Pour les intervenants d’un webinaire organisé par l’IT Business school, point de solution aux finances du pays, sans avoir au préalable résolu la crise politique. Les problèmes financiers n’étant que la conséquence d’une vie politique bloquée par les dysfonctionnements qu’elle traverse depuis des années.
En cause notamment la constitution et l’Assemblée des Représentants du Peuple. Comme l’absence de culture politique et de confiance. D’où la nécessité d’opérer des changements profonds.
La thématique choisie ne pouvait qu’en dire long sur les discussions auxquelles a donné lieu le webinaire : « De la faillite politique à la faillite financière ». Organisé par l’IT Business School (une université privée installée à Nabeul), le 19 mars 2021, le webinaire avait de quoi séduire outre évidemment son thème : la présence de personnalités de premier plan : Hédi Larbi, universitaire et ancien cadre de la Banque mondiale et ancien ministre de l’Équipement, Abderrazek Zouari, universitaire et ancien ministre du Développement régional, Lobna Jeribi, présidente du Think Tank Solidar et ancienne ministre des Grands projets et modéré par Jihad Majdoub et Aram Belhadj, universitaires.
Près d’une heure et quarante-cinq minutes qui ont tout de suite mis tout le monde d’accord, comme on pouvait s’y attendre, sur le fait que pour venir au secours des finances des pays, il faut d’abord s’occuper du terrain politique qui est à l’origine de toutes les défaillances constatées. Celles-ci étant bel et bien la conséquence des problèmes politiques traversés par la Tunisie. Constitution et Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), voici par qui le mal arrive pour l’essentiel. Pour Hédi Larbi, des cinq institutions créées par la constitution et qui sont au cœur de l’édifice démocratique, pratiquement une seule a pu plus ou moins fonctionner: l’Instance Supérieure Indépendante des Élections (ISIE).
Un système politique dysfonctionnel
Et dix pour cent seulement des lois votées en 2018-2019 concernent la vie économique. Ce qui ne peut qu’être bien insuffisant. Insuffisant également le nombre des lois votées (360) alors que la vie parlementaire dans d’autres pays permet de faire voter le double, voire plus. Le système politique est, en plus, dysfonctionnel. Il est caractérisé par des crises entre les deux têtes de l’exécutif (président de la République et chef du gouvernement) et entre les tenants du pouvoir exécutif et le parlement.
Les tenants du pouvoir exécutif n’ont pas, de plus, réellement de projets pour la conduite du pays. Le terrain politique se distingue, dans cet ordre d’idées, par un déséquilibre frappant. D’une élection à une autre, on fait le même et unique constat: d’un côté, un mouvement fort et bien structuré (Ennahdha) et de l’autre, une multitude de mouvements qui ont atomisé la vie politique. Quid du pouvoir judiciaire ? Il est engagé, quant à lui, et pour ainsi dire, dans une lecture qui est un autre signe de blocage. Une volonté d’indépendance totale alors que le pouvoir judiciaire ne peut que revendiquer une indépendance au niveau des jugements qu’il rend. Mais, il n’y a pas que cela. Pour l’ancien ministre du gouvernement de Mehdi Jomaa, le terrain politique souffre d’une absence de leadership.
Le seul qui pouvait revendiquer un leadership, c’est sans doute l’ancien président Béji Caïd Essebsi, assure-t-il. Mais ce dernier a vite décidé d’établir une entente avec Ennahdha. Et dans ce cadre, Hédi Larbi estime que le jeu politique veut que le parti qui gagne les élections soit celui qui conduit le gouvernement. Cela n’a pas été cependant le cas pour l’essentiel des chefs de gouvernement qui se sont succédé à La Kasbah depuis 2011.
Crise de confiance
Inutile de préciser, en outre, que lorsqu’il y a défaillance au niveau de la culture politique, il y a là un élément supplémentaire qui n’arrange pas le vécu démocratique du pays. Et comment voulez-vous, dans ce cas, que des investisseurs ou que le simple citoyen aient confiance ? Côté confiance, nous ne sommes pas, là aussi, selon Hédi Larbi, sorti de l’auberge. La confiance semble être primordiale aujourd’hui pour renverser la vapeur. L’idée est exprimée notamment par Lobna Jeribi qui estime que des succès aussi minimes soient-ils dans comme des projets et des modèles dans les régions qui souffrent de nombre de maux peuvent revigorer les énergies.
La présidente du Think Tank Solidar cite le déficit de confiance parmi les risques encourus par le pays, à côté de l’incapacité de réformer, de l’iniquité d’accès aux services publics et du déficit de la participation. Et l’ancienne ministre de plaider pour l’activation des leviers comme la coopération, la coordination, le renforcement des capacités, une meilleure organisation, une réelle transparence,… Autant de facteurs capables de donner vie aux projets qui n’ont pas été notamment décaissés et de dépasser d’une manière générale les blocages que l’on vit ici et là et qui ont besoin d’une réelle mise en œuvre.
