Il a repris un siège qui ne lui est pas étranger, celui du PDG du Cepex. Un poste qu’il avait occupé entre 2007 et 2009 comme tant d’autres au sein d’entreprises et d’organismes publics de haute voltige. Des idées optimistes et valorisantes pour les exportations tunisiennes, Youssef Néji en a à la pelle, reste l’exécution qui demeure tributaire de différentes parties.
Youssef Néji entend faire de la promotion et du développement des exportations tunisiennes son cheval de bataille et il compte bien la gagner. Il a d’ores et déjà entamé cette bataille en y employant les moyens adéquats et en s’y investissant à bras le corps. C’est une affaire nationale et d’amour pour la patrie dira-t-il. Youssef Néji raconte ses péripéties face aux obstacles, difficultés et doléances rencontrées par les protagonistes de la scène des exportations tunisiennes. Face à cette vague, il ne fait guère la sourde oreille et entend mener son parcours jusqu’au bout en comptant sur la solidarité de tous. Dans l’entretien qui suit, Youssef Néji parle à cœur ouvert d’un domaine à poids conséquent dans l’économie tunisienne, optimiste et déterminé, il ne mâche pas ses mots. Entretien.
Pour commencer, quelle est votre opinion quant à l’actuelle situation du pays ?
Il faut dire que nous faisions déjà face à une situation économique difficile. Certes, cela n’est pas très exceptionnel suite à la succession de différents gouvernements après 2011, et à des changements d’ordre social et culturel. Je pense qu’à cet égard, aujourd’hui, la réconciliation fait carrément partie de la solution à la situation de crise.
Pour ce qui est du commerce international, je dirai que les indicateurs étaient plutôt positifs et assez optimistes. Toutefois, le secteur est semé d’embûches et de dangers. Face à cela, il convient de mettre en place des stratégies et des plans d’action avec une vision différente et adaptée. Je m’explique : la plus grande part de nos exportations se fait à l’adresse des pays de l’Europe, à raison de 80%. Cela nous conduit vers une situation fragile de surcroît lorsque nous savons que les exportations vers l’Afrique subsaharienne ne sont que de 2 à 3% seulement. Il est donc temps de changer d’orientation et de revoir les stratégies en matière de commerce international à la lumière des nouveaux changements opérés dans le monde entier.
Comment la pandémie changera-t-elle la donne ?
S’ajoute également à cette situation critique, l’avènement de la pandémie du Covid-19 qui est, selon moi un séisme lent, inconnu et espérons-le ne sera pas durable. Même si toutes les analyses et les prévisions notamment celles de l’OMS prédisent sa durabilité dans le temps.
Cette nouvelle situation de crise a tout remis en cause. Il y a eu, à mon avis, un effondrement de plusieurs valeurs économiques et elle a mis en défaut la limite de plusieurs modèles économiques. Cette crise sanitaire a remis en question les politiques économiques des pays les plus riches et dont l’économie est forte. Ainsi que celles des pays pauvres. Cela est également le cas pour la Tunisie qui fait près de 70% de ses échanges commerciaux avec la France, l’Italie et l’Espagne dont le PIB va régresser d’environ 8%.
Les indicateurs du mois de mars font peur et font état d’une baisse des exportations tunisiennes de près de 30%. Et ce qui me dérange dans tout cela est que certaines personnes ne sont pas conscientes du danger qui se profile. Je ne suis pas pessimiste de nature mais il ne faut pas se leurrer et il faut faire face à la réalité des choses sans pour autant dramatiser car nous risquons d’être paralysés et effectuer des choix erronés.
En outre, il faut savoir anticiper même si nous sommes encore en plein séisme et que nous ne savons pas comment les choses vont évoluer. Car la situation dans laquelle nous allons nous retrouver après la crise dépendra des décisions que nous prenons maintenant aussi bien sur le plan sanitaire qu’économique. Je voudrais attirer une attention particulière à notre corps médical qui a démontré de hautes performances et aptitudes à faire face à une pareille crise. J’appelle à ce propos à lancer un fonds de solidarité pour tout le corps médical afin de les soutenir.
