La prochaine fois que vous visitez une grande surface, regardez bien autour de vous. Ces milliers de produits ont été soigneusement placés pour vous inciter à acheter plus. Voici comment ça marche.
Une mission (presque) impossible: visiter un magasin et le quitter seulement avec les achats décidés à l’avance; sans aucun autre article de plus. Si vous avez déjà tenté ce challenge, vous savez certainement qu’il est presque impossible de gagner. La bonne nouvelle est que ceci n’est pas votre faute.
Objectif: votre séduction
Les magasins et les grandes surfaces emploient des équipes entières dont la mission est de concevoir une stratégie d’assortiment de produits qui poussent les clients à acheter plus. Et il n’y a peut-être pas un exemple d’une marque qui a poussé les limites de cette discipline plus qu’Ikea. La marque suédoise de meubles (et de pâtisseries) est tellement obsédée par améliorer son merchandising qu’elle en a fait un élément essentiel de son modus operandi. Pour s’assurer que ses produits sont les plus abordables possibles, Ikea décide en effet le prix d’un article avant même de le concevoir. Et c’est à partir de ce prix que les designers et les ingénieurs de l’entreprise décident des caractéristiques du produit. Quant à ses magasins, ils sont conçus de sorte à ce que les clients empruntent tous le même parcours assurant qu’ils passent par tous les produits avant de pouvoir quitter le magasin. Sans oublier bien évidemment les pâtisseries et les célèbres meatballs suédois disponibles dans tous les magasins de la marque.
Placés près des caisses, ces délices ont pour mission de dissiper le stress qui accompagne le paiement par leur immense pouvoir olfactif. Ceux-ci ne sont que quelques exemples de techniques déployées par Ikea — des livres entiers en ont été rédigés. Aussi performante qu’elle soit, Ikea n’a certainement pas inventé le merchandising. Cette discipline a vu le jour dans les années 50 aux États-Unis et n’a cessé depuis d’évoluer. Mais plus de 70 ans plus tard, les notions de base du merchandising n’ont pas beaucoup changé. Il s’agit de mettre “le bon produit, au bon endroit, au bon moment, au bon prix et à la bonne quantité”, explique Norchene Ben Dahmane, consultante en merchandising. En effet, la montée du merchandising a accompagné celle des grandes surfaces et du libre-service. “Ce n’est plus l’épicier qui décide ce qu’il va donner au client”, a indiqué l’experte. “C’est le produit, placé dans les rayons, qui doit se vendre et c’est pour cela qu’on évoque souvent le terme de vendeur muet”, a-t-elle ajouté.
Vous aider à mieux acheter
À travers le merchandising, les marques essaient donc d’assurer la meilleure visibilité possible pour leurs produits et leur donner, ainsi, l’opportunité de séduire les clients. Pour les producteurs et les distributeurs, la mission du merchandising est donc clairement définie: améliorer la rentabilité du point de vente et l’écoulement des produits. Défini ainsi, le merchandising peut sembler comme un outil de pure manipulation dont la seule mission est de pousser le pauvre consommateur à… consommer plus. Mais Ben Dahmane ne partage pas cette opinion. Selon elle, cette discipline vise à concilier les intérêts de trois acteurs : le fournisseur et le distributeur, certes, mais aussi le consommateur.
“C’est l’acteur le plus important”, a noté l’experte. “Lorsqu’il entre dans un magasin, le client doit trouver des réponses à ses attentes”, a-t-elle précisé. C’est pour cela que durant la période du Mouled, par exemple, le zgougou accapare les rayons les plus visibles: le magasin vend plus rapidement son inventaire, et le client trouve facilement ce qu’il cherche. Tout le monde est heureux ! Une autre manière pour le merchandising de démontrer son utilité au consommateur: le cross-selling. “Quand j’achète des pâtes, je trouve à côté la sauce tomate que j’aurais pu oublier d’en acheter si elle n’était pas placée au bon endroit”, explique-t-elle.
Une question, et 1001 réponses
Déployer une stratégie de merchandising n’est certainement pas facile. D’innombrables facteurs entrent en jeu et peuvent influencer drastiquement ses résultats. Ainsi, chaque point de vente et chaque magasin doit déployer la stratégie la plus adaptée à ses spécificités. C’est ce que les experts en la matière appellent la zone de chalandise. “Pour un point de vente, il est essentiel de connaître le type de clients qui le visitent, leurs attentes et même les commerces à proximité”, a souligné l’experte. “Pour le remodeling d’un magasin à Ibn Khaldoun, par exemple, nous avons opté pour la suppression des rayons des légumes et fruits, et celui du textile”, a-t-elle ajouté. Pourquoi ? “Parce que ce magasin était proche de la fripe et du marché quotidien d’Ibn Khaldoun”, explique-t-elle.
Bien comprendre les attentes des consommateurs permet aussi de guider l’aménagement des produits dans le magasin, i.e. quels produits mettre dans l’allée centrale, quel serait le sens de circulation que va avoir le client, etc. Une autre technique, dite de merchandising bilinéaire, permet quant à elle de préciser la disposition et l’implantation des produits dans les espaces consacrés à la vente. Pour attirer les consommateurs, les enseignes de grande distribution disposent d’un autre outil: les marques de distributeurs. Il s’agit des produits dont les caractéristiques ont été définies par l’enseigne elle-même et dont la marque lui appartient. Et il y en a plusieurs catégories, d’après l’experte: les marques de premier prix qui répondent à un souci économique et de prix ou encore les marques qui portent le nom de l’enseigne ayant un prix plus élevé mais moins cher que celui des marques nationales.
