Les dirigeants d’entreprise ou les managers ne sont pas nécessairement experts en droit ou en négociation de contrats. Quand il s’agit de faire valoir les droits de leurs entreprises, de gérer un litige ou de signer un contrat, ils doivent de préférence faire appel à un avocat ou à un juriste d’entreprise. Ce dernier occupe de plus en plus un rôle primordial dans la vie d’une société en tant que conseiller juridique, et aussi en tant que partenaire commercial qui peut contribuer efficacement au renforcement et à l’expansion de ses intérêts commerciaux.
Forte de son parcours professionnel riche et diversifié, Sana Belaïd, juriste d’entreprise dans une multinationale depuis plus de quinze ans, membre de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (“CCI”), experte en droit des technologies numériques, du commerce international et de l’arbitrage international et« coach de carrière » pour les dirigeants, nous explique le métier de juriste d’entreprise et nous parle de l’importance que pourrait avoir la CCI dans la relance et le développement de l’économie tunisienne.
Expérience personnelle et biographie
Sana Belaïd est juriste senior de l’équipe « Global Strategy Team » de la société mondiale Cisco et membre de la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, et du « User Council » de l’Association Suisse d’Arbitrage ( ASA ).
Avant de travailler pour Cisco, Sana Belaïd a été collaboratrice dans le département d’Arbitrage international de deux cabinets d’avocats internationaux à Paris, Coudert Frères et White & Case. Sana Belaïd a deux D.E.A de l’Université Panthéon-Assas en droit international et en droit comparé. Elle est aussi diplômée en tant qu’avocate auprès de la Cour d’appel de Tunis et de la Cour d’appel de Paris.
Sana Belaïd est aussi une « coach de carrière » certifiée du « Coaching Training Institute » (CTI) et détient une qualification en tant que coach d’équipes du « Organization and Relationship Systems Coaching Institute » (ORSC).
Par ailleurs et loin du monde du droit et des affaires, Sana Belaïd a récemment publié un recueil de poèmes en langue arabe chez les Editions Nirvana, dont le titre est «ويغزوني ٱلأمل ».
Quel est l’apport du juriste d’entreprise ?
Son premier rôle est de défendre les intérêts de l’entreprise pour laquelle il travaille et de contrôler la conformité légale et éthique dans laquelle œuvrent ses collègues.
Il veille à la bonne application des lois et réglementations internes et accompagne la direction et les services opérationnels de l’entreprise dans la prise des bonnes décisions commerciales et autres dans le respect de la conformité et de l’efficacité.
« Quand on est juriste d’entreprise, on ne se conçoit pas seulement en tant qu’expert du droit. Je garde constamment à l’esprit le fait que je fais partie de l’équation et de toute une équipe dont le rôle est de participer à la réussite de la société. Je collabore avec le service commercial, celui de l’Après-vente, les services technique, commercial, fiscal, de logistique (pour ne nommer que quelques-uns) pour que, tous, nous prenions les meilleures décisions commerciales pour le bien-être commercial optimal de la société ».
L’évaluation des risques, entre autres légal, est une partie intégrante et primordiale du métier”, souligne Sana Belaïd.
Quand le juriste d’entreprise regarde une transaction donnée ou un projet d’affaire dans son ensemble, il doit se poser les questions suivantes : quel est le risque légal ? Quel est son impact à la lumière des autres risques identifiés par les autres fonctions selon leur domaine d’expertise ? Est-ce un risque gérable, ou rédhibitoire, voire insurmontable ? S’il est gérable, que peut-on faire pour le contourner ou l’atténuer ? Quelle solution pourrait être conçue par le juriste en consultation avec les fonctions, pour faciliter la transaction ou la prise de décision ?
Un rôle qui s’apprécie en aval, mais aussi en amont des projets et des transactions commerciales
Mme. Belaïd met l’accent sur l’implication salutaire du juriste d’entreprise en amont dans les affaires, à titre préventif. Il y a malheureusement cette tendance à n’envisager la présence d’un avocat ou d’un juriste qu’en cas de litige ou de contentieux, alors que l’entreprise gagne à prévenir les moments de tension, et même à les éviter en ayant « ses affaires en ordre » depuis le début.
