Le management face aux enjeux du digital
Fait d’évidence : la technologie de l’information s’invite aujourd’hui dans les entreprises tunisiennes — que celles-ci cherchent activement à se digitaliser ou non — la transition numérique tardera peut-être à gagner du terrain, mais elle finira certainement par régner.
Transition digitale : pourquoi et comment ?
“On définit le digital par tout ce qui est lié à l’utilisation de la technologie à destination des individus”, a déclaré Hédi Michau, CEO de l’agence digitale Osereso lors d’un séminaire consacré aux enjeux du management face à la digitalisation, organisé à Université Sésame. “Cette définition me tient à cœur parce qu’elle repositionne le digital autour de l’individu”, a-t-il ajouté. Pour le CEO d’Osereso, la transition digitale est un processus dynamique, en perpétuelle évolution. Réussir cette transition nécessite une logique itérative lors de l’implémentation de solutions digitales dans l’entreprise: installer, tester, et si ce n’est pas la bonne solution, rincer et répéter.
Entamer la transition digitale doit se justifier par un réel besoin de la part de l’entreprise. Ceci d’autant plus qu’il s’agit d’un processus de longue haleine, qui peut nécessiter des ressources considérables. Quels besoins peuvent donc “justifier” un tel choix ? Accélérer l’innovation, améliorer la productivité, soutenir la croissance, développer la notoriété, conquérir de nouveaux territoires, ou encore attirer de nouveaux talents, a indiqué le speaker. Le CEO d’Osereso recommande également de mettre en place des indicateurs et des KPIs afin de pouvoir mesurer et quantifier l’impact de la digitalisation sur ces besoins.
Le manager doit également prendre en considération les obstacles qui peuvent ralentir la marche de son entreprise vers la digitalisation. Il s’agit, d’après Mehdi Michau, de ressources financières insuffisantes, de compétences internes inadéquates, de menaces de cybersécurité, ou encore de défaut d’identification des besoins. La résistance au changement joue, naturellement, un rôle capital dans l’échec de la transition numérique. Pour y remédier, Rafaa Jemli, chef de département RH & Logistique aux Assurances Biat, propose de mettre à la disposition des employés des outils numériques, par exemple, de gestion de carrière — tout en offrant une expérience utilisateur correcte.
Il n’est pas rare de voir les acteurs d’un même secteur s’inspirer les uns des autres. Pour le choix d’outils numériques à adopter, en revanche, “à chaque entreprise des besoins biens spécifiques”, explique Michau. “La société doit commencer par identifier ses besoins en mesure d’y apporter les bonnes solutions”. Autre piège à éviter, a averti l’interlocuteur : appliquer une “transformation numérique” partielle (seulement au front-office ou à une sélection de départements). Une vraie transition digitale, ajoute-t-il, doit se faire dans une approche holistique qui englobe tous les départements de l’entreprise.
L’échec de la transformation digitale peut également émaner de facteurs exogènes : environnement législatif inadéquat, pool de compétences limité, une infrastructure publique limitée…
Les machines pour humaniser le travail
L’influence du digital sur les RH est bien visible dès la phase de recrutement. Ainsi, la fiche employé/candidat ne se limite plus à ce qu’il/elle fournit dans son CV. On parle de nos jours de profils enrichis grâce aux solutions RH qui permettent aux recruteurs de puiser dans les mines d’or que sont les réseaux sociaux, notamment Facebook et LinkedIn, a fait savoir Omar Triki, head of marketing à Sopra HR. L’environnement de travail a également connu des changements majeurs ces dernières années,donnant lieu à des employés de plus en plus mobiles et connectés.
Eu égard à ces mutations, les solutions RH doivent s’adapter afin de permettre d’offrir un environnement de travail très convivial, comme l’a bien noté Omar Triki. “L’entreprise qui souhaite maintenir ses talents doit leur fournir les trois ‘P’ : le Plaisir de travailler, la Protection (en cas d’erreurs) et la Permission (garantissant plus de créativité)”, a indiqué Rafaa Jemli. Et d’ajouter : “Ce n’est plus possible de demander aux jeunes constamment connectés de se déconnecter complètement en entrant dans l’entreprise”.