Plus récemment, une nouvelle catégorie de marques de distributeurs a vu le jour. Ces marques, dites de 3ème génération, sont consacrées aux produits de terroir et/ou les produits bio. “Ces produits vont naturellement se vendre nettement plus cher mais vont permettre à l’enseigne de répondre aux besoins des consommateurs prêts à payer plus pour un produit haut de gamme”, a noté Norchene.
Les défis sont, naturellement, nombreux
Même si tous ces éléments, et bien d’autres, sont pris en considération pour développer la bonne stratégie, la réussite est loin d’être garantie. Car les défis sont nombreux. “Le manque de communication entre les différents intervenants peut avoir des conséquences dévastatrices”, a indiqué Norchene Ben Dahmane. “Malheureusement, c’est un problème récurrent dans les entreprises tunisiennes”, a-t-elle ajouté. Pour illustrer cela, l’experte a repris l’exemple du Mouled. “Supposons que le département marketing a décidé de mettre en place une offre sur la farine.
Si le département commercial ne fournit pas la quantité suffisante et si le département merchandising ne prépare pas la publicité sur les lieux de vente, l’offre peut ne pas générer le résultat escompté”, a expliqué l’experte. Pour les marques, dont les produits sont distribués à travers des centaines, voire des milliers de points de vente, le challenge est encore plus accru. Comment peuvent-elles s’assurer que leurs produits sont disponibles en bonne quantité et jouissent de la visibilité nécessaire ? La solution déployée actuellement consiste à dispatcher des équipes pour la vérification de la bonne exécution de la politique de la marque. “Cette méthode n’est cependant pas efficace”, nous informe Nizar Mhiri, Branch Manager à Minerets. L’entreprise à laquelle il appartient propose des solutions de suivi digitales dédiées à ces tâches. Au lieu de soumettre un reporting de l’exécution de la stratégie de merchandising sur des fiches en papier, Minerets permet d’échanger, en temps réel, des rapports numérisés entre les équipes de terrain et celles en back-office.
Mais en quoi les solutions traditionnelles sont-elles défaillantes ? “Ces méthodes se caractérisent par leur lenteur quant à l’exécution des opérations de merchandising, ainsi que l’absence des métriques aidant à s’assurer que les produits sont affichés conformément à la politique de l’entreprise”, a-t-il indiqué. Le reporting sur papier des équipes terrain complique encore plus la tâche aux équipes en backoffice, note Mhiri aussi bien en termes d’anomalies et problèmes de création des demandes de stock pour réapprovisionnement, ou encore l’incapacité de réagir plus rapidement aux tendances du marché. L’absence de la data peut priver les merchandisers d’insights importants et peut donc coûter cher à l’entreprise, a-t-il ajouté.
Le merchandising en e-commerce: comment ça se passe ?
Le merchandising ne s’applique pas uniquement aux magasins et boutiques physiques. Il s’applique aussi aux sites de e-commerce. L’avantage ici, pour les merchandisers, c’est d’avoir accès aux données qui permettent de mesurer, en temps réel, l’impact de la politique merchandising sur les ventes. Tout comme pour les rayons d’un magasin, les sites d’e-commerce font souvent appel au cross-selling. Mais au lieu d’avoir le produit complémentaire physiquement placé aux côtés de l’article principal, les sites en ligne disposent de beaucoup plus de flexibilité. Ils peuvent en effet afficher autant de produits complémentaires qu’ils le souhaitent.
Aussi, les enseignes ont la possibilité de tirer pleinement profit des données collectées lors de la visite du client au site pour optimiser les recommandations qui sont, désormais, personnalisées. Des enseignes, comme Amazon, ont poussé cette logique encore plus loin en alimentant leurs algorithmes des données de tous leurs clients qui visitent leur site. Les recommandations ne reposent donc pas uniquement sur l’historique d’achats d’une seule personne, mais de millions de consommateurs. En Tunisie, une telle technologie n’a pas encore été déployée, nous confirme Norchene Ben Dahmane. Cependant, elle nous a confirmé qu’une enseigne de vente en ligne est en train de mettre en place cette solution pour son site. “En analysant les paniers de milliers de clients, cette entreprise sera en mesure de proposer à ses clients des recommandations qui répondent plus à leurs attentes”, a-t-elle ajouté.
Considérations éthiques
Avec les données et les nouvelles technologies de suivi en ligne, les marques n’ont cessé de développer de nouvelles techniques pour pousser les clients à consommer plus. Parfois même de manière trop agressive. Certaines entreprises sont même allées encore plus loin en employant des techniques dites dark patterns dans le seul but de la manipulation des consommateurs. Ben Dahmane s’oppose catégoriquement à l’usage de ces techniques. Pour elle, “le merchandising doit être utilisé pour mieux répondre aux besoins des consommateurs”. “Il ne faut pas que les marques transforment cet outil en un prétexte pour réaliser un gain rapide au détriment des clients”, a-t-elle conclu.