30% de moins en matière d’IDE, mais Abdelbasset Ghanmi n’est pas homme à lâcher prise. FIPA-TUNISIA (Agence de Promotion de l’Investissement Extérieur) ne s’en sort pas du reste mal. Convaincue que des opportunités existent bel et bien dans un environnement mutant, la Tunisie entend dompter, grâce à de nombreux atouts, une attractivité certaine et une gestion rigoureuse et agressive.
FIPA a changé de branding, devons-nous comprendre qu’il y a une nouvelle orientation de FIPA ?
FIPA-Tunisia a, comme vous le savez, trois missions : la promotion de l’image du pays, l’attraction des investissements étrangers et l’assistance aux entreprises étrangères installées en Tunisie. Depuis 2017, nous avons décidé de revoir notre stratégie en nous inspirant de ce qui se fait de mieux à l’international. Nous avons, dans ce cadre, décidé de concentrer nos efforts sur le contact direct, qui auparavant ne constituait qu’une partie de nos actions promotionnelles. D’où la réaffectation des budgets notamment au niveau des activités de nos cinq bureaux situés à l’étranger en les invitant à agir dans le sens voulu tout en axant les efforts en temps et en argent sur le démarchage, pour les secteurs et les pays où la Tunisie dispose d’avantages réels. Cela est une réalité depuis 2018. Au niveau du siège, nous avons adopté la même démarche avec l’aide de la Banque Mondiale à travers la Société Financière Internationale (IFC) et avec un programme d’appui pour 2017-2018. Ce qui nous a permis de mener trois missions de contact direct avec de grands groupes étrangers dans des pays non traditionnels (Canada, Japon et Chine).
Ces opérations, ont-elles abouti à des résultats?
Absolument. Il s’agit d’une trentaine de contacts pour des secteurs bien ciblés qui ont abouti à la réalisation de trois projets importants. L’un d’entre eux nous a permis d’obtenir le prix de l’AIM (Annual Investment Meeting) qui s’est tenu à distance, à Dubaï, en octobre 2020. FIPA a été, en fait, considérée comme une des meilleures agences de la région MENA (Afrique du Nord et Moyen-Orient). Ce projet concerne les composants automobiles pour un investissement de plus de 21 millions d’euros (environ 69 millions de dinars) avec 5000 emplois à terme. La construction de l’usine est à un stade avancé au Neopark de Monastir. L’entrée en activité est prévue pour le mois de mars 2021 avec 2000 emplois au niveau du démarrage du projet.
Avez-vous priorisé certains secteurs ?
Nous avons mené une étude pour identifier les secteurs cibles. Il y a quatre secteurs : les composants automobiles, le secteur aéronautique, le secteur numérique et l’industrie agroalimentaire. Après l’apparition de la pandémie, nous avons inclus à nos secteurs cibles ceux des industries pharmaceutiques et du textile technique. Les experts ont averti que les investissements étrangers allaient connaître une baisse significative allant de 30 à 50%. Ce qui se confirme d’ailleurs actuellement. Nous sommes jusqu’à novembre 2020 à moins 30%. Nous avons de ce fait mis en place une cellule de crise, avec pour priorité d’accompagner les entreprises étrangères en vue de leur permettre de continuer à assurer leurs activités.
En quoi a consisté cet accompagnement ?
D’abord, nous avons maintenu des rapports étroits avec les entreprises étrangères implantées en Tunisie. Et ce, pour leur permettre de respecter leurs engagements à tous les niveaux. Comme vous le savez, FIPA-Tunisia a continué à accompagner les entreprises étrangères après leur installation au niveau des déblocages concernant les relations avec l’administration ou pour les extensions. Ces dernières représentent plus de 90% des IDE. Nous avons dû aussi réviser les priorités sectorielles. Des entreprises ont été certes largement impactées, comme dans les composants automobiles et l’aéronautique.
Avez-vous alors essayé de prospecter dans ces secteurs ?
Je voudrais ajouter que nous avons digitalisé nous-mêmes nos activités. La pandémie y est évidemment pour quelque chose. Un autre axe consiste à intensifier les contacts pour nous positionner comme un site attractif. À ce propos, la pandémie est de nature à encourager des transferts d’entreprises sur notre sol à partir de régions éloignées. Nous venons, dans ce cadre, de lancer des projets plus ciblés à destination de la France, de l’Italie et de l’Allemagne pour identifier précisément les entreprises qui peuvent assurer ce transfert de leurs activités ou d’une partie de celles-ci d’Asie vers la zone méditerranéenne. Nous venons de lancer une campagne de communication digitale. Car, en période de crise, il faut communiquer et rassurer à partir de nos bureaux à l’étranger. Nous sommes en train de renouveler, par ailleurs, grâce à notre coopération avec la Banque Mondiale afin de toucher d’autres régions que nous ciblons comme l’Amérique du Nord et l’Asie du Sud-Est.
