“Soutenir les TPE et PME afin de créer des opportunités économiques pour les femmes est notre cheval de bataille au sein de la CNFCE”, atteste Leila Belkhiria Jaber, Présidente de la Chambre Nationale des Femmes Chefs d’Entreprises (CNFCE), qui souligne ainsi l’un des enjeux majeurs de l’inclusion financière. Rabattre tous ceux qui sont en porte-à-faux par rapport aux banques, et ils sont nombreux alors que le taux d’inclusion financière en Tunisie est relativement faible (27,4% en 2014) au moment où il est considéré comme un facteur de progrès pour 7 des 17 objectifs du développement durable.
3,9 milliards de dinars
Le dossier est compliqué et il appelle à l’intervention d’une multitude d’acteurs qui ne viennent pas du même monde. La chose était claire au fur et à mesure que les experts se sont succédés pour en éclairer les innombrables facettes, avec l’émergence d’une conviction partagée par tous : le système bancaire classique atteint ses limites quand il s’agit de rapatrier tous ceux qui sont ciblés par l’inclusion.
Holger Dix, de la Konrad Adenauer, estime que, partout dans le monde, donner accès au financement est l’objectif de tous les pays au moment où une grande part de la population mondiale en est exclue (77%). Nous sommes devant un long travail de patience, et Néjia Gharbi, DGA de la Caisse des dépôts et consignations, assure que la CDC contribue à l’inclusion financière en soutenant les institutions de microfinance dans la participation à la levée de fonds qu’elles opèrent sur le marché (3,9 milliards de dinars).
Cet engagement de la CDC est dans la même ligne que celui, capital, de l’engagement de la Banque Centrale. Marouane El Abbassi, Gouverneur de la BCT, atteste que ses projections se basent sur des études dont il cite de larges extraits, aussi bien sur l’inclusion financière que les banques ou les assurances, qui montrent que l’inclusion financière est conditionnée en grande partie par la barrière des différences marquées par le genre.
“On a compris que la question est importante et la BCT mène une stratégie avec le ministère des Finances sur 5 ans; on a compris que la technologie peut faire des raccourcis importants, dans les prochains jours, quelques établissements de paiement spécialisés en inclusion financière vont avoir leur agrément; ils vont absorber le cash sur le marché et le ramener dans le circuit formel; mais si on n’arrive pas à déverrouiller technologiquement l’inclusion financière, nous ne la réussirons pas”, avertit-il.
De l’intégration à l’impulsion
Le développement des leviers vers l’inclusion a occupé la majeure partie de la rencontre. Neila Boulila, Professeur IHEC, montre une contradiction tunisienne où l’inclusion est faible mais où l’environnement financier est à fort potentiel. C’est un bon point de départ pour offrir des produits moins coûteux que les banques pour les femmes et les ruraux qui sont les moins bancarisés.
Moez Soussi, Professeur IHEC, regrette que nous avons toujours eu un chômage à deux chiffres où les femmes sont les plus touchées. Une marginalisation qui prive l’économie de précieux points de croissance et les caisses de sécurité sociale d’un facteur d’équilibre.
Amin Rachid, Consultant Tunisia Jobs, pose le problème sous un autre angle : “Les banquiers se sont toujours intéressés aux grands comptes, c’est récemment qu’ils commencent à parler d’inclusion financière. Pourquoi ? Parce qu’ils ont besoin d’argent. De plus, la notion de risque distribué sur des milliers de parties a de quoi susciter son intérêt !”
Dorra Marrakchi, du Comité Fintech-BCT, assure également : “Nous sommes convaincus qu’il y a de grandes opportunités et la BCT a choisi de jouer un rôle de facilitateur. Notre premier objectif est de développer l’inclusion financière tout en assurant la protection des acteurs. C’est pour cela que nous avons mis sur pied notre Sandbox réglementaire; un environnement de test, car nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’étendue de la technologie (IA par exemple) pour qu’il n’y ait pas de risque sur les opérations”.
Hichem Ben Fadhel, Ceo Ajial capital, défend une thèse qui dépasse l’économie : “Le sujet est éminemment politique. Il s’agit du droit des citoyens à ne pas être exclus. On parle des jeunes, pas seulement des femmes. Il y a aussi la fracture régionale, d’alphabétisation, d’âge, de garantie à offrir aux banquiers. On parle de prospérité et de pauvreté, de néocolonialisme (les GAFA et autres), de guerres et de révolutions… Avons-nous pris la dimension politique de tout cela ? Avons-nous adopté la bonne démarche ? Une rupture ? Agir comme on l’a toujours fait ?”
Innovation inspirée de la Microfinance
“Les chiffres de l’inclusion financière sont accablants, on devrait parler d’exclusion”, avertit Omar Chtioui, Consultant et ancien banquier qui s’interroge sur la rencontre de l’inclusion, l’investissement et l’innovation et s’ils mènent automatiquement à l’inclusion économique.
En guise de réponse, Mehdi Majdoub, Consultant en microfinance, regrette que cela fait 20 ans que l’on parle de l’inclusion financière et que ce n’est qu’au cours des dernières années que la microfinance connaît un véritable boom en Tunisie : “En 2018, on parle en Tunisie d’encours des IMF de 1038 millions de dinars. En permettant la commercialisation du secteur, la Tunisie a boosté le secteur”.
Avec le même optimisme, Slim Jarraya, Chef de projet TAMWEELI, présent en Tunisie depuis 2015; estime qu’il va avoir un impact majeur sur l’économie et l’emploi. Cette plate-forme de Match Making a de beaux jours devant elle dans le contexte qu’il décrit.
Ridha Mrabet, PDG de la Société de développement et d’investissement du Nord-Ouest, SODINO, rappelle qu’il représente la seule structure qui fait réellement de la proximité dans une région où comptent l’accompagnement et l’assistance, en plus de l’amélioration de l’écosystème et la dissémination de la culture financière. Même ton pour Manel Brahim Bouzouita, Responsable TPE chez Attijari Bank, qui annonce une nouvelle inclinaison de sa banque à s’investir auprès des TPE; une cible très composite; du simple éleveur, aux artisans, commerçants… : “On doit s’intéresser à ces 96% du tissu économique car c’est ce que sont les TPE qui accueillent 60% des emplois”.
Maryam OMAR