration autorise le cautionnement de l’achat d’un véhicule industriel, cette autorisation ne vaut pas pour le cautionnement d’un contrat de crédit-bail destiné à financer l’acquisition de ce véhicule (Cass. com., 22 mai 2001, J.C.P. éd. E., 2001, n°29). De même, autoriser un cautionnement n’est pas équivalent à autoriser une substitution dans un cautionnement préalable (Com. 22 mars 2005, R.T.D.Com. 2005, p. 549, note Paul Le Cannu). La solution retenue par le législateur n’est pas absolue, puisque les statuts peuvent prévoir une dispense d’autorisation dans la limite d’un montant qu’ils déterminent.
Evidemment, cette stipulation ne peut être mise en œuvre lorsque le montant du cautionnement n’est pas limité à une somme déterminée. La dispense doit résulter des statuts et non d’une décision générale du conseil d’administration dispensant d’autorisation dans la limite d’un montant qu’il fixe. Il faut toutefois mentionner que la loi n°2019-47 du 29 mai 2019, portant amélioration du climat de l’investissement a introduit une modification à l’article 200 II-2 du CSC dans le but de rationaliser le processus d’octroi de l’autorisation de l’opération projetée. Il est désormais prévu que « le conseil d’administration examine l’autorisation à la lumière d’un rapport spécial dressé par le ou les commissaires aux comptes indiquant les impacts financiers et économiques des opérations présentées sur la société ».
La sanction du défaut d’autorisation ou l’autorisation irrégulière est sanctionnée par la nullité relative. La société doit prouver avoir subi un dommage, mais celui-ci est présumé en cas d’octroi d’une sûreté en garantie de la dette d’un tiers.
La majorité dans le fonctionnement du conseil d’administration d’une société anonyme
L’article 199 du CSC pose la règle suivante : « Les décisions sont prises à la majorité des membres présents ou représentés, à moins que les statuts ne prévoient une majorité plus forte ». « En cas de partage des voix, la voix du président de séance est prépondérante sauf stipulation contraire des statuts ». En vertu de cet article, la majorité au sein du conseil d’administration est calculée sur le nombre des administrateurs présents ou représentés. Le vote se fait par tête. Un administrateur a une seule voix. La majorité absolue des voix, qui se calcule sur le nombre des administrateurs en exercice, n’est donc pas requise. Les statuts peuvent imposer une majorité plus forte.
Il a été admis qu’en vertu de cette disposition les statuts peuvent prévoir l’unanimité. Il n’est pas possible de prévoir une majorité inférieure pour faciliter le respect de la règle de quorum. En calculant la majorité sur la base des personnes présentes ou représentées, la loi exclut implicitement une majorité basée sur les voix exprimées. Il en découle que les abstentions et les votes blancs entrent dans le calcul de la majorité. L’explication est la suivante. En principe, celui qui ne dit pas un mot ne consent pas. Ces votes blancs et abstentions doivent donc être considérés comme des voix contre. C’est dans ce sens que s’est prononcée la Cour d’appel de Douai (CA Douai, 17 nov. 1994, JCP 1995. I. 3865, no 10, Bull. Joly 1995.671, note B. Saintourens). Pour le calcul de cette majorité, les abstentions et les votes blancs équivalent à un vote défavorable à la résolution proposée.
En cas de partage de voix, la voix du président de séance (et non seulement la voix du président du conseil d’administration) est prépondérante sauf clause contraire des statuts. Lorsque les statuts refusent la voix prépondérante au président et qu’au cours d’une séance, où quatre administrateurs sont présents, deux d’entre eux votent une résolution et les deux autres s’abstiennent, la résolution ne peut être adoptée. Il aurait fallu trois administrateurs se prononçant en sa faveur. S’abstenir c’est pratiquement voter contre.
Certains statuts stipulent que si dans une séance du conseil d’administration réunissant le quorum requis pour délibérer valablement, un ou plusieurs administrateurs s’abstiennent, les résolutions seront valablement prises par les autres administrateurs présents ou représentés. Une telle stipulation tient compte des voix exprimées. Ainsi à la règle de majorité calculée sur le nombre des personnes présentes ou représentées, il est substitué une règle de majorité calculée sur le nombre des voix exprimées.
La question se pose de savoir si une telle clause est valable. Pour y répondre, il faut dire si la règle de l’article 199 du CSC est d’ordre public ou quelles sont les dérogations possibles à y apporter. A notre avis, la liberté contractuelle concédée par le législateur est limitée. Les statuts peuvent prévoir de déroger à la règle de droit commun en élevant la majorité et en écartant la voix prépondérante du président. Ils ne peuvent cependant pas modifier l’assiette de calcul de la majorité.
Que faut-il faire dans ces conditions ?
Ceux qui ont voté pour peuvent tenir la décision comme étant adoptée en application des statuts. Ceux qui ont voté contre peuvent agir en nullité. Pour que leur action aboutisse, ils doivent en même temps (dans la même action) demander la nullité de la clause des statuts qui sert de socle à la décision. Or, cette action en nullité risque d’être jugée tardive en raison de l’expiration des délais de prescription.