Une étude du Think Tank de TABC, dirigée par Mondher Khanfir, a permis de rationaliser le discours sur le potentiel et la performance des écosystèmes d’innovation. Et ce, pour s’en servir comme outil d’évaluation des politiques publiques. Les résultats ont été présentés lors d’un séminaire tenu à Tunis, sous l’égide de Mohamed Fadhel Kraiem, ministre des Technologies de Communication et de la Transformation Digitale.
Des résultats intéressants de l’étude de cas relative à la Tunisie sont énoncés dans ce qui suit.
L’écosystème d’innovation se distingue par trois capacités ou sphères: Connaissance/Technologie, Capital/Financement et Entrepreneuriat/Marché.
En adoptant une approche systémique, chaque sphère peut à son tour être modélisée par les processus d’affaires qu’elle entretient. La capabilité de ces trois sphères et la manière dont elles opèrent et interagissent déterminent le potentiel et la performance de l’écosystème qui les porte. Ainsi, le plein potentiel sera réalisé lorsque les trois sphères fonctionnent à pleine capacité. Ce qui suggère une fluidité totale de la circulation des informations entre les parties prenantes.
À partir de là, la performance serait intimement liée au taux de transformation du potentiel en résultat.
Le potentiel et la performance ont été définis par une métrique composant trois axes clés: l’indice global du Capital (Global Capital Index), l’indice global de l’Entrepreneuriat (Global Entrepreneurship Index) et l’indice global de l’entrepreneuriat digital (Digital Entrepreneurship Index).
Pour matérialiser le potentiel, l’indice global du Capital sera calculé en additionnant toutes les subventions et les fonds disponibles (Dry powder) sur le marché du capital risque dans un pays déterminé. Pour la performance, cet indice se résumerait au montant des fonds engagés dans le financement des startups sur une période donnée. Il peut aussi être décliné par secteur ou par technologie.
Pour ce qui est de l’indice global de l’Entrepreneuriat, il serait, dans l’absolu, de 100% pour décrire le potentiel. Ce qui revient à dire que le plein potentiel reste toujours possible. Pour mesurer la performance, on prendra l’indice annuel donné par pays par le GEDI.
Quant à l’indice global de l’entrepreneuriat, il serait de 100% aussi dans le cas du plein potentiel. Quant à la performance, l’indice pays sera pris directement depuis le classement du GEDI de la capabilité technologique.
Les indices ainsi réunis illustrent le poids individuel de chacune des trois sphères. Il est important de noter que c’est le niveau de synergie entre les sphères qui compte le plus. La question qui s’impose serait comment ces ingrédients s’activent-ils et coopèrent-ils pour produire de la valeur ?
Un écosystème africain disparate
La Tunisie ne figure pas dans le top 10 des pays à haut potentiel. En revanche, elle est classée deuxième, juste après l’Afrique du Sud en matière de performance de son écosystème d’innovation. Dans quelle mesure alors le champ du possible peut-il augmenter d’une année à une autre ? Et comment le potentiel serait-il transformé en réalisation ?
L’évaluation de l’impact actuel et futur des politiques publiques, en particulier le dispositif Startup Act pour la Tunisie, s’impose pour apprécier la justesse et l’intérêt de ce classement.
En Tunisie, 280 startups labellisées ont levé autour de 130 M€ depuis l’instauration du Startup Act. Cette information utile mais reste incomplète pour apprécier la pertinence des politiques publiques sur l’écosystème d’innovation.
Lors de sa présentation, Mondher Khanfir a présenté une cartographie de la perception des politiques publiques en la matière, à travers un rating pour chacun des axes illustrés dans le graphique suivant :
Quid de l’effectivité du Startup act ?
L’étude relève qu’une partie des décisions de Startup Act attend toujours d’être actée. Il y va par exemple de la comptabilité simplifiée ou la liquidation à l’amiable ou encore les fonds d’investissement de Business Angels.
C’est finalement l’absence d’un cadre logique de mesures d’impact des politiques publiques sur l’écosystème d’innovation qui constitue la plus grande entrave à la gouvernance et la dissémination des bonnes pratiques.
Ainsi, et en vue de faire ressortir des recommandations précises et pertinentes, l’étude de cas Pays procède par l’affectation d’un ensemble d’instruments de politique publique pour chacune des 3 sphères mentionnées plus haut, et évalue le niveau de mise en œuvre (de l’initialisation à l’institutionnalisation). Les réponses sont restituées sous forme d’entonnoir, de la plus large capacité à la plus faible, ce qui donne une vision claire des étranglements qui contraignent le potentiel.
Cette démarche appliquée aux trois sphères en Tunisie dégage les trois graphiques suivants :
Pour la sphère Capital, la liquidation amiable simplifiée et le compartiment dédié aux opérations « hors cotes » sur le capital des startups restent les goulets d’étranglement à soigner en priorité pour libérer le potentiel de la sphère Capital. Le financement direct des entrepreneurs semble aussi être décisif pour libérer le potentiel de la sphère Capital, et cela est d’autant plus vrai pour les spin-off scientifiques.
Quant à la sphère Connaissances, l’étranglement est essentiellement au niveau des projets de recherche collaboratifs en partenariat public-privé. Ensuite, on trouve le faible flux de transfert de technologies par des Research Based Spin-Offs, avec très peu de valorisation des données.
Et enfin pour la sphère Entrepreneuriat, à part des lourdeurs administratives et des écarts dans la mise en œuvre de certaines dispositions réglementaires -comme l’accès aux marchés publics pour les startups- relativement peu d’étranglements apparaissent en tous cas pour ceux qui savent bien faire valoir leurs droits.
Des propositions d’améliorations
L’intérêt de ce modèle d’évaluation est de cibler directement et prioritairement les axes d’amélioration des politiques publiques ayant un impact direct sur les moyens à engager pour améliorer les résultats.
Agir directement sur les axes d’amélioration de chaque sphère donnera un meilleur potentiel global de l’écosystème. Une série de mesures en découlent et constituent une batterie de recommandations synthétisées comme suit :
- Réformer le code des sociétés commerciales pour acter certaines mesures édictées par le Startup Act comme la SAS
- Instaurer un tribunal de commerce en charge exclusivement des litiges commerciaux et aussi en charge de faciliter les reprises, la transmission et les faillites des entreprises
- Ouvrir un compartiment pour les Startups à la Bourse des valeurs mobilières de Tunis
- Réformer le code des sociétés d’investissement et des gestionnaires d’actifs et permettre plus d’instruments financiers et accélérer les fonds d’Investissement gérés par des Business Angels
- Lancers des clusters d’innovation en partenariat public-privé et multiplier les projets de recherche collaboratifs en mode « open innovation »
- Donner la priorité aux startups locales pour répondre aux appels d’offres dans l’économie digitale
- Créer un corps de métier spécialisé en protection de la propriété intellectuelle et le transfert de technologies.
Pour ce qui est de la performance de l’écosystème d’innovation en Tunisie, de bonnes prémices sont déjà initiées et méritent d’être institutionnalisées, comme la multiplication des clusters sectoriels et technologiques (AgriFood, Intelligence Artificielle, …) et les stratégies d’Open Government.
Avec un peu plus d’effort sur la transparence et le partage des bonnes pratiques, la Tunisie, pourra très vite s’afficher de nouveau comme l’acteur de référence sur le continent Africain.