Vous parlez donc d’anticipation au niveau économique, comment vous l’envisagez ?
Il s’agit essentiellement de mettre en place des mesures immédiates afin de sauver les entreprises et garantir leur pérennité et éviter ainsi leur faillite. Nous devons s’y atteler avec beaucoup de dévouement, chacun de sa position, car nous sommes tenus en ce moment de bien préparer ce qui est à venir. Je vise principalement les PME et il faudra réfléchir à des mesures urgentes qui doivent s’adresser à toutes les entreprises sans exception. Aujourd’hui, nous parlons de la survie d’un pays à travers son économie et ses entreprises en prenant les bonnes mesures au moment opportun. Hélas, aujourd’hui, l’appareil de la production est paralysé tout comme celui de la consommation. Il faut réagir vite !
Dans ce tableau grisâtre, voyez-vous tout de même un point positif dans la situation ?
A dire vrai, le point positif que je constate dans cette situation est que l’appareil de production agricole et agroalimentaire a continué de fonctionner. Cela a fait que le peuple tunisien n’a pas eu faim et même s’il y a eu quelques soucis de pénurie notamment de la semoule et de la farine, des solutions ont très vite été mises en place. Les consommateurs se sont certes rués vers les grandes surfaces notamment afin de faire le plein des courses mais cela reste un comportement normal dans ce contexte. Il est à saluer que malgré le contexte difficile, nous avons réussi à assurer la sécurité alimentaire. Et je lance un appel à la mise en place d’une commission composée des meilleures compétences tunisiennes et qui réfléchira sur le modèle économique de la Tunisie dans l’avenir avec un volet sur la sécurité alimentaire.
Également, il faut inclure dans la conception de modèle la dimension africaine car aujourd’hui à cause de la pandémie, il y a des risques de difficultés majeures notamment en matière de sécurité alimentaire. Par ailleurs, tout cela nous renvoie à une problématique de taille, celle de notre capacité de stockage. A titre d’exemple, aujourd’hui si nous avions une grande capacité de stockage, nous aurions pu acheter le blé à des prix dérisoires que nous pourrions par la suite revendre.
Un autre point positif et qui me tient à cœur, c’est un hommage que je veux rendre à Habib Bourguiba car il a su miser sur l’éducation qui nous a donné aujourd’hui des médecins compétents. Aussi, il a su miser sur la femme qui se trouve sur les devants de la scène à mener la bataille sur plusieurs fronts. Il faut donc réfléchir à un investissement important dans le secteur de la Santé et en faire une locomotive d’exportation. Il faut réfléchir sur le développement de la recherche scientifique et les projets de partenariat avec les Africains dans le domaine de l’industrie des médicaments et le savoir-faire de manière générale.
Parlons des exportateurs tunisiens, y a-t-il des mesures spécifiques qui leurs sont adressées ?
Nous avons dû prendre des mesures immédiates pour faire face à la situation de crise. Il y a d’abord un outil qu’il faut préserver et à développer, à savoir le Fonds de développement des exportations. Ce fonds a été créé afin d’aider les secteurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de l’artisanat en l’occurrence au niveau du transport. Pour citer quelques exemples : nous accordons une subvention sur les coûts de transport qui s’élève à 50% pour le transport aérien et à 33% pour le transport maritime.
Cette année, nous avons accordé 70% de subvention au transport aérien pour les exportations de l’huile d’olive. Savez-vous par exemple que dans le cadre du même programme, nous pouvons accorder pour des missions de prospection pour certains pays de l’Afrique subsaharienne, des frais de mission allant jusqu’à 600 dinars par jour, et nous lui payons de même 70% du billet d’avion ? Savez-vous aussi qu’il existe un fonds, encore inconnu de tous, Easy Export mis en place afin de développer et promouvoir les exportations tunisiennes directes (en mode B2C) via le commerce électronique ? Il s’adresse entre autres à des personnes qui se trouvent loin des zones portuaires et des aéroports pour pouvoir effectuer leurs opérations d’export à moindre cout. L’État a injecté dans ce fonds un million de dinars. Il est dédié à des jeunes et moins jeunes qui travaillent dans des produits artisanaux et qui n’ont pas les moyens de les exporter tout en réalisant des bénéfices. Le fond Easy Export propose à ceux-là de les orienter vers les marchés d’exportation ainsi que de se charger de 50% des frais d’export. C’est en faisant appel aux services de la Poste Tunisienne, que nous faisons exporter ces produits.