Et pour le continent africain ?
Pour ce qui est du continent africain, nous travaillons principalement avec des entreprises européennes, asiatiques et nord-américaines qui souhaitent commercer avec l’Afrique en utilisant la Tunisie comme plateforme. Nous travaillons à renforcer et à capitaliser notre présence en Afrique d’autant plus qu’il y a des opportunités avec la Zone de libre-échange continentale africaine et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe. La Tunisie a également un statut d’observateur au niveau de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest. Nous essayons donc de faire jouer nos atouts comme la proximité géographique qui permet l’accès à des marchés des pays du Maghreb et du Moyen-Orient, de l’Europe et de l’Afrique.
Encore faut-il apporter des améliorations au prérequis de l’investissement comme les infrastructures ?
Les infrastructures sont importantes et nous sommes conscients de cette réalité. Il faut dire qu’il y a des améliorations apportées et une volonté d’aller de l’avant comme le port en eaux profondes d’Enfidha, l’extension du port de Radès, les zones industrielles, les zones de logistique,… qui ne peuvent qu’assurer une plus grande attractivité. En plus du réservoir tunisien en matière de ressources humaines hautement qualifiées et à des coûts compétitifs. Nous utilisons, à ce niveau, l’outil du fDi Benchmark du Financial Times, qui évalue la compétitivité relative des pays et des villes du monde entier dans plus de 65 secteurs, pour mieux nous positionner. Et je peux vous dire que nous sommes assez compétitifs. Parallèlement à cela, nous renforçons nos outils promotionnels. Nous avons révisé notre identité visuelle et mis l’accent sur cette attractivité et sur les contacts directs dont je viens d’évoquer.
Qu’en est-il de la conquête au niveau des délocalisations ?
Jusqu’à octobre 2020, il y a réalisation de plus de 400 opérations d’investissements. Je peux vous assurer également que nous avons des contacts qui pourraient aboutir et que nous annoncerons lorsqu’ils aboutiront à des concrétisations. Nous recourons, dans ce cadre, à des cabinets qui nous aident à mieux identifier des investisseurs potentiels dans des secteurs à forte valeur ajoutée et à forte employabilité.
Qu’en est-il pour le marché britannique avec les changements intervenus avec le Brexit ?
Tout à fait. Notre bureau à Londres y travaille. Nous voulons capitaliser sur des réussites. Celui de plus de 90 entreprises britanniques installées en Tunisie et qui sont très actives. Et ce, dans plusieurs secteurs. Notons également que les relations Tuniso-britanniques n’ont cessé de se développer ces dernières années comme en témoigne l’évolution positive des échanges commerciaux bilatéraux entre les deux pays estimés en 2019 à 1.7 MTND. Nous sommes en train d’identifier des cibles en utilisant une stratégie dédiée au marché britannique avec un plan d’action dans le cadre du Brexit qui offre des opportunités supplémentaires. Les secteurs sont ceux des industries électriques, électroniques, agroalimentaires, le numérique, le textile, les énergies renouvelables,…
Nous travaillons avec les autorités britanniques qui ont mis en place un programme d’appui. Nous avons bénéficié d’un programme similaire de 2018 jusqu’à 2020. Par ailleurs, FIPA vient de représenter la Tunisie à la seconde édition du Sommet de l’UK-Africa Investment Conference et a organisé un roadshow qui lui a permis de sensibiliser les milieux britanniques. Il y a des intentions d’investissement que nous sommes en train d’étudier avec nos partenaires britanniques. Parmi les décisions de ce Sommet, il y a la mise en place d’une plateforme entre les entreprises africaines et britanniques à savoir le DIT Digital DealRoom. Un webinaire a été tenu dans ce cadre et nous sommes en train de suivre les entreprises qui ont participé à cette rencontre. La Tunisie a été parmi les premiers pays signataires de l’accord d’association dans le cadre du Brexit qui est du reste un processus qui se met en place par étape.
La Tunisie pourrait-elle constituer, dans ce cadre, un terrain dans l’écoulement des produits britanniques en Europe ?
Tout à fait. Nous sentons qu’avec le Brexit, les Britanniques sont plus ouverts aux opportunités commerciales notamment en direction de l’Afrique où la concurrence est dure et rude. Les Britanniques ont investi beaucoup d’efforts dans ce cadre et les contacts n’ont pas de ce fait manqué aussi bien du côté des officiels que des entrepreneurs britanniques en Tunisie. Il y a des initiatives programmées comme un webinaire sur le textile en ce mois de janvier.
Quel est votre mot de la fin ?
Nous sommes optimistes malgré les difficultés que vous n’ignorez pas. Nous avançons aujourd’hui d’ailleurs avec une approche agressive et avec des arguments et des outils innovants. Et en mettant l’accent sur les activités à forte valeur ajoutée.