« Contrairement à ce qui se pratiquait avant, le juriste n’est plus juste une femme ou un homme de loi qu’on sollicite lorsqu’on rencontre un gros problème comme par exemple des impayés, une livraison défaillante ou un problème de contrefaçon ou lorsque l’on doit passer devant un tribunal. Sous l’impulsion de l’économie moderne, le juriste intervient désormais depuis les premiers stades d’une transaction ou d’une affaire ou dès les premiers signes d’un malaise commercial.”
Lorsqu’un contrat est bien négocié et bien rédigé, lorsqu’il reflète les attentes des parties et est clair sur les droits et obligations de chacune d’entre elles, alors les risques d’un litige pendant la vie d’un projet sont nettement diminués, voire annihilés.
Par exemple, la société gagne à implique son juriste depuis le stade de l’appel d’offres, au même titre que les autres équipes de la société qui sont concernées par le projet. Le but est de s’assurer que l’offre que l’on fait au client correspond à ce que l’on est réellement en mesure d’offrir, que ce soit sur le plan technique, commercial, financier, légal ou autres.
Ensuite, lorsque l’offre de la société est sélectionnée, le juriste d’entreprise négocie le contrat en collaboration avec les collègues et départements concernés par la transaction, et s’assure de la bonne rédaction des clauses contractuelles pour éviter, ou du moins limiter, les malentendus et les divergences d’interprétation à un stade ultérieur.
Lors de toutes ces étapes, le juriste a un rôle fédérateur, puisqu’il s’assure que chaque clause dans le contrat, chaque mot, reflète la contribution des différentes équipes et fonctions de la société pendant le projet. Le rôle du juriste est très important car la plupart des litiges ou différends sont dus à des malentendus ou à des contre-vérités ou des vérités incomplètes que les parties « se racontent » lors de la négociation du contrat. Les litiges sont en général dus à une communication défaillante entre les parties et donc à un manque de transparence de la part de l’une ou de l’autre et bien sûr à une mauvaise rédaction des termes du contrat. Il vaut mieux éviter ces « pièges » dès le début.
“Le contrat n’est pas seulement une affaire de “juristes”., Il est une charte éthique, commerciale, financière, fiscale, juridique, etc, dans laquelle sont clairement reflétées et épelées les attentes des parties. Il est important que le juriste ait « une vision globale de la transaction », et il est également important qu’il informe les différentes équipes ou personnes de « la réalité de ce que l’on est en mesure d’offrir et d’attendre du client ».
Le juriste d’entreprise sera aussi mis à contribution dans le cas où sa société initie ou se trouve « trainée » dans un litige, étant précisé que l’initiation d’une procédure contentieuse, ou comment y prendre part, est elle-même une décision pour laquelle le juriste devra être consulté. Là aussi le juriste procèdera à une évaluation des risques que court la société en consultation avec ses collègues et contribuera dans l’identification et la conception de la stratégie de la position de la société dans le litige. Avant même le début d’une procédure contentieuse, le juriste sera de préférence impliqué dans des efforts d’escalade interne du différend ou de la controverse (c’est-à-dire « faire remonter le problème » à l’intérieur des services de la société) et examinera les chances d’un rapprochement avec l’autre partie avec l’espoir que les parties puissent arriver à une solution amiable-ce qui est en général salutaire pour leurs affaires.
Le juriste a un autre rôle de taille dans la vie de l’entreprise : celui de donner des formations à ses collègues. Le but est de les initier aux principes de bases notamment juridiques et d’éthique qui doivent être observés lors de leur activités quotidiennes, comme par exemple une sensibilisation à la question de conflits d’intérêts, de concurrence déloyale. Des cycles de formation doivent être organisés régulièrement, avec le soutien précieux de la direction.
Si la taille d’une société ne lui permet pas d’employer un juriste à temps plein, elle peut négocier un arrangement (par exemple à un taux fixe ou moyennant un forfait convenu) avec un avocat externe, dans le but de s’assurer un suivi efficace de ses affaires.