Abderrazek Zouari a mis en évidence, également, et chiffres à l’appui, les risques financiers pour le pays. À commencer au niveau du bouclage du budget pour l’année en cours. De toute manière, le schéma est non pas plus clair, a-t-il rappelé. Le déficit est de 18 milliards de dinars avec une dette qui se creuse d’années en années. L’ancien ministre du développement régional du gouvernement de Béji Caïd Essebsi qui a précédé les élections de la constituante en 2011, regrette que le débat se porte beaucoup sur le budget et sur la loi des finances et pas assez sur la croissance et ses déterminants. Un discours de type comptable qui ne prend pas en compte la nécessité des réformes d’autant plus que la vie économique obéit aux mêmes règles de fonctionnement depuis 1970.
En ajoutant que le coût de l’emprunt est bien supérieur à la croissance économique. Ajoutez à cela une instabilité politique que tout le monde observe. Et cette remarque d’Abderrazek Zouari : « On évoque une thématique économique avec un ministre que l’on poursuit les mois suivants avec son successeur » ! Une instabilité qui pèse de tout son poids sur les finances du pays. La Tunisie fait partie, à ce niveau, des 43% des pays dont la transition est bloquée, assure Hédi Larbi ; 37% des pays qui ont vécu une transition ont réussi et 15% ont échoué.
« Appropriation des décisions prises »
Mais que faire maintenant que le diagnostic est bien rappelé ? Il faut aller au plus vite pour réformer le politique. Beaucoup de choses se doivent d’être revues et corrigées, selon les intervenants du webinaire. Tous sont unanimes pour appeler au dialogue. Un dialogue qui ne doit exclure personne. Parce que l’«appropriation des décisions prises» par l’ensemble de la communauté nationale est on ne peut plus nécessaire, selon Lobna Jeribi. Et l’ancienne ministre des Grands projets dans le gouvernement d’Elyes Fakhfakh de rappeler le sursaut et la dynamique observés lorsque la Tunisie a connu la première vague de la crise sanitaire du coronavirus.
Et d’estimer, sur la base d’une étude réalisée par Solidar, que le pays peut compter sur l’importance de la valeur travail qui fait partie des valeurs auxquelles croit le Tunisien. Un discours qui peut paraître étonnant. N’assure-t-on pas que le Tunisien ne fait pas bon ménage avec le travail ? Certes, mais cette valeur travail est « inhibée ». Elle peut être réveillée si des facteurs lui permettent de relever la tête en quelque sorte. Iniquité, défaillance des services publics comme le transport en commun, faible rémunération,… le mal est ailleurs.
Il faudra que le Tunisien change, estime Abderrazek Zouari. Il lui faut prendre conscience de la nécessité d’épouser de nouveaux comportements et d’attitudes. Et l’universitaire de rappeler que le changement comporte outre la volonté, un nécessaire contenu, une efficacité dans l’action et une mesure des résultats. Toujours au niveau des changements à opérer, Abderrazek Zouari pense que ces derniers doivent concerner tous les pans de la société. Les gouvernants évidemment qui doivent agir pour faire évoluer les institutions et les règles du jeu du marché. Mais aussi le patronat qui n’a pas assez pris le pli des avancées technologiques. Les ouvriers qui doivent penser davantage à assumer leur travail.
Prendre en charge son destin
Toujours concernant ces changements, Abderrazek Zouari n’a pas manqué d’évoquer l’électeur qui est au centre de toutes les mutations de la société tunisienne. Son vote ne doit pas intégrer des facteurs financiers, régionaux, idéologiques ou autres, mais basé uniquement sur l’intérêt général. Et l’universitaire d’évoquer, dans ce contexte, les risques nouveaux pour la stabilité de la société tunisienne et sa cohésion, comme la destruction de la société. Un webinaire au cours duquel Hédi Larbi a averti qu’il est le moment pour que chacun ne pense plus comme avant, notamment à tirer la couverture à lui, d’où tout l’intérêt pour que le dialogue soit lancé sur des bases nouvelles.
Il se doit d’être, d’abord, bien préparé afin qu’il embrasse les questions essentielles. Il se doit, ensuite, d’être facilité par des parties indépendantes. Et non pas comme ce fut le cas en 2013. Pour Hédi Larbi, le dialogue de 2013 a été l’expression des intérêts des parties en présence. L’expression d’un corporatisme qui ne veut pas toujours que tout change. On ne peut pas, souligne-t-il, « se faire avoir deux fois de suite ». La population se doit pour ce faire ne pas démissionner et, donc, prendre en charge son destin en affirmant que «cela ne peut pas continuer».