L’IACE a rassemblé plusieurs intervenants pour débattre des causes et des conséquences de la pénurie de semi-conducteurs.
Sous la modération d’Ibrahim Debbache, Mehdi Mahjoub, Rémi Bourgeot, Ahmed Azzabi et Kamel Besbes débattent d’un sujet d’actualité touchant tous les secteurs de l’industrie au consommateur, à savoir la pénurie de semi-conducteurs. Les causes de la pénurie ont été l’objet de la première partie du débat. Compte rendu.
Rémi Bourgeot : “Les géants de la technologie ont délégué la question de la production”
Rémi Bourgeot, économiste et chercheur à l’IRIS, décrit l’énorme écart qui existe entre l’Asie, très avancée par rapport au reste du monde : “Il y a différents niveaux de sophistication des semi-conducteurs. L’Asie connaît une avancée très forte. La Chine investit des montants faramineux dans le développement. Taiwan et la Corée ont une avancée énorme par rapport aux autres pays en technologie de pointe. La question de la production est essentielle. Même pour Intel, ils ont eu tendance à se focaliser sur la conception plutôt que sur la production. Les géants de la technologie, comme Apple, ont délégué la question de la production. C’est là que Taiwan et la Corée sont devenus des géants, avec TSMC pour Taiwan et Samsung en Corée.”
Il poursuit : “L’Europe a de forts atouts pour sa spécialisation en automobile, mais elle est en retard dans la course à la miniaturisation. L’Europe est sur des échelles plus grandes. Les questions de miniaturisation n’est pas au même ordre entre l’automobile et l’électronique pour les grands consommateurs, comme les ordinateurs. Plus la puce est petite, moins elle consomme d’électricité. Les USA ont incité TSMC et Samsung à ouvrir des filiales aux Etats-Unis. Thierry Breton a fait un plan de 145 milliards d’euros pour 2030 pour les puces électroniques en Europe. Ce plan a été reçu avec tiédeur par certains industriels européens, comme STMicroelectronics, et plus d’intérêt en Allemagne et de la part d’Intel.”
Kamel Besbes : “Pour passer du matériau brut au composant, il faut 200 opérations technologiques et 4 mois pour avoir le produit final”
Kamel Besbes, directeur général du centre de recherche en micro-électronique et nanotechnologie, met l’accent sur l’aspect technique de la fabrication : “Pour comprendre, il faut décomposer la fabrication d’un semi-conducteur. On commence par la fabrication de la matière première, comme le silicium. Parmi ces matériaux, il y a des semi-conducteurs polymères, moins chers que le silicium. Pour passer du matériau brut au composant, il faut 200 opérations technologiques et 4 mois pour avoir le produit final. Sur le plan de la fabrication du circuit, des travaux de recherche sont effectués, notamment sur les boîtiers 3D. D’autres travaux ont été effectués pour rendre les écrans plus solides. C’est là où interviennent les semi-conducteurs. L’arrivée de la 5G, la transformation digitale et la transformation énergétique sont des grands consommateurs de capteurs et de circuits électroniques. On différencie les entreprises ayant tous les éléments de la chaîne verticale, de la conception à l’application, comme Intel et Texas Instruments, de ceux qui ont uniquement la conception ou l’application.”
Il insiste encore sur la souveraineté de l’Asie : “L’Europe et les Etats-Unis avaient une grande souveraineté dans la fabrication des puces électroniques. Actuellement, ils ne sont qu’à 9 % de la fabrication dans une structure verticale, par rapport à 40% auparavant. Il y a un effort en europe et aux Etats-Unis pour rapatrier la production. Le 29 juin, le président Macron a reçu le PDG d’Intel pour discuter de l’installation de nouvelles usines en Europe.”
Ahmed Azzabi : “Plus la gravure est petite, plus la puce est performante, et moins elle consomme d’énergie”
Ahmed Azzabi, fondateur de Digitalize, rappelle certains exemples simples : “Nous avons déjà eu une pénurie de semi-conducteurs il y a 10 ans, après la crise de 2008. Il y a eu une chute énorme de la demande à cette période-là. Il y a un seul constructeur qui domine le marché : TSMC. Il est le seul fabricant au monde à faire des puces gravées en 5 nm. Il passera aux puces de 3 nm en 2022. Plus la gravure est petite, plus la puce est performante, et moins elle consomme d’énergie. Moins d’énergie signifie une batterie qui dure plus longtemps, comme les smartphones.”
Il évoque les principaux acteurs à l’échelle mondiale : “TSMC a un monopole mondial sur les puces très performantes. Le deuxième acteur est ASML, une compagnie néerlandaise détenant le monopole mondial de fabrication des machines photolitographiques à lumière ultraviolette extrême. Ils fabriquent 50 machines par an de 180 t chacune. Elles sont très onéreuses : 200 millions d’euros par machine. Ces machines sont utilisées pour faire les gravures. ASML se retrouve aujourd’hui à vendre ses machines au plus offrant, compte tenu de l’explosion de la demande. Nikon et Canon font aussi ces machines, mais ne font pas de l’ultraviolet extrême pour les puces les plus petites.”
Et de préciser : “Les principales causes de la pénurie sont la COVID-19, à l’origine de l’arrêt de plusieurs fonderies sont d’abord une grande sécheresse à Taiwan. Car, il faut 156 000 t d’eau par jour pour refroidir les machines, ils sont obligés de se faire livrer de l’eau, ils ont baissé la production pour éviter la surchauffe). Ensuite, vient l’importante augmentation de la demande de produits électroniques. Le secteur automobile est touché car une voiture utilise de 1000 à 1400 puces par voiture, divisées en trois parties : émission, sécurité et confort. Il y a eu une baisse de la demande de véhicules début 2020, qui a repris au quatrième trimestre 2020. La stabilité de la demande de voitures au fil du temps a mis en place la stratégie du “juste à temps”, en passant les commandes à l’avance et en recevant les puces à l’usine juste au moment où ils vont construire la voiture. avec la crise COVID, toute cette organisation s’est effondrée.”
Mehdi Mahjoub : “La pandémie a redistribué les cartes.”
Mehdi Mahjoub, Directeur Général de Alpha Hyundai Tunisie, synthétise les enjeux du débat : “La pénurie est une résultante de plusieurs facteurs, qui se sont aggravés en même temps. Une usine de semi-conducteurs au Japon a pris feu. La sécheresse à Taiwan a fait tourner le plus grand producteur de puces au ralenti. Cette explosion de la demande des consommateurs est incomparable avec la demande d’il y a 10 ans. La pandémie a redistribué les cartes. L’industrie automobile a connu un arrêt de 3 à 4 mois suite à la crise. Les fabricants de semi-conducteurs ont donné la priorité aux fabricants de smartphones, d’ordinateurs et de télévision. Maintenant, il y a plus de demandes pour rester chez soi pour faire du télétravail. Les fabricants de semi-conducteurs se sont concentrés sur la nouvelle demande. Quand l’industrie automobile a voulu reprendre son activité, les commandes étaient déjà remplies chez les fabricants.”
Et d’ajouter pour ce qui est des nouveaux besoins: “La demande a augmenté avec les voitures électriques, consommant six fois plus de semi-conducteurs que la voiture thermique. Avec l’intérêt pour les voitures électriques, la demande s’est renforcée. Les normes en Europe exigent d’avoir certains éléments pour commercialiser les véhicules. Les usines ont été obligées de fermer les lignes de production car non conformes à la norme du fait de la pénurie.”