Sana Belaïd appelle à une valorisation de la contribution du juriste d’entreprise dans la protection et préservation des intérêts de la société pour laquelle il travaille, mais aussi dans celle de l’économie nationale et internationale dans laquelle la société évolue.
« J’aimerais que cela soit connu, c’est un métier qui évolue et qui est de plus en plus valorisé. Les juristes d’entreprise appartiennent à une grande communauté, et ont tout intérêt à s’entraider pour évoluer et grandir professionnellement », ajoute-t-elle. Elle mentionne à ce propos l’existence de la Association of Corporate Counsel (ACC), une association professionnelle internationale, non-lucrative dont l’objectif est d’améliorer la communication entre les juristes d’affaires, d’optimiser leurs formations et expertises et donc leur apport. La ACC a une représentation tunisienne et a déjà organisé des événements d’une belle ampleur en Tunisie -en plus des excellents séminaires, formations, webinars et autres manifestations qu’elle organise régulièrement au Moyen-Orient ». De plus amples informations sur l’Association peuvent sont disponibles sur son site : https://www.acc.com/
“La Chambre de commerce internationale est un vecteur de paix dans le monde”
Depuis 2018, Sana Belaïd représente la Tunisie au sein de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI. La CCI est une association à but non-lucratif dont l’objectif est, entre autres, « la promotion du commerce, des services et des investissements internationaux », « la promotion de l’économie de marché reposant sur le principe d’une concurrence libre et loyale entre entreprises » et « le renforcement de la croissance économique des pays développés et des pays en développement » d’après ses statuts. Au-delà de la promotion de l’économie mondiale, la CCI se déclare investie d’une mission bien plus générale, celle de promouvoir la paix et la sécurité dans le monde, avec « la ferme conviction que les relations économiques internationales conduisent à la fois à une plus grande prospérité générale et à la paix entre les nations » (voir le Préambule des Statuts de la CCI).
La Cour internationale d’arbitrage est une institution au sein de la CCI, dont la mission principale est d’offrir des modes alternatifs de règlement des litiges et de veiller à la bonne administration et au bon déroulement des procédures d’arbitrage international et de médiation régies par les Règles de la CCI Le contrôle des procédures d’arbitrage, y compris bien l’examen préalable des projets de sentences arbitrales, se fait en toute transparence par des experts venant de chaque pays dans le monde, dans le strict respect de la confidentialité des procédures.
“Avoir une Comité national tunisien auprès de la CCI est une chance que les Tunisiens négligent”
Les acteurs de l’économie et du monde des affaires d’un pays donné sont invités à constituer ou à établir un « Comité national » auprès de la CCI. Le Comité participe à l’élaboration des règles du commerce international et l’observation des bonnes pratiques commerciales. Il peut aussi refléter les besoins et aussi les faiblesses des différents secteurs économiques qu’il doit représenter en toute transparence et loyauté et qu’il doit aussi tenir au diapason des progrès et évolutions du monde du commerce international. En outre, il est la voix de sa communauté d’affaires à travers et auprès de la CCI.
Depuis 2018, la Tunisie n’a plus de Comité national auprès de la CCI. “La Tunisie n’a plus de représentation au sein de la Chambre de commerce internationale, c’est une grande défaillance et une grosse chance perdue pour notre économie. J’invite les chefs d’entreprise tunisiens à constituer une représentation auprès de la CCI. Les procédures pour ce faire sont clairement décrites dans les statuts de la CCI. Les membres du Comité auront, entre autres, la noble mission de promouvoir l’économie tunisienne et de former ses acteurs aux bonnes pratiques commerciales internationales. Je souhaite vivement que le monde des affaires tunisiens sera bientôt représenté par un groupe de dirigeants actifs et dynamiques”, indique Mme. Belaïd.
Un tel effort devra contribuer à harmoniser le monde des affaires tunisien et à enrichir les échanges en interne et aussi à l’international, et aussi « à former les jeunes entrepreneurs tunisiens, à les encourager à briller en Tunisie et ailleurs et à stimuler nos compétences”.