Emna Kallel nous entraîne dans une « passion réfléchie » faite d’élans et de raisonnements purs, pour défendre la cause genre : d’une part, elle critique la présence trop faible des femmes dans les Boards ; mais, d’autre part, elle appelle ses congénères à être plus combatives, qu’elles revendiquent l’accès aux responsabilités. Dans la foulée, elle nous dévoile quatre « secrets » de l’état d’administrateur.
C’est dans les organes de gouvernance qu’évolue Emna Kallel pendant un quart de siècle. Le regard direct, le sourire franc, la coiffure disciplinée… Mais, aussitôt qu’elle prend la parole, l’image s’estompe pour faire place à un intellect qui vous entraîne dans le flux d’un rassemblement de connaissances, non pas accumulées, mais plutôt digérées et chapitrées au cours des années.
Vous voici sous le charme d’une narration qui vous livre les « secrets » hautement convoités du mystère de la gestion des grandes entreprises.
“Intellectuellement parlant, l’offre m’intéressait !”
« J’étais administratrice dans une société industrielle cotée en Bourse depuis des années. J’ai évolué dans cette fonction au fil des années et, quand j’ai quitté Axis, j’ai eu des demandes de quelques entreprises pour intégrer leur Board pour des raisons d’expertise et d’expérience. Intellectuellement parlant, l’offre m’intéressait… », nous confie-t-elle. Premier « secret » ; il faut détenir une certaine expertise pour prétendre siéger dans le saint des saints. Seulement, cela ne suffit pas. Second « secret » ; quand vous travaillez dans le milieu de l’entreprise pendant plus de 25 ans, vous connaissez très bien son fonctionnement, l’état d’esprit des managers, des actionnaires, le milieu des entreprises familiales, leur gouvernance.
Après Axis, elle rejoint le Board puis le comité d’audit d’une institution de microfinance (Advans Tunisie). « Un an après, j’ai intégré le conseil de l’UIB et ensuite celui de Poulina (PGH), une année plus tard. Globalement, je dirais que j’ai 4 gros mandats : une entreprise familiale, deux institutions financières, et un grand groupe industriel », résume-t-elle. Mais comment parvient-elle à gérer tout cela ? Troisième «secret» : beaucoup de planification et d’organisation, en s’assurant que les 4 mandats soient étalés dans le temps. Concrètement, elle appelle les membres du CA et des comités à établir leur calendrier pour l’année qui s’annonce et s’assure alors qu’il n’y ait pas de chevauchements. Après ce premier déblayage, elle s’organise pour composer entre les priorités.
Du mérite des dames…
Emna Kallel défend la thèse que les femmes contribuent radicalement à la qualité des Conseils d’administration où elles siègent. Elles savent que, dans les pays développés, c’est un passage obligé dans les processus de succession et elles sont conscientes que le CA est un lieu privilégié qui allie le stratégique à l’opérationnel pour avoir une vue d’ensemble du fonctionnement de l’entreprise. Pourtant, il y a très peu d’administratrices, en Tunisie comme ailleurs. Moins de 8% au sein des sociétés cotées ; et on ne parle même pas d’administratrice indépendante (extérieure à l’entreprise et à l’actionnariat). « Les femmes doivent se projeter et se battre pour rejoindre les Conseils d’administration pour que les choses changent.
La femme doit être plus combative, qu’elle revendique l’accès aux responsabilités, surtout quand il s’agit d’entreprises familiales. Tout le monde sait que lorsqu’on trouve une femme dans un poste de responsabilité, c’est qu’elle l’a vraiment mérité, et cela pèse plus lourd que l’argument genre. Nous devons également recourir à ce qu’ont fait beaucoup de pays avant nous ; des lois qui imposent la mixité au sein des Conseils d’administration. Cette adoption de quotas permettra d’apporter un certain équilibre dans le paysage du top management, exactement comme ce fut le cas en France où ils n’ont dépassé les 7% à 8% d’il y a 10 ans qu’après l’adoption de la loi des quotas », conseille notre interlocutrice.
L’administrateur, cet inconnu !
« Être administrateur, c’est un métier. Beaucoup de gens pensent que faire partie d’un Conseil d’administration consiste à sympathiser autour d’un café, faire tranquillement du réseautage, signer les papiers sans distinction… En un mot, ils n’ont aucune idée de la teneur de la mission d’un administrateur, ni de sa responsabilité.», avertit-elle. Une invitation à ne pas prendre à la légère une fonction responsable de la définition, et de la supervision de la stratégie de l’entreprise, en plus du contrôle de l’organe exécutif et des volets financier, com et RH.
C’est du fait de cette conscience que Emna Kallel a participé à la formation certifiante pour les administratrices et les administrateurs organisée par l’Institut Tunisien des Administrateurs en partenariat avec IAE Sorbonne. Une première cohorte a déjà été formée. Et voici le quatrième « secret » : l’administrateur doit considérer la première année comme un investissement de soi. Il doit s’assurer d’avoir une très bonne connaissance de l’entreprise, prendre le temps de s’assurer que cette connaissance soit menée dans les règles. «Il lui faut comprendre qu’il y a ce qui est apparent et ce qui est moins manifeste, et cela on l’identifie au fil du temps.
La documentation, le contact avec les principaux top Managers, la connaissance du tour de table (les autres administrateurs). Il y a également les rendez-vous annuels du Conseil et ceux-ci doivent être préparés correctement (le contenu, les décisions à prendre, tout ce qui a un impact sur l’avenir de l’entreprise et des gens) et il doit aussi accorder de l’attention aux Comités car c’est là que se trouvent les détails», souligne-t-elle.
Une prédilection pour le stratégique
« Si vous ne travaillez pas pour vos rêves, quelqu’un vous embauchera pour travailler pour les siens », dit Steve Jobs. C’est la citation favorite d’Emna Kallel qui l’a prouvé en fondant « Coaching&Capital », son entreprise spécialisée dans le conseil en finance : « Mon métier au quotidien c’est d’accompagner les entrepreneurs dans des opérations de levée de fonds. En vérité, je commence le travail en amont : de l’accompagnement stratégique bien avant le process financier.
Mon dernier accompagnement, qui est public et sur lequel je peux donc communiquer, c’est « Gourmandise » qui a donné lieu à une opération financière. J’ai d’autres opérations plus confidentielles. Et puis, ma seconde activité qui était un choix au départ, est revenue sur la table car il y a une demande : des mandats dans le domaine de la gouvernance. » Il en a toujours été ainsi de ce foisonnement pour Emna Kallel.
Ayant démarré chez Fitch Ratings pendant 8 ans, elle a ensuite intégré un cabinet d’avocats d’affaires qui l’a introduite au monde de la transaction, de l’accompagnement, des missions auprès de structures institutionnelles (avec le CMF pour les orientations stratégiques du marché financier, par exemple). Un autre cycle de 8 ans commence quand elle intègre Axis en tant que directeur exécutif. Un autre motif de fierté : « Pendant ce parcours, j’ai eu une parenthèse d’un peu moins d’une année pour intégrer le cabinet de Jalloul Ayed, ministre des Finances au premier gouvernement après la révolution. C’est là que j’ai travaillé sur la réforme de la microfinance où j’ai piloté la nouvelle réglementation. »