L’e-gov est l’intégration des Technologies de l’Information et de la Communication dans les démarches et les services gouvernementaux fournis au profit des citoyens et des entreprises. L’objectif est de faciliter les processus administratifs et de les rendre plus pratiques, efficaces et transparents. Bref, tout ce que l’investisseur tunisien cherche mais ne retrouve quasiment pas.
Alors que la Tunisie était pionnière en matière d’e-gouvernance réalisant des succès incontestables lors des années 2000, ces derniers n’ont pas fait long feu. À vrai dire, ces avancées ont subi un coup de frein dès 2011 dans un monde où stagner signifie reculer à grande vitesse. L’e-gov exige des investissements massifs et continus en infrastructures, et des structures organisationnelles légères et efficientes.
Dès lors, nous nous sommes retrouvés avec des administrations rigides, fortement hiérarchiques, semblables à des armées mexicaines et où la composante technologique ne figure que dans les documents. Ayant touché le fond, nous nous devons un minimum de franchise: retarder la venue de l’e-gov était une politique volontariste de certains intervenants. Plus la chaîne des services est longue et compliquée, plus il y a de chances que son demandeur cherche à se faciliter la vie par tous les moyens, notamment par la corruption. Le blocage ne venait pas nécessairement des centres de prise de décisions, mais plutôt des niveaux intermédiaires, protégés dans la majorité des cas par le syndicat.
Le coup de pouce de la COVID-19
La pandémie a offert une opportunité unique pour la Tunisie. Alors que l’administration était mise en veilleuse, la seule solution était de libérer tous les projets frigorifiés. Et pour rendre à César ce qui est à César, il faut également saluer la volonté politique qui a permis de concrétiser des mesures tant attendues. Plusieurs services ont été digitalisés, avec la palme d’or revenant au ministère des Finances. Parmi les initiatives phares, il y a celle de l’identifiant unique qui permettra le croisement des bases de données et l’automatisation d’une grande partie des services administratifs de base.
Résoudre la question de la compensation
L’un des champs d’application de l’identifiant unique est le système de compensation. Dans une année extrêmement difficile comme 2020, l’État a dû supporter une facture d’une valeur de 1 611 MTND, soit 12,6% des recettes fiscales du premier semestre. Depuis 2011 et jusqu’à juin 2020, la facture totale de la compensation fait froid au dos: 37 529 MTND ! Cela ne signifie pas qu’il s’agit d’un argent perdu car il y a des millions de ménages qui dépendent de cette compensation.
Mais nous pouvons clairement faire mieux en l’orientant vers ceux dont ils ont vraiment besoin. Avec une croissance anémique de -11,6% sur les six premiers mois de l’année et de -21,6% sur le deuxième trimestre, la solidarité nationale et la justice sociale exigent que chacun paie en fonction de ses revenus. C’est une sorte de redistribution de richesse puisque la fiscalité est encore défaillante à ce niveau.
Difficultés pratiques
Il s’agit bien d’une belle histoire. Néanmoins, de point de vue opérationnel, ce n’est guère simple à accomplir. Est-ce que chaque ménage va payer des prix différents pour un même produit et ce, selon leurs revenus grâce à des cartes à puce ?
L’avantage principal de cette méthode est qu’il incitera les ménages à faire leurs courses chez les commerçants ou les magasins qui sont dotés de systèmes électroniques afin de payer le juste prix. De point de vue fiscal, cela permettra de contrôler facilement les revenus de tous les points de vente qui échappent aux yeux de l’administration aujourd’hui. En même temps, cette approche risque de causer des problèmes sociaux car une segmentation publique par les revenus ne va guère plaire à une large partie de la population.
Est-ce que nous allons passer à des prix réels et assurer une compensation monétaire via le portefeuille électronique ? Cette solution a plusieurs vertus car elle permettra de réduire l’utilisation de matière subventionnée par les professionnels, estimés en 2018 à 787 MTND. Mais il y a aussi des conséquences économiques comme l’inflation. Le sandwich tunisien classique qui vaut aujourd’hui deux dinars va passer du simple au double et cette consommation en dehors des ménages n’est pas naturellement prise en compte dans les transferts sociaux. C’est donc un coup dur pour la consommation et un driver pour l’inflation avec les conséquences connues en matière de politique monétaire. Quel que soit le choix final, il y a un prix à payer qui est d’autant plus cher que la réforme tardera à venir. L’e-gov n’est pas seulement des systèmes informatiques, c’est essentiellement une politique d’État.