Tout de suite, un souffle d’optimisme : « Nous constatons que la solidité financière de toutes les banques et des établissements financiers s’est largement renforcée ; tout, au cours des dernières années, montre qu’ils sont résilients et ont donc l’assise financière qui leur permet d’appliquer aisément les normes IFRS sans menaces sur nos états financiers et nos résultats », atteste Mohamed Agrebi, président de l’APTBEF.
Selon lui, si les difficultés en matière d’application des normes IFRS sont réelles, toutes les banques ont ‘bien travaillé’ en 2020 pour se préparer à cette étape cruciale, en droite ligne de l’application de la bonne gouvernance telle que dictée par la BCT dans sa Circulaire 2020-01, en mettant en place des comités de pilotage, des feuilles de route qui permettent à chaque banque d’avancer conformément à l’échéance fixée, en recourant pour certaines à des cabinets spécialisés et des experts. Mohamed Agrebi s’est appuyé sur les Stress Tests auxquels nos institutions financières ont dû se plier pour évaluer leur capacité à faire face à ce défi majeur avant de conclure : « Au vu de tout cela, je considère que nous avons toutes les chances de mettre en place les normes IFRS et de les appliquer dans le délai fixé. »
« Nous sommes capables d’implémenter les IFRS en 2021 »
Mais que sont donc ces normes IFRS (International Financial Reporting Standards) pour susciter un tel branle-bas de combat en Tunisie ? Tout simplement des normes qui instaurent un système comptable uniforme entre les différents pays du monde pour faciliter la comparabilité, permettre la compréhension et l’analyse, faciliter la concurrence, garantir un langage comptable commun accessible à tous.
On saisit tout de suite l’ambition et la complexité du sujet ; ce n’est pas une mince affaire. Ahmed Elkaram, président du directoire de l’Amen Bank, le décrypte dans son style inimitable : « Il y a deux années jour pour jour, nous avions organisé le même séminaire. À l’époque, le ministère des Finances, qui pilote le conseil de la comptabilité, avait invité les banques à installer les normes IFRS à partir des comptes de l’exercice 2021 avec le soutien de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) qui était très intéressée par cette évolution et avait mobilisé des capitaux pour appuyer les actions des banques en la matière. Nous avions créé à l’APTBEF une sorte d’institut de formation dédié aux IFRS où une centaine de cadres avaient été formés. »
Ahmed El Karam lance un ultimatum : « La Tunisie ne peut pas poursuivre avec les normes comptables anciennes totalement révolues, elle doit rejoindre impérativement et rapidement la cohorte des nations qui ont adopté les IFRS. Je suis convaincu que nous sommes capables d’atteindre cet objectif en 2021, nous nous y accrochons… et je vais vous dire pourquoi. »
Il balaie d’un geste les voix qui s’élèvent pour dire que la Tunisie est en train de subir les effets de la Covid et que, peut-être, les banques ne sauraient être en mesure de gérer les séquelles de la pandémie sur elles-mêmes et sur leurs clientèles et, en même temps, se lancer dans les mutations profondes impliquées par les IFRS, alors qu’il est loin de s’agir d’un simple système comptable. Nous sommes plutôt devant un changement radical de modèle touchant plusieurs départements des banques, des risques à la comptabilité et aux finances, en passant par les ressources humaines…
« Personnellement, je considère que ceux qui appellent au report de la date de 2021 ont tort car ils oublient que la Covid est en train de ‘rouler’ pour les IFRS car elle a produit une nouvelle manière de gérer les risques et de les couvrir. Vous savez que l’une des conséquences de la Covid est la très forte augmentation de la provision collective… Or, qu’est-ce que la provision collective ? », s’interroge-t-il.
La réponse est limpide : Dans la logique des IFRS, les provisions collectives s’appliquent à l’ensemble des crédits, même ceux qui ne sont pas dépréciés individuellement. Et ce que vont permettre les IFRS c’est de donner les grands principes de segmentation et d’appréciation ; mais, attention, chaque banque assume le fait de définir opérationnellement ce que l’on pourrait assimiler à une dégradation significative et de calculer les provisions à maturité. N’ayons pas peur des mots : les IFRS s’annoncent comme une véritable révolution qui aura immanquablement un impact sur le bilan des banques et des autres institutions financières, surtout en termes de comptabilisation des provisions !
« Les banques sont prêtes aux IFRS »
En d’autres termes, ces normes s’annoncent comme une véritable révolution et aura un impact certain sur le bilan des institutions financières, notamment en termes de comptabilisation des provisions : « Nous partons d’un système où les risques constatés vont provisionner les risques attendus. Ce risque provisionnel qui est calculé sur des modèles de suivi de risques et de calcul de pertes, nous en retrouvons l’écho dans la Covid qui nous a menés à ce que les créances classées soient provisionnées d’une manière très importante. Toutes les banques ont déjà assis leur système de gestion des opérations principales de versement sur le principe des risques et leurs départements de risque sont très bien outillés avec des instruments de plus en plus modernes. »
Une gestion dynamique des risques où les banques sont en partenariat avec la BCT qui n’a pas lésiné sur les Stress Test en partant sur des hypothèses très pessimistes et parfois même faisant état de chutes brutales et, malgré cela, la plupart des banques ont réussi à surmonter les tests et se sont montrées suffisamment viables pour faire face aux conséquences de la Covid. Ce qui fait dire à Ahmed El Karam que, du point de vue de la solidité financière, les banques sont déjà prêtes aux IFRS et que les chiffres montrent que les conséquences sur les fonds propres ont été largement en deçà de ce que prévoyaient les experts.
D’autres raisons poussent notre interlocuteur à penser que nous devons continuer à nous accrocher à nous attacher à l’année 2021 pour l’implémentation des IFRS :
– Le mauvais rating de la Tunisie (B3) qui se répercute sur celle des banques et sape la confiance des partenaires
– Les contingences particulières d’ordre politique
– Les acteurs qui ne peuvent pas suivre (fiscalité, système institutionnel, réglementation) …
« Si nous ajoutons à cela les décisions des comités bancaires, nous allons reporter l’application des IFRS de 2021 à 2022… Vous imaginez les dégâts ! Nous avons besoin d’envoyer des messages positifs, sécurisants, disant que bien que nous soyons dans une situation économique difficile, les banques tunisiennes sont solides et qu’elles s’intègrent dans le giron international, pratiquent les meilleures règles de contrôle prudentiel, et adoptent les régulations modernes et internationales… Ne ratons pas cette occasion », appelle Elkaram.
Rappelons que de nombreuses personnalités de premier plan dans le monde économique ont animé le séminaire ; Geert MASSA, DC de Fernbach Software ; Abderrazek Guebsi, membre du Conseil National de la Comptabilité ; Maher Gaïda, vice-président de l’Ordre des experts-comptables ; Nabil Felfel, DG de la supervision bancaire à la BCT ; Hichem Zghal, DG de Tunisie leasing & Factoring ; Moufida Hamza, responsable Pôle Finance UIB ; Robert Hall, Consultant Senior et expert IFRS ; Salah Riahi, membre de l’Ordre des experts-comptables.