Alors que l’épargne nationale est à des niveaux extrêmement faibles (8,5% du PIB fin 2019), le dilemme épargne – croissance commence à intriguer. Si les agents économiques sont encore traumatisés par l’expérience de la pandémie, durant laquelle plusieurs ont eu un choc de revenus, c’est qu’ils vont automatiquement revoir leurs dépenses à la baisse. Il suffit de faire un tour dans les fiefs habituels de la consommation des tunisiens pour sentir la décélération de la dynamique commerciale. Les chiffres présentés jeudi dernier par l’USAID et l’APTBEF montrent bien qu’un retour à la normale n’est pas pour demain.
Ce comportement d’épargne excessive signifie donc moins de croissance. Pour rappel, les services marchands sont la pièce maîtresse de l’économie et leur valeur ajoutée a pesé 42,5% du PIB nominal en 2019. Si chaque tunisien actif réduit ses dépenses mensuelles de 50 dinars, c’est presque 2,2 milliards de dinars de consommation qui va s’évaporer, avec des conséquences sociales lourdes. Malheureusement, la situation actuelle ne peut conduire qu’à cela et la crise devrait s’enfoncer davantage avec le sentiment d’instabilité politique.
Il n’y a pas de solutions miracles pour une telle conjoncture. Il faut que l’économie reparte de nouveau pour retrouver le rythme normal, quelque chose qui dépend de l’utilisation de l’épargne constituée. L’augmentation de la retenue à la source sur les intérêts générés par les dépôts à terme et produits similaires à 35% trouve une justification ici. Des capitaux partiront à la recherche d’un rendement plus élevé, donc du risque dans le monde des entreprises.
Nous avons besoin de nouveaux produits financiers capables de s’adapter aux différents profils de risques, notamment les petites épargnes habituées à recevoir une rémunération garantie. À part les banques, les assureurs vie et les intermédiaires en Bourse ont la possibilité d’offrir du nouveau, surtout pour l’épargne longue. Il y a où piocher puisque les dépôts à terme c’est 15,901 milliards de dinars et les comptes spéciaux d’épargne sont de l’ordre de 19,550 milliards de dinars fin février 2020.
Tout cela restera théorique tant que l’épargnant tunisien type ne trouve pas une vraie différence de rendement qui l’encourage à modifier son plan d’économies. Au-delà des produits, c’est tout un cadre opérationnel qu’il faut secouer. Nous évoluons dans un marché où les leaders de chaque secteur créent des barrières à l’entrée, tuent la concurrence et s’accaparent le marché. Les opportunités sont rares et seule la dette permet d’assurer un taux de rémunération élevé.
En réalité, la stimulation de l’investissement ne nécessite pas plus qu’une seule décision courageuse : briser les monopoles et les oligopoles et donner la chance à chacun d’investir. C’est seulement dans ce cas-là que nous verrons l’épargne se mobiliser et se transformer en des fonds propres créateurs de richesses et d’emplois. Autrement, tout le monde est perdant.