Une vue à 360° sur l’entreprise
Les systèmes d’Enterprise Resource Planning (ERP) sont des solutions logiciels intégrées dont la mission est d’assurer la gestion des automatisés. L’idée est d’avoir un aperçu sur tous les process au sein de l’entreprise, aussi bien de production que de métiers de support.
L’ERP trouve tout son sens, d’après Adnane Jerraya du cabinet PwC, avec l’arrivée en 2011 de l’industrie 4.0. Cette dernière est caractérisée par la digitalisation aussi bien verticale (les échanges au sein d’une même entreprise) qu’horizontale (les échanges entre l’entreprise et ses fournisseurs), par la digitalisation de l’offre et des services, et la numérisation du business modèle et de l’accès des clients, poursuit Jemli.
Pour que l’ERP entre réellement dans la définition de l’industrie 4.0, il faudrait y ajouter de nouvelles technologies et greffer dessus des solutions novatrices comme la réalité augmentée. Google, par exemple, a développé une édition Entreprise de ses lunettes connectées “Glass”. Ces dernières sont actuellement utilisées par les ouvriers pour accéder rapidement et efficacement à des informations utiles sur la tâche à accomplir.
Bien que l’existence même d’un ERP au sein d’une entreprise démontre sa capacité à gérer un tel système et à automatiser les processus, une telle intégration n’est guère une étape essentielle pour la réussite de sa transition digitale, explique Adnane Jerraya. Et d’ajouter : “Ce n’est pas en mettant en place un ERP que les entreprises vont se digitaliser”.
En guise de recommandations, l’expert de PwC a appelé les sociétés souhaitant installer un tel système à dresser la liste des objectifs qu’elle désire atteindre et à définir les compétences dont elle pourrait avoir besoin (et de faire les recrutements nécessaires, si besoin est). Et pour tirer pleinement profit des données collectées grâce à l’ERP, Monsieur Jerraya conseille les entreprises à “bâtir” leur compétence d’analyse de données in-house.
Une vision globale de la logistique
La logistique, rappelle Mondher Khanfir, de Colombus Consulting. a vu le jour dans les années 90, comme un concept global. Il a cependant été constaté que l’optimisation de chacun des maillons n’induit pas forcément celle de la totalité de la chaîne. “Il a fallu donc basculer vers une approche systémique avec la mise en place de systèmes communicants et, surtout, de logiques opératoires et décisionnelles globales”, a déclaré Khanfir, La complexité de la gestion des chaînes logistiques émane du fait qu’il faut gérer, non seulement le temps et l’espace, mais également les données. Ainsi, Khanfir définit la supply chain comme étant “l’art de servir le bon produit au bon client, au bon moment et là où la demande existe”. Et pour mieux gérer cette demande, il est essentiel de distinguer entre les facteurs aléatoires et ceux prévisibles dans une supply chain.
La supply chain doit ainsi tenir en compte du flux des données, tout comme les flux physiques et financiers. Ainsi, si chaque département d’une entreprise a son propre système d’information, l’organisation finirait par se retrouver dans un patchwork inconsistant. Une telle situation peut également créer des conflits entre les différents compartiments. Pour pallier cette problématique, il suffit de créer des canaux et des protocoles pour permettre aux différents systèmes de communiquer et d’échanger. La codification des articles et des produits peut également contribuer à la simplification de la communication.
Pour mesurer la performance d’une supply chain, Mondher Khanfir propose de se focaliser sur la mesure de l’utilisation des actifs, qu’ils soient matériels ou non. La technologie, explique Khanfir, permet d’atteindre un meilleur taux d’utilisation. “Nous vivons dans un monde qui a surinvesti depuis des décennies, au point que nous nous trouvons aujourd’hui avec un déséquilibre : l’offre mondiale de produits et de services dépasse largement la demande solvable. Cela pourrait empêcher des économies d’ émerger mais la technologie nous offre une meilleure chance pour l’utilisation des capacités existantes, nous rassure-t-il.