Cet outil qui favorise l’inclusion économique des micros, petites et moyennes entreprises extraordinaire pour les jeunes exportateurs aussi. Malheureusement, la quasi-totalité de ces derniers ne connaissent pas l’existence de ce programme et ce sont des entreprises prospères et bien installées qui en profitent. Je dois reconnaître qu’il y a quelques manquements au niveau de la divulgation de l’information à propos de ces fonds et leurs actions. Je dois vous dire que le Cepex est une réelle locomotive d’exportation et il renferme de grandes compétences. Il y a beaucoup de jeunes entrepreneurs qui ont besoin d’un soutien de la part du Cepex afin qu’ils puissent comprendre leur rôle et travailler correctement.
Quelles sont les entraves qui empêchent aujourd’hui le Cepex d’optimiser ses actions ?
A dire vrai, il y a un réel souci dans la formulation de l’offre exportable. Cette dernière est absente. Je vais d’ailleurs m’atteler à élaborer cette offre exportable car nous avons les moyens pour. Il faut savoir qu’il existe des potentialités d’export vers qui il faudrait s’adresser et promouvoir nos produits.
Autre point problématique au niveau du Cepex, c’est l’évaluation de l’impact de son intervention sur les exportations. Aujourd’hui, il n’existe pas d’étude en la matière alors qu’il y a de très grandes sommes dépensées sous forme de subventions sans connaître leur impact. Il y a de nombreux dossiers d’entreprises qui n’ont pas encore été traités depuis 2018. Nous avons constaté que ces entreprises ont besoin de liquidités et doivent avoir accès à leurs besoins. C’est pourquoi, nous avons commencé depuis le début de la pandémie à traiter tous les dossiers de 2019 et nous avons entamé ceux de 2020 en fixant un objectif : le 30 avril courant, nous devons avoir zéro dossier Foprodex à traiter. Nous avons même pris une initiative d’une grande importance pour les acteurs économiques : leurs fonds seront déboursés dans un délai maximal de 45 jours après le dépôt du dossier.
Qu’en est-il des outils digitaux pour communiquer sur ces mécanismes d’aide ainsi que leur mise en œuvre ?
Nous avons mis en place un site web par le biais duquel, les entreprises exportatrices peuvent faire part de leurs problèmes et blocages en matière d’exportations auprès du Cepex. À nous d’intervenir dans la limite de ce qui nous est permis par la loi et dans le cadre des mesures récemment décidées par le gouvernement. Grâce à cet outil, nous avons pu prendre acte des doléances des exportateurs ainsi que de trouver des solutions adéquates en faveur des sociétés de commerce international. Il s’est, en effet, avéré que ces dernières n’ont aucun vis-à-vis officiel auprès duquel, elles peuvent obtenir leurs autorisations d’exportation. Il a été alors décidé par notre ministère de tutelle que cette prérogative soit accordée au Cepex.
Êtes-vous arrivés à débloquer certaines situations ?
Nous avons pris contact avec l’UTICA et les groupes interprofessionnels des fruits, des légumes, des dattes ainsi que de la pêche et les produits de la mer. Comme vous le savez, nous sommes en pleine période des produits agricoles périssables et qui intéressent les pays du Golf principalement. Face à cela, nous avons rencontré une problématique majeure à savoir : la logistique et à laquelle, le pays doit réfléchir.
C’est d’ailleurs l’élément qui nous freine à aller plus loin dans nos exportations en l’occurrence au niveau du transport maritime et aérien. Dans ce contexte difficile, nous avons essayé de profiter des voyages effectués par les compagnies aériennes étrangères et par Tunisair, soit pour le rapatriement de ressortissants tunisiens ou pour l’importation d’aides médicales, et ce, en vue de faire exporter nos produits. Aussi, nous avons eu des contacts avec Tunisair qui œuvre en vue d’adapter un avion de sa flotte pour le consacrer au transport de marchandises. Nous souhaitons à ce titre que les deux compagnies CTN et Tunisair soient plus réactives dans la promotion de nos exportations. D’ailleurs, je pense qu’il faut qu’il y ait une décision courageuse pour la mise en place d’un partenariat public-privé afin de créer une ligne maritime avec l’achat d’un navire et de deux appareils de fret aérien répondant ainsi aux attentes en matière d’exportation.
Que pensez-vous de nos échanges commerciaux avec les deux pays voisins l’Algérie et la Libye ?
Je qualifierai ces deux pays de poumons économiques pour la Tunisie. Je pense que nous devons à l’avenir mettre en œuvre deux fondamentaux avec ces deux pays : la complémentarité et la solidarité. Personne ne pourra gagner à faire cavalier seul ! Ce grand protectionnisme ne peut plus continuer car il y va de notre survie économique.
L’Algérie et la Libye doivent faire partie intégrante de notre plan de développement économique car nous avons un avantage comparatif inestimable avec ces deux pays, de surcroît dans le cadre des accords de Comesa et de l’Aleca. Pour étayer mes propos, dans le cadre de la crise sanitaire et de notre action de renforcement et de soutien aux exportateurs, nous avons accordé une subvention exceptionnelle au profit du transport maritime vers la Libye de l’ordre de 50% et du transport aérien de l’ordre de 60% pour l’exportation de produits agricoles et agroalimentaires. Nous travaillons également sur la ligne avec l’Algérie qui est la plus courte en partance de Bizerte. Nous trouvons des moyens logistiques alternatifs aux classiques afin de faire face à la nouvelle situation impactée par la pandémie.
Comment préparez-vous aujourd’hui l’après-confinement ?
Bien évidemment, nous réfléchissons à l’après-confinement et en l’occurrence le soutien à mettre en place au profit des PME opérant dans tous les secteurs économiques. Nous sommes confiants quant à la prise de décisions adéquates et au moment opportun, qui sont d’ailleurs, complémentaires à celles prises par le gouvernement. Puis, il y a un point essentiel qui concerne les 13 représentations dont nous disposons à l’étranger et dont personne ne parle. Nous allons entamer une étude pour les redéployer afin qu’elles aident à la promotion des exportations tunisiennes.
En Afrique, nous avons 5 représentations auxquelles il est possible que les chefs d’entreprise les contactent afin qu’elles fassent les prospections de nouveaux marchés pour le compte d’entreprises tunisiennes. Certaines de ces représentations font un travail extraordinaire. Nous saluons à cette occasion la diplomatie économique pour le travail effectué par les ambassades tunisiennes au niveau de la prospection des marchés pour faire connaître nos produits et nos entreprises exportatrices à travers notamment l’organisation d’événements B2B. Nous avons également sollicité le ministre des Affaires Étrangères afin d’organiser des Webinars avec les ambassadeurs dans le but de collecter des informations et écouter les différents avis tout en nous inspirant de ce qui se fait dans leurs pays d’accréditation. Nous œuvrons également à étudier les mesures supplémentaires à prendre afin de venir en aide aux PME surtout en ces temps difficiles.
Quels enseignements voyez-vous après la crise ?
D’abord, l’émergence de nouveaux métiers dans différents domaines liés au capital humain tels que l’éducation, la santé etc. Ensuite, il faut repenser notre positionnement au niveau des secteurs, des produits et des pays. Il faut mettre en pratique les moyens nécessaires pour réussir à atteindre un objectif ambitieux au niveau de nos exportations. Il existe une marge de progression pour la Tunisie à condition de repenser tout le modèle de développement en étant sereins, solidaires et anticipatifs. Tout cela nous permettra d’éviter des pertes d’emplois d’entreprises et d’un capital très important en matière de marchés conquis. Et je suis convaincu que nous allons